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Ferdinand Perron

Besançon, 1823 - Paris, 1870


Ferdinand Perron, Besançon, 1823, Paris, 1870, peintre.
« — c’est moi et Perron qui peignons le mieux de tout Paris », Gustave Courbet.





Le peintre Franc-Comtois Ferdinand Perron (1823-1870)

Notice sur sa vie et ses ouvrages


Par M. Victor Guillemin
Société d'Émulation du Doubs,
Séance du 12 janvier 1889.


Notre savant compatriote M. Castan nous ayant demandé, vers la fin de l’année 1887, quelques renseignements concernant une peinture offerte par nous et placée au Musée Jean Gigoux, nous nous empressâmes de l’informer que c’est le portrait fait par lui-même d’un peintre de grand talent, mais malheureusement peu connu. Nous manifestions le désir de rappeler son souvenir par une notice biographique, et M. Castan voulait bien nous répondre : « Quelques lignes sur cet artiste trop oublié seraient à écrire, et vous, qui l’avez bien connu, auriez toute compétence pour acquitter cette dette envers sa mémoire ».
C’est ainsi que nous nous sommes mis à rédiger cette notice sur le peintre franc-comtois Ferdinand Perron.
Nous nous sommes adressé à plusieurs personnes qui pouvaient posséder de ses ouvrages, et entr’autres a M. Hector Hanoteau, un de nos maîtres contemporains, l’ami et le camarade de Perron. — Il nous écrivait le 20 janvier 1888 : « Je suis bien heureux que vous ayez pris l’initiative de sortir notre brave ami Perron de l’ombre où son nom est resté, malgré son grand talent.
S’il ne fut pas connu de son vivant, cela a tenu beaucoup à son caractère, car il était d’une modestie et d’une timidité d’enfant ; il a toute sa vie supposé qu’il devait faire des études, et encore des études, avant de pouvoir lutter avec les autres. — Étrange erreur ! car si l’on pouvait rassembler de lui une centaine de toiles, et les exposer dans la salle de la rue de Sèze, elles surprendraient un grand nombre d’artistes ; mais tout ce qu’il a fait est épars de côté et d’autre : il ne faut pas songer à cela, d’autant plus que sa timidité et le doute de lui-même l’ont empêché de signer presque toutes ses œuvres ».
Après nous avoir indiqué plusieurs personnes qui pouvaient posséder des toiles de notre ami commun, M. Hanoteau nous décrivait plusieurs morceaux de peinture qu’il conserve précieusement chez lui. Nous les mentionnerons plus loin, avec l’appréciation par lui donnée.
« Je ne suis pas étonné, ajoutait-il encore, que M… vous ait affirmé que j’avais en haute estime le talent de Perron, car j’ai souvent dit en parlant de lui : « Ce peintre inconnu n’a jamais fait que des chefs-d’œuvre. »
Ferdinand Perron est né à Besançon le 16 octobre 1823. Son père, horloger mécanicien distingué, faisait partie de l’Académie de cette ville. Ferdinand était le quatrième d’une famille de cinq enfants, et malgré le peu de fortune de ses parents, on lui fit commencer ses études au collège. Mais son père vint à mourir, puis, trois mois après, sa mère, et la municipalité accorda à l’orphelin, ayant alors à peu près onze ans, une bourse qui lui permit de continuer à s’instruire.
Il remporta de nombreux prix ; mais comme il dessinait sans cesse sur ses livres et ses cahiers, cette bourse lui fut retirée à la suite d’un petit incident où il refusa obstinément de remettre à son professeur un croquis fait pendant la leçon.
On ne pouvait dès lors lui faire continuer ses classes (il était en troisième), et sa famille le fit entrer à l’école de dessin de notre ville.
C’était en 1837, et le peintre Flajoulot qui enseigna les premiers principes à deux de nos artistes de tendances fort différentes, Édouard Baille et Gustave Courbet, était professeur à cette école.
Ce fut quelque temps après la mort de ce professeur, que notre aspirant peintre, léger d’argent et riche d’espoir, partit pour Paris, vers la fin de l’année 1842, et vint y étudier son art dans l’atelier de Jean Gigoux. Il rencontra là un camarade qui lui commenta clairement ce que le maître laissait parfois deviner à ses élèves.
Ce camarade d’atelier était un Bisontin fort enthousiaste, nommé Bouvier, qui, ne sachant pas profiter pour lui-même des leçons qu’il donnait aux autres, initia Perron aux vrais principes de l’art, comme il le fit aussi pour le célèbre peintre Bonvin, surnommé le Chardin du dix-neuvième siècle1.
Perron ne tarda point à montrer qu’il avait profité des leçons reçues. Mais, au bout de près de huit ans d’études , il constata un jour que son petit pécule se trouvait épuisé, et son maître vint à son aide en l’employant à peindre quelques parties dans ses tableaux, à l’exemple de ces peintres flamands qui faisaient exécuter à leurs meilleurs élèves des morceaux assez importants de leurs compositions.
Perron était dès ce moment capable de produire, pour son propre compte, quelques ouvrages qui l’eussent fait apprécier au Salon ; mais il lui eût fallu, pour cela, avoir la possibilité de subvenir à ses dépenses et de payer des modèles, en parant aux frais que nécessite toujours l’exécution d’une œuvre. Or, cela lui manquait absolument, et lui manqua toujours.
Les hommes sont souvent victimes de leurs qualités et certainement, dans les beaux-arts, la modestie peut être une vertu qui mène les artistes à l’hôpital, car on trouve piquant de prendre au mot celui qui n’affiche point de hautes prétentions. Pourtant, le maître-peintre d’Ornans ne put méconnaître (quoiqu’il ne fit volontiers l’éloge que de lui-même) le talent de son ancien camarade, et M. Gigoux écrit dans ses Causeries, en parlant de ses meilleurs élèves : « Je signalerai encore Perron que j’ai eu plusieurs années à mon atelier, et dont Courbet disait : « c’est moi et Perron qui peignons le mieux de tout Paris 2  ». Malheureusement, ce dernier, au lieu de chercher à se produire, tendait plutôt à s’effacer, et l’on sait que l’opinion est plus souvent pour les beaux diseurs que pour les intelligents qui savent se taire.
Il allait fréquemment au Musée du Louvre, s’y fortifier par la vue et l’étude des œuvres magistrales, et ne négligeait aussi aucune occasion de contempler les ouvrages nouveaux des artistes contemporains, ou les collections, les galeries célèbres enlevées au feu des enchères. C’est ainsi qu’il devint un connaisseur très sûr et très fin, dont le jugement ne se serait jamais égaré sur la valeur d’un tableau ou d’une sculpture.
En demeurant le collaborateur subordonné aux exigences du maître, il devait forcément rester dans l’ombre, et, pour sortir de cet état précaire, il dut prendre le parti de quitter l’atelier Gigoux et de travailler seul, pour lui-même. Mais hélas ! il allait être obligé de faire trop souvent du métier, et cette dure nécessité lui commandait alors de se livrer à des besognes ingrates. Nous le savons d’autant mieux, qu’à cette époque nous l’avions rejoint à Paris, et que, pendant tout le temps que nous y étudiâmes, notre atelier fut à sa disposition.
Quoiqu’il eût toujours négligé de faire partie d’aucune coterie, il ne fut pourtant point tout-à-fait isolé, car il rencontra à Paris des Franc-Comtois qui s’intéressèrent à lui. Sur la présentation d’un de ses anciens camarades de collège, le fils du conseiller Béchet, il fut bien accueilli dans la famille de notre célèbre compatriote le philosophe Jouffroy, et ce fut aussi cet ami qui le présenta dans la famille de son beau-frère, à Quingey, chez MM. Gannard. Nous citerons plus loin les principaux des ouvrages que Perron exécuta pour cette famille, chez laquelle il resta près de deux ans, en deux séjours qu’il y fit à quelques mois d’intervalle. Mais ce fut là seulement comme une oasis sur le parcours de la vie aride qu’il devait achever à Paris.
C’est à Paris qu’il exécuta de nombreux portraits commandés par des Américains. Ces peintures, qui ne sont plus en France, sont perdues pour nous. Les étrangers étaient renseignés sur le talent de l’artiste par ses anciens camarades d’atelier, et les journalistes d’au-delà de l’Atlantique, sur le vu de ces ouvrages, prenaient notre ami pour une des célébrités artistiques de Paris. Nous nous souvenons encore du triste sourire qui erra sur ses lèvres, lorsqu’un jour il reçut un numéro de journal rédigé en Espagnol, où on le disait bien digne de la haute célébrité qui lui était acquise en France.
Perron, luttant contre la misère, fut encore obligé de travailler pour un artiste dont nous tairons le nom, et qu’une affection grave de la vue empêchait de peindre. Le principal ouvrage qui sortit de cette collaboration, fut un tableau important, placé maintenant au Musée de Versailles. Il est peint en entier de la main de Perron, d’après la composition et les esquisses du maître dont il porte la signature.
Lorsqu’arriva la guerre, notre peintre demeurait à Boulogne ; il était souffrant, et se réfugia pendant le siège de Paris chez une de ses connaissances, M. R***, avenue d’Orléans : c’est là qu’il mourut subitement le 13 novembre 1870.
Si l’on songe qu’il venait seulement d’atteindre l’âge de quarante sept ans, on doit bien regretter que cet artiste n’ait pas fourni une plus longue carrière, pour vaincre peut-être la mauvaise fortune, et donner toute la mesure de son talent
Les nombreux petits tableaux, esquisses ou études laissés par lui dans son logement de Boulogne, y furent vendus, ainsi que ses meubles, et nous regrettons de n’avoir pu trouver de renseignements sur le nombre et l’importance de ces peintures, afin d’en donner la nomenclature, et d’indiquer où l’on pourrait les voir, car certainement, selon son habitude, le peintre n’avait pas signé ces ouvrages.
Quoiqu’il sût bien dessiner, Perron se distinguait plutôt par la couleur. Tout ce qui sortait de son pinceau avait un très grand charme, produit par la finesse et la suavité des tons. Cette peinture, d’un aspect de vaguesse séduisante, tout en ayant un cachet bien original, faisait penser à Prud’hon, à Murillo, et même au Corrège, le peintre que Perron avait en prédilection. Cet aspect, la nature le lui donnait, son œil la voyait ainsi, et ce n’était point le résultat d’une manière, d’un parti pris de convention. Ses petits tableaux de genre avaient de l’analogie avec les œuvres de Diaz et parfois même auraient soutenu la comparaison avec la peinture de ce dernier.