art, artiste, sculpture, sculpteur, Franche-Comté

Charles Antoine Flajoulot

Besançon, 1774 - Besançon, 1840


Né à Besançon, en 1774 ; mort à Besançon, le 15 septembre 1840. Professeur à l'École de dessin de Besançon. Disciple et admirateur de David, ce peintre était un excentrique qui se proclamait le roi du dessin. De 1817 à sa mort, il a cependant formé un grand nombre d'artistes franc-comtois, parmi lesquels Baille, Courbet, etc. Il enrichit l'École de dessin d'une galerie de moulages d'antiques et légua ses collections à la ville de Besançon.


ICONOGRAPHIE :

- Portrait à mi-jambes, assis dans un fauteuil, un manteau sur les épaules, le bras droit appuyé sur une console où se trouve une lettre adressée à « Monsieur Flajoulot, fondateur du Musée des Antiques à Besançon », peinture par Edouard Baille (musée de Besançon).

- Médaillon, par Paul Franceschi (cimetière de Besançon).


ÉGLISES :

- Besançon, Chapelle de l'Asile départemental du Doubs : Saint Jean l'Aumônier distribuant son bien aux pauvres.

- Delain (Haute-Saône) : La Conception de la Vierge, 1831.

- Franois (Doubs) : La Nativité, copie d'après Annibal Carrache. Saint Isidore, 1830.


MUSÉES :

- Besançon: Saint Jean l'Aumônier, esquisse du tableau de l'asile du Doubs. Persée. venant de délivrer Andromède, se lave les mains dans une fontaine, copie d'après Jean-Baptiste Regnault.

In : Abbé Paul Brune,
Dictionnaire des Artistes et Ouvriers d'Art de la Franche-Comté, 1912.




Flajoulot, c'est le nom de ce personnage, a laissé dans la province une telle réputation d'étrangeté, que son souvenir s'y perpétue comme celui d'une créature fantastique.

Je vois encore ce profil en casse-noisette, perché sur un corps interminable et décharné ; cet œil noir, ces grands bras incessamment agités par un enthousiasme fiévreux. C'était le Don Quichotte de la peinture. Il professa plus de vingt ans, exalté par un lyrisme perpétuel, un art qu'il ne parvint jamais à pratiquer, et il dispersa dans les églises les ébauches les plus fougueuses dans leur inconsistance. Telle était la bizarrerie de ce chevalier errant de la muse, que les enfants le suivaient par les rues. Chacun répétait les mésaventures dont il était le héros ; mais, par l'ardente conviction de son culte artiste, tout en prêtant à rire, il échappait au ridicule. S'il eût habité Paris, son aspect, aussi étrange que son organisation, aurait appelé une popularité équivoque sur ce nourrisson oublié de la gloire, qui se consumait dans l'adoration de cette marâtre.

L'audace et les flammes du génie resplendissaient dans son cœur et sur ses lèvres ; l'homme avait l'impuissance d'un enfant. Mais, dans ses œuvres, il croyait voir ce qu'il rêvait d'y mettre, et il improvisait devant des croûtes les plus sublimes descriptions.

Hoffmann n'a-t-il pas imaginé, dans ses contes, un certain halluciné qui démontrait, en face d'une toile blanche, les merveilles d'un pinceau chimérique ? Il avait deviné Flajoulot.

À cette illusion près, ce dernier pensait juste ; ses vues étaient élevées, ses conseils excellents ; il savait faire copier un modèle, enseigner ce qu'il échouait à produire, diriger un élève dans le sentiment large et pratique de l'art et le préserver des mesquines puérilités qui refroidissent tout. Cet esprit ténébreux, çà et là pailleté d'étincelles de raison, se classe entre ces fous qui, suivant Hésiode, appartiennent à Jupiter. D'ailleurs, il était poète, et rimait, sur les plus nobles inspirations, des vers détestables. L'exécution lui manquait sous toutes ses formes.

J'insiste à dessein sur cet artiste bizarre, déplorable et non médiocre, et mauvais sans vulgarité. Il a produit, on le verra plus loin, les deux peintres les plus renommés de cette école bisontine, en ce sens qu'ils n'ont pas eu d'autre maitre : il a même laissé, dans le monde artistique de Paris, une trace éphémère, peu de semaines avant sa mort, en 1840.

Charles Nodier, qui l'aimait depuis l'enfance, réunit à l'Arsenal, pour lui préparer une petite fête, une phalange de peintres illustres et presque trop aimables, qui, se prétant aux désirs du spi-rituel académicien, accueillirent Flajoulot comme un doyen, comme un confrère et comme un maître. Environné de ces noms glorieux qui l'inscrivaient familièrement sur leur livre d'or, Fla-joulot, ce déshérité de la gloire, se crut transporté dans les sphères édeniques des Champs-Elysées.

Sa raison, qui n'avait plus guère à perdre, résista à une telle ivresse ; mais l'excitation d'un si grand bonheur acheva de l'épuiser. Il bénit ses élèves et leurs disciples, plus célèbres que lui ; il précha les pures doctrines ; il fut tout en attendrissement et en exaltation pendant quinze jours, et, de retour à Besançon, il dit à ses amis d'une voix éteinte : « Leur amitié m'a tué, mais je m'en vais bien heureux ! »

Six semaines après il expira.

Il habitait, derrière la cathédrale, avec son frère, idiot et contrefait, qui lui servait de factotum et de gardien : cerbère jaloux de son peintre, qu'il adorait. Flajoulot mort, l'innocent cessa de parler et resta plongé dans un état complet d'inertie. Cependant il se ranima un instant, le jour où l'on vendit le mobilier du défunt.

L'idiot avait vu disparaître, dans une complète impassibilité, les meubles, les tableaux de son frère ; mais, au moment où l'on détacha du mur une guitare dont jouait souvent Flajoulot, il arriva que l'instrument heurté rendit un son confus. Accroupi dans un coin, le pauvre innocent répondit à cette note perdue par un gémissement plaintif ; il se souleva, tendit les mains en avant, et tomba mort.

Ces détails m'ont été transmis par un magistrat de la Cour, M. le président Monnot-Arbilleur, arrière petit-neveu du sculpteur Monnot le Romain, et l'un des esprits les plus charmants, les plus distingués de cette génération. Le président s'était constitué le tuteur de Flajoulot, ce vieil enfant qui écoutait ses conseils et les infirmait parfois avec un bon sens étonnant. — Tu es né peintre, lui disait un jour cet ami ; tu composes avec chaleur ; tu esquisses d'un jet heureux le plan d'un tableau : apprends à l'exécuter. Nous avons des Rubens, des Titien, des Véronèse admirables ; exerce-toi à les copier et tu acquerras cette habileté manuelle qui t'a fait défaut.

— Tu sais lire ? lui répondit Flajoulot ; tu connais l'histoire et les lois de la poésie dramatique ? Eh bien ! fais-moi le plaisir de copier ou d'apprendre par cœur le Cid, Phèdre et les Femmes savantes : tu deviendras certainement Molière, Racine ou Corneille...

La pensée de ce peintre, privé d'organes pour exprimer, se perdait dans les régions de l'idéal ; les théories de l'art pour l'art même, aux dépens de l'inspiration, l'indignaient. — Ils n'ont vu le Temple des arts que par le trou de la serrure ! s'écriait-il à ce propos avec une fureur comique.

S'il ne fût mort de joie en 1840, le réalisme l'aurait fait mourir de chagrin, car le chef de cette école a été son dernier élève.

Flajoulot, qui n'a jamais pu parvenir à exécuter ni un dessin, ni une peinture, a été le maître unique d'un artiste extrêmement souple et des plus habiles à exécuter, comme dessinateur, comme graveur et comme peintre : l'auteur des illustrations du Gil-Blas, de la Mort de Léonard de Vinci et de la Cléopâtre, le maître de Baron et de Français. M. Gigoux, qui s'est formé à peu près seul, n'a pas eu d'autre professeur que Flajoulot.

Enfin, cet arrière-neveu de l'école de Wyrsch, si différent de son aïeul, ce professeur mythologique et fantastique, pour qui la couleur, pour qui les effets sont restés d'impénétrables mystères, et qui sacrifia la réalité à l'idéal, Flajoulot a donné les seules leçons qu'il ait jamais reçues à Gustave Courbet...

Ici, le contraste atteint sa limite extrême ; de son point de départ, l'école a cheminé jusqu'à l'antipode. Cependant, l'excès même des divergences établit des rapprochements d'idées entre les faits les plus disparates. Éminents tous deux, Wyrsch, Courbet, tant est vaste le domaine des arts, ont des qualités d'exécution aussi évidentes qu'elles sont incompatibles comme procédé. L'un a subi l'outrage de l'oubli ; l'autre a été nié avec obstination. Wyrsch, qui a voulu savoir, fut redevable à l'étude de ses plus intimes qualités ; Courbet qui, effarouché peut-étre dans son enfance par les théories dithyrambiques de Flajoulot, répudie audacieusement les traditions, a été engendré peintre, avec un don merveilleux qu'il ne doit qu'à la nature.

Vaut-il mieux naître peintre que de le devenir ? Question souvent posée, à laquelle on ne répondra jamais ; car personne ne s'est vu placé dans l'alternative de choisir. Dans les arts, rien ne remplace la vocation, et c'est surtout par leurs qualités naturelles que les peintres défient le temps.

La carrière de Melchior Wyrsch, artiste suffisamment doué, montre ce que peut ajouter à une originalité douteuse, les études patientes et obstinées : qu'elle soit donc, pour ses arrière-neveux, même pour ceux qui l'effaceront, un dernier conseil, et la mora-lité des pages que nous lui avons consacrées !

In : Francis Wey, Melchior Wyrsch et les peintres bisontins, Besançon, 1861.