art, artiste, peintre, peinture, Franche-Comté

Ferdinand Gaillard

Paris, 1834 - Paris, 1887


Ferdinand Gaillard, "malgré" sa naissance et sa vie parisienne, se sentit toujours appartenir à ce que lui-même appelait la race franc-comtoise. Un talent sûr, une réussite nationale et internationale et une estime de soi à toute épreuve qui écorne quelque peu la prétendue modestie atavique des Francs-Comtois…
On lira donc avec un intérêt jubilatoire l'édifiante et vraie-fausse biographie que Caroline de Beaulieu (pseudonyme de… Ferdinand Gaillard) lui consacra en 1888 (un an après sa mort !). Un monument de l'hagiographie artistique, dédié, à n'en pas douter, au sens critique et à la modestie…


int

FERDINAND GAILLARD MAITRE GRAVEUR (1834-1887)

Caroline de Beaulieu, 1888.


Il y a un an à peine la tombe se fermait sur l'un des plus grands artistes de notre siècle ; et, la presse s'unissant au deuil de l'art, petits et grands journaux parlèrent au public du graveur des portraits de Pie ix et de Léon xiii, chacun disant ce qu'il savait, ou croyait savoir, sur la personnalité de Ferdinand Gaillard.
La difficulté de se procurer des documents certains sur un artiste vivant si fort en dehors du cabotinage moderne n'arrêta pas la plume légère de certains journalistes, pour lesquels il s'agit surtout d'arriver bon premier sur le champ de l'actualité. L'imagination des lecteurs aidant aux suppositions et aux insinuations des biographes, on se raconte, dans les salons où l'on cause des choses de l'art et de ses grands prêtres, une jolie petite légende où rien ne manque : chagrins de cœur, conversion, folie mystique, etc., etc. Il en faut bien rabattre pour retrouver la grande et simple figure de l'artiste chrétien : âme forte, enthousiaste, planant constamment au-dessus des vulgarités, et ne descendant des régions sereines que pour se reposer au foyer de famille, à peine élargi pour quelques amis de sa laborieuse jeunesse. Là, oubliant les douleurs qui minaient lentement sa constitution délicate, il se dépensait tout entier, animant l'intimité des saillies d'une gaieté restée juvénile jusqu'au dernier jour.
Ferdinand Gaillard, que personne ne croyait sérieusement attaqué, est mort le 18 janvier 1887. Il était né à Paris, rue Zacharie, sur la paroisse Saint-Séverin, le 16 janvier 1834, dans le modeste intérieur d'une famille franc-comtoise ; son père était mécanicien à l'usine Dérosne et Cail. L'ambition de l'honnête artisan était de voir son fils exercer le même état à un degré supérieur, moins dur et plus scientifique ; il visait la fabrication des instruments de précision, laquelle exige des connaissances spéciales, qu'il comptait bien faire acquérir à l'enfant.
Toujours gai, jamais bruyant, aussitôt que sa main put tenir un crayon, Ferdinand poussait près de la fenêtre une petite table, sur laquelle il portait tous les morceaux de papier qu'il se pouvait procurer, et crayonnait, crayonnait de longues heures, oubliant le jeu aussi bien que l'heure du goûter.
À cinq ans, la conception de l'enfant s'affirmait, ses dessins prenaient une forme intelligente et bégayaient la pensée. Cette disposition de son fils confirmait M. Gaillard dans son projet : Ferdinand dessinateur serait un habile mécanicien, les ateliers de M. Charrière répondaient parfaitement à ce rêve ; mais, l'heure venue, ce fut à la porte de l'école qui leur fait face que l'enfant alla frapper.
Ferdinand Gaillard ne fit point son éducation chez les Frères, ainsi que l'ont affirmé quelques- uns ; le Tertiaire de Saint-François ne puisa donc pas sa vocation dans une sorte de théologie de séminaire, elle fut le résultat de l'illumination intérieure de son intelligence.
À six ou sept ans, il entra chez M. Hurel, maître d'école, rue Saint-Jean de Beauvais. Il y reçut le degré d'instruction ordinaire aux écoles primaires de ce temps, où le catéchisme faisait partie du programme universitaire. Doux, sérieux, appliqué, malgré l'enjouement de son caractère, le jeune écolier, quoique déjà possédé du démon de l'art, prit des sciences élémentaires ce que toute intelligence en pouvait prendre, et l'année qui suivit sa première communion, ayant toujours occupé les premières places, il put se croire suffisamment éduqué. Tourmenté de la fièvre du dessin, il résolut de ne plus perdre son temps à autre chose.
Parisien de la tête aux pieds, Gaillard n'en possédait pas moins les qualités et les défauts de sa forte race originelle. Il marchait droit devant lui, sans se préoccuper des difficultés du chemin ; il ne les tournait pas, il y faisait une trouée. En nous contant la façon dont s'y prit le jeune homme pour quitter l'école, Madame Gaillard, qui porte vaillamment et sans aucune infirmité le poids de ses quatre-vingt-quatre ans, nous disait : « Mon fils a toujours fait ce qu'il a voulu : après une vacance, il prit ses cahiers, ses livres, et, les portant à son professeur, il le remercia des soins qu'il en avait reçus et lui annonça que, ne voulant plus s'occuper que du dessin, il se trouvait suffisamment savant. »
De retour à la maison, il fit remarquer à ses parents qu'il avait plusieurs fois recommencé l'étude de ses livres, qu'il n'en saurait plus tirer aucun profit, que, donc, le temps passé à la classe devenait inutilement perdu. « S'il en est ainsi, dit le père, il faut remercier le maître d'école. — Ne vous dérangez pas pour cela, mon père, je l'ai remercié ce matin », répondit le garçonnet, qui dirigeait déjà sa vie.
La question de l'apprentissage souleva bien quelques discussions ; la mécanique n'offrait aucun attrait au futur grand artiste, il ne voulait que dessiner ; force fut bien de trouver un métier dont le dessin fût la base. D'art, il n'était point question ; si la précoce volonté de l'enfant voyait en rêve la route des grandes études artistiques, il n'en soufflait mot. Déjà maître de lui, il sut incliner les volontés paternelles vers l'accomplissement de son désir. Dès ses premiers pas dans la vie, Ferdinand Gaillard exerça merveilleusement la qualité maîtresse de son esprit, quelque peu dominateur et tenace ; il s'imposait par la douceur, vérifiant la parole de celui qu'il prit pour maître, lorsqu'il eut reconnu le néant des joies humaines : Bienheureux ceux qui sont doux parce qu'ils posséderont la terre. (S. Matth., chap. v.) « Beati mites quoniam ipsi possidebunt terram. » Il y avait alors à Paris un graveur anglais, non point artiste, mais reconnu le plus habile dans l'exécution de la partie industrielle de son art. Il habitait rue de la Harpe ; les grands libraires se disputaient ses vignettes ; l'éditeur Furne, à l'apogée de sa réputation, l'occupait particulièrement ; Hautpoul grava, pour lui, les portraits de l'Histoire de la Révolution.
M. Gaillard, désireux de mettre son fils en des mains capables et sûres, le présenta au graveur le plus en réputation, pour le métier. Hautpoul demanda six ans d'apprentissage, mais il refusa absolument de signer aucun traité ; objectant le peu de sûreté qu'offrait le gouvernement en France (on était en 1847) et l'intention qu'il avait de retourner en Angleterre si la situation politique influait sur les affaires commerciales. Hautpoul, en effet, quitta la France vers 1850 ; son jeune élève, déjà très fort dans l'exécution du pointillé, que l'anglais faisait en perfection, dut changer de maître ; il entra chez Couturier.
Couturier n'était pas plus artiste que le graveur des portraits au point ; il faisait des vignettes de sainteté, pour les marchands de la rue Saint-Jacques, laquelle possédait encore, en ce temps, le monopole de l'imagerie, depuis les gravures d'Epinal, les étiquettes pour toutes les industries, jusqu'à la grande estampe. Les démolitions de la petite place Saint-Jean de Latran et le percement du boulevard Saint-Germain ont dispersé les vieilles maisons des éditeurs, libraires et imaigiers, connus depuis plus de deux siècles de toutes les générations de graveurs, de dessinateurs et de coloristes.
Ce fut donc chez Couturier, rue Saint-Victor, au coin de la rue des Boulangers, que l'auteur des aquarelles exquises, copies des peintures de Pompeïes, termina son apprentissage. Gaillard habitait alors la rue Saint-Dominique, au Gros-Caillou. Son père y tenait un petit café voisin de la maison du sculpteur Chapu, père de Henry Chapu, aujourd'hui membre de l'Institut. Le futur auteur de l'admirable figure du tombeau de Mgr Dupanloup et le futur graveur de L'Homme à l'œilletFerdinand Gaillard, L'Homme à l'œillet d'après Jan van Eyck se rencontraient aux cours de la rue de l'Ecole de médecine ; là commença l'inaltérable affection qui unit les deux éminents artistes. L'enseignement de la rue de l'Ecole de médecine ne visait point en ce temps-là les arts industriels ; on la regardait, au contraire, comme la première étape de l'Ecole des beaux-arts. Les deux jeunes gens partaient tous les matins ensemble, et continuaient le soir, toujours ensemble, à travailler chez les Frères du Gros-Caillou, dont les classes de dessin étaient fort appréciées ; tous deux se distinguaient entre les plus forts, comme entre les plus zélés, et chaque concours leur apportait éloges et médailles.
Certes, ce n'est point chez Hautpoul ni chez Couturier que Ferdinand Gaillard prit le goût du grand art, mais c'est là sans nul doute qu'il en eut la révélation par les conversations qu'il y entendait et la fréquentation des véritables artistes ; il n'en fallait pas tant pour allumer l'étincelle, encore obscure au fond du cerveau de l'enfant. Son esprit délicat et fin mesura bientôt la distance qui sépare la pratique, même parfaite, du simple bégaiement de l'art ; il visait toujours les sommets, et. lorsqu'il se sentit assez fort, il voulut en prendre la route et entra résolûment à l'Ecole des beaux-arts.
Elève de Léon Cogniet, ainsi que son ami Chapu, Ferdinand Gaillard continua sa marche en avant du même pas sérieux et sûr. Bien que la couleur séduisît déjà son imagination, les connaissances approfondies qu'il possédait de la pratique du graveur le décidèrent à demander à cette branche de l'art ses grandes entrées dans la famille des artistes. À dix-huit ans, il fut présenté à David d'Angers qui devina les aptitudes sérieuses du jeune homme et le prit en affection ; en 1852 un second grand prix le délivra des soucis de la conscription. En 1856, il remporta le premier grand prix de gravure, et partit pour Rome, où il retrouva Henri Chapu qui l'y attendait depuis un an. Le bonheur de rejoindre son ami ne fut pas une des moindres joies du nouveau pensionnaire de la Villa Médicis.
Dès son arrivée à Rome, le jeune graveur affirma sa personnalité par une extrême indépendance de procédé de travail et de direction dans ses études ; il ne s'attarda pas aux beautés des musées de la Ville éternelle, il parcourut l'Italie et fit une pointe en Grèce. Quoiqu'il menât la vie des jeunes gens de son âge, ses habitudes de simplicité, son dédain des servitudes matérielles et sa soif de travail le retinrent dans la voie droite, que les enthousiasmes de son imagination lui durent rendre glissante. Si, parfois, son exubérante gaieté, la vivacité de son esprit l'entraînaient, il se reprenait vite ; nature exquise et pondérée, il restait maître de ses actions et de ses sentiments.
L'étude du dessin ne remplissait pas seule la vie du laborieux artiste ; dès son entrée à l'Ecole des beaux-arts, le bagage scientifique emporté de la rue Saint-Jean-de-Beauvais lui sembla bien léger : il ne lui parut pas suffisant d'étudier, d'admirer les chefs-d'œuvre des maîtres pour arriver un jour à les égaler. Il comprit qu'il les fallait connaître eux-mêmes, les pénétrer dans leur pensée, y suivre l'éclosion de leurs œuvres, en les voyant vivre et se mouvoir dans les lieux où ils les ont conçues ; et, pour en juger la portée, n'être point soi-même étranger aux mœurs et aux idées de ceux pour lesquels elles furent exécutées. Ferdinand Gaillard ne s'arrêtait point aux considérations stériles ; homme d'action, il allait toujours en avant, et lorsque ses aînés le reçurent à Rome, ils le trouvèrent au niveau des plus érudits, ses amis s'étonnèrent quelquefois de la profondeur de son jugement et de la justesse de ses critiques.
La douceur de son caractère, sa réserve discrète, son obligeance et sa gaieté le firent aimer de toute l'école. Il partageait les plaisirs et les excursions de ses amis, il animait leurs réunions par sa joyeuse expansion sans perdre une sorte de retenue naturelle, qui lui était particulière, et qu'il imposait aux autres à son insu : tous ceux qui l'ont connu ont subi cette influence qu'il a exercée toute sa vie. Son dédain du confort le faisait riche et décuplait son temps, ce qui lui procurait une grande liberté ; il en profitait pour visiter l'Italie. Déjà fort attiré par les séductions de la couleur, il courut à Florence. Là, son enthousiasme ne connut point de bornes ; il voulut pénétrer le secret du coloris merveilleux des maîtres florentins, et l'eût peut-être trouvé, tant sa volonté opiniâtre secondait les efforts de son intelligence, si un nouvel enthousiasme ne l'eût détourné de l'école florentine. Ses études à Florence exercèrent cependant une grande influence sur son esthétique de graveur autant que de peintre. Il pensait que sur l'ébauche en grisaille les maîtres coloristes modelaient par glacis superposés et obtenaient ainsi les transparences chaudes et délicates qui le ravissaient. La manière de procéder du maître-graveur n'est pas sans analogie avec ce faire. On s'en convaincra en étudiant les premiers essais du Saint Georges d'après Raphaël, ceux du portrait de Pie IX, et ceux du portrait si vivant de la sœur Rosalie.
Comme peintre, Gaillard semble avoir abandonné les maîtres florentins pour les maîtres primitifs ; cependant, quelques-unes de ses toiles, entre autres l'Homme à la guitare et la Vierge au lys, en sont un ressouvenir.
La Grèce détourna Gaillard de la peinture florentine. M. Chapu, désireux d'avoir quelques détails précis sur certains monuments de l'Attique, envoya 500 fr. à son fils pour qu'il fit le voyage et lui prît des croquis. Des travaux pressés et promis retenaient le jeune sculpteur, qui ne se séparait guère de son ami. Il lui conta son ennui de ne pouvoir quitter l'Italie.
— Eh bien, s'écrie Ferdinand, si je partais, moi !
— Certes, c'est une idée ! tiens, voilà l'argent, mets-toi en route !
Toute la poésie de la vieille Grèce monta au cerveau de l'artiste, mais il est hors de doute que la terre de Phidias et d'Apelle ne répondit pas aux rêves de son active imagination. Exhumé pièce à pièce de son lit de sable, aride et blanc, par la pioche scientifique des antiquaires, le spectre d'Athènes n'a plus rien des grâces de la reine d'Ionie. Malgré sa prudence et son économie, la bourse du jeune homme était légère, Gaillard rapporta peu de chose de sa visite au berceau de nos arts. Aux déceptions de l'artiste se joignirent les étonnements indignés, soulevés dans la conscience droite et fière de l'honnête homme, devant les ruses et les agissements de certains fonctionnaires.
Le directeur de l'Ecole d'Athènes, M. Le Normand, accueillit avec faveur le pensionnaire de la Villa Médicis et lui facilita les études qu'il désirait faire. Il l'emmenait dans ses visites aux fouilles ; il l'initiait aux travaux des ouvriers, et à ceux de la Commission française, chargée de reconnaître et de conserver les objets arrachés au sol. Dûment classé, soigneusement numéroté, ce qui reste des Vénus et des Minerves, les chapiteaux écornés et les débris d'amphores sont rangés dans une salle, sorte de musée que l'on invite le roi de Grèce à visiter tous les ans. Cette visite de cérémonie était attendue au moment du séjour de Gaillard. Un matin, qu'il travaillait dans la salle, on l'avertit que la Commission avait invité, pour le surlendemain, le roi et les ministres à se rendre compte des richesses recueillies pendant l'année. Le jeune artiste, un peu surpris, constata la pénurie des étagères, et se demanda s'il était bien urgent de déranger pour si peu un roi et son gouvernement. M. Le Normand lui recommanda de ne point manquer la visite royale ; il désirait le présenter à Sa Majesté avec la Commission et les artistes présents à Athènes. Il n'y avait point à refuser. Gaillard, assez peu satisfait, dans sa vanité de Français et d'artiste, de la pauvreté de l'exhibition, crut à quelque féerie lorsque, le lendemain, entrant dans la salle du Musée, il la vit absolument remplie de statuettes curieuses, de vases admirables, de fragments de statues considérables et précieux. Il eut bientôt le mot de l'énigme. Un jour avait suffi à déménager les pièces les plus rares des boutiques des marchands de curiosités, fort nombreux à Athènes et dans toutes les villes de Grèce ; grâce à cet appoint, on a tous les ans une exposition magnifique ; Sa Majesté hellénique se félicite de ses richesses souterraines, le gouvernement vote des fonds pour les rendre à la lumière et à l'admiration des savants et des artistes, et attirer les étrangers dans leur Attique, qui ne fait plus guère d'autre commerce que celui des souvenirs. Cela, de plus, fait travailler les ouvriers, la Commission triomphe, les marchands vendent quelques Antiques, chacun se congratule, et l'on recommence ainsi tous les ans.
Jamais Gaillard ne voulut entendre aux raisons politiques et commerciales de cette comédie ; toute fraude, tout mensonge l'exaspérait ; l'indignation et le dégoût qu'il éprouva lui firent hâter son retour à Rome.
Chemin faisant, le jeune artiste visita quelques villes ; partout il étudia profondément, il ne se pressait jamais de voir ; ne se contentant pas d'à peu près, pour fixer le souvenir, il remettait à plus tard d'examiner et de juger ce qu'il ne pouvait, faute de temps, suffisamment approfondir.
Ce revoir des œuvres qu'il désirait étudier fit l'objet de ses nombreux voyages. Hanté par le souvenir de quelque chef-d'œuvre, il partait, sans dire gare ; puis revenait, l'étude faite, en appliquer le fruit au travail qui en avait provoqué l'idée. C'est ainsi que le peintre graveur resta, toute sa vie, en communion avec les maîtres qu'il aimait.
Pendant son passage à la Villa Médicis, Ferdinand Gaillard s'occupa moins de graver que de dessiner ou de peindre ; en ce, il eut raison. Il savait le métier, l'ayant consciencieusement appris aux bonnes sources ; l'outil n'était plus rien pour sa main intelligente et habile ; ce qu'il lui fallait saisir, c'était le souffle subtil de l'art. Aussi ne s'enfermait-il point dans un atelier ; mais passait-il ses journées dans les galeries et les musées, travaillant partout avec une égale persévérance et une égale ardeur. Cependant, premier prix de gravure, il devait à l'Ecole des beaux-arts l'œuvre exigée des pensionnaires de l'Académie. Il envoya de Rome le portrait de Jean Bellin, d'après une peinture de ce maître. On reconnaît au milieu des tâtonnements de l'inexpérience le germe des qualités qui ont placé au premier rang le graveur vraiment original et personnel. De Rome l'habile dessinateur envoya aussi l'admirable Vénus du Titien du musée Uffizi, copie au crayon noir faite en vue d'une gravure que des scrupules de conscience lui empêchèrent d'achever. Le travail le plus intéressant de la jeunesse de l'éminent artiste est la collection, fac-similée, à l'aquarelle ou à la gouache, des peintures de Pompeïes. Dès son arrivée dans la ville ressuscitée, Gaillard remarqua l'étrange différence des œuvres antiques à leurs copies connues en France ; sa disposition naturelle aux procédés simples lui facilita la compréhension de l'art pompeïen, que nul autre artiste n'a serré de si près. Enthousiaste de la grâce et du naturel de ces figures exquises, il entreprit de les reproduire, pour s'en faire un trésor de souvenirs et d'études. Il exécuta ce projet dans l'esprit de sincérité et de respect qu'il apportait à tout travail de copie, art qu'il a porté à sa perfection. L'exactitude absolue, respectueuse de l'œuvre reproduite est fort rare ; elle exige de l'artiste une pénétration profonde, et l'oubli de soi ; Gaillard, devant un maître, se tenait également éloigné de l'interprétation et de la servilité, il poursuivait la pensée créatrice et la faisait sienne en l'exprimant par ses moyens propres ; de là, ses merveilleuses copies des Primitifs, telles que celle de la Vierge et l'Enfant de Botticelli.
La suite des peintures de Pompeïes, dit M. Paul Mantz, dans son article sur Gaillard (Temps, 25 mars 1887), « donne au regard l'illusion du décor antique avec ses rugosités de surface, les blessures de la muraille, les lacunes de l'enduit disparu ; on y reconnaît surtout un sentiment de l'art pompeïen qui n'a jamais été poussé aussi loin. »
Gardées en portefeuille, les peintures pompeïennes étaient fort peu connues ; l'Education d'Achille, la Joueuse d'osselets, La Toilette, exposées au Salon, avaient seules attiré l'admiration étonnée des amateurs et du public.
L'administration des Beaux-Arts a voulu garder cette collection précieuse, elle l'a achetée 4.000 fr. à la succession du maître regretté.
Le musée de Naples retint longtemps Gaillard ; il y passait de longues heures, il eût voulu en copier tous les chefs-d'œuvre ; plusieurs fois rappelé à Rome par le directeur de l'Ecole, le jeune artiste trouvait toujours quelque prétexte pour prolonger son séjour. M. Schnetz dut lui enjoindre de reprendre la route de l'Académie. « Tous les élèves sont depuis longtemps à leur atelier, lui écrit-il ; vous seul oubliez le temps écoulé, il faut vous décider à rentrer au bercail. »
Les amitiés formées à Rome entre ces jeunes gens pleins de sève et d'enthousiasme sont sincères et fécondes ; Gaillard leur resta fidèle. Un de ceux qu'il aima le plus tendrement fut Charles Sellier, lauréat du Grand Prix en 1857. Cet artiste arrêté par le Rêve ne donna pas sa mesure, mais il fut pour le graveur, s'essayant à la peinture, un précieux initiateur. Sellier, adorateur de la lumière, en poursuivait les mystérieuses transparences, et, bien que l'esprit très positif de Gaillard le retint dans la voie de la raison et de la vérité, les séduisants mirages du jeune Lorrain ne furent pas sans influence sur ses premières études ; il en garda, avec le sentiment des ombres transparentes, la préoccupation des reflets dont on remarque les effets heureux dans son œuvre de graveur et dans son oeuvre de peintre.
Après cinq années laborieusement remplies, Ferdinand Gaillard revint à Paris, ses portefeuilles gonflés d'études et de croquis, l'âme à jamais possédée par l'amour de son art. Il s'installa rue du Helder, dans un petit appartement, où il prépara son salon de 1864 : l'interprétation définitive du portrait de Jean Bellin, Horace Vernet, gravure d'après le dessin de Paul Delaroche, et le dessin de la Vénus du Titien, d'après le tableau de ce maître à Florence.
La rue du Helder convenait mal aux habitudes de Gaillard. Bien qu'il n'eût jamais eu pour le monde l'amour que quelques-uns lui ont prêté, ni l'horreur que pouvaient lui supposer ceux qui croient la religion morose et bourrée d'épines, il aimait surtout le calme nécessaire aux profondes études, et aussi les vastes lambris que l'on peut couvrir de ses essais et de ses souvenirs. Il traversa les ponts et s'arrêta rue de Madame. « Ferdinand Gaillard, dit Paul Mantz, resta un homme de l'autre côté de l'eau. » L'élégant et profond critique eût pu dire : un gentilhomme de l'autre côté de l'eau ; le grand artiste l'était par la nature de son talent et par son caractère, il l'était par ses goûts et par cette élévation naturelle qui vient de l'esprit et du cœur. Ses nombreuses relations dans le haut clergé et dans l'aristocratie lui ouvrirent ce monde envié, qui lui fit une place ; il n'y apporta ni l'assurance vaniteuse ordinaire à certains artistes, ni la fausse modestie, mais la droiture de son caractère , et la simplicité chrétienne qui met chacun à son rang.
Dans son vaste atelier de la rue d'Assas, l'artiste put s'entourer de ses travaux, de ses études de Grèce et d'Italie ; il y put chaque année, le jour des Rois, dresser pour sa famille et ses amis de jeunesse une table qui ne comptait jamais guère moins de quarante couverts rangés en fer à cheval, sur des planches soutenues par des tréteaux. Ordinairement Mme Gaillard, et Mlles Judissé, ses petites-filles, apportaient le linge de table, serviettes et draps ; il n'y avait pas de nappes assez grandes pour cette longueur ; mais il est arrivé quelquefois que, les draps oubliés, on mettait le linge ordinaire à l'artiste, des journaux étendus sur les planches ; comme il le faisait tous les jours sur le coin de table où il prenait ses repas, presque toujours debout, à la hâte, sans savoir ce qu'il mangeait, un morceau de charcuterie, un plat du restaurant voisin, envoyé chercher au dernier moment par son domestique, Eugène, déjà âgé, pauvre d'esprit, que la famille a gardé comme un legs de charité.
En 1865 Gaillard exposa la Vierge au livre, dessin d'après Raphaël, très réussi ; et la Vierge au donataire d'après Jean Bellin, estampe remarquable par la perfection avec laquelle le graveur a rendu la manière du peintre. Quel que fût le succès de cette œuvre, il fut dépassé par celui du Condottière, d'après Antonello de Messine.
Exécutée pour la Gazette des Beaux-Arts, cette gravure excita l'admiration des amateurs et l'étonnement des artistes ; elle marqua le premier pas de son auteur dans une voie de modernité originale, et toute personnelle. Il était arrivé, par des procédés qui lui sont et lui resteront propres, à rendre non seulement l'œuvre du maître, mais son inspiration, son génie et son faire. C'est du Condottière que date chez le maître-graveur la préoccupation de concentrer dans l'œil le caractère de ses figures, et, si l'on peut ajouter, la flamme de la vie.
De ce moment, la place de Ferdinand Gaillard était marquée parmi ceux que l'on cherche à chaque exposition et dont on suit l'œuvre, soit pour l'admirer, soit pour la discuter. Au salon de 1866, il donna un portrait de Marie de Médicis d'après Van Dyck, et une gravure, la Vierge, d'après Jean Bellin. Au salon de 1867, il exposa la très curieuse gravure, Mercure et Vénus, d'après Thorwaldsen, et le portrait du Perugin, d'après la fresque de Cambio, gouache exécutée avec la sincérité et le sentiment si personnel de l'artiste.
La première toile exposée par Gaillard fut le portrait de M. de B. en 1868. Le peintre n'obtint pas le succès du graveur ; ses qualités de dessin et de modelé ne sauraient être appréciées que par les artistes ou les connaisseurs ; sa couleur manque de vibration, elle est ordinairement monotone et lourde, elle n'est point de celles qui attirent l'œil des foules. Le disciple des Primitifs ne connaît pas les compromis, il fait ce qu'il voit, comme il le voit, et il le voit avec des yeux dont la vision pénétrante et nette perçoit le plus léger tressaillement du muscle sous l'épiderme, la plus légère déviation de l'ossature, le sillon de la ride la plus ténue. Les portraits de Mme... au salon de 1872, de Mgr de Ségur au salon de 1879, affirment, entre tous, l'intraitable véracité de l'artiste, devant laquelle il faut respectueusement s'incliner en admirant la force du vrai ; les peintures du maître-graveur, quoique d'aspect sombre et triste, sévère jusqu'à la dureté, attirent, rappellent et retiennent ; elles forcent l'attention par le sentiment profond du naturel et de la vie.
Il est fort remarquable que les aquarelles et les gouaches de Gaillard ne manquent ni de fraÎcheur ni d'éclat ; presque toutes exécutées en Italie, elles en ont gardé la radieuse lumière. La nature de l'artiste y était particulièrement sensible ; on peut dire que son idéal poursuivait le rayon ; il réussit à le fixer dans les yeux de la Sœur Rosalie. Le ciel de France, favorable aux œuvres de méditation et d'outil, telles que les gravures, changeait-il pour lui l'irradiation visuelle ? On le pourrait supposer ; quelquefois, lassé d'études qui ne répondaient pas à son vouloir, Gaillard partait pour quelque plage méditerranéenne. « Je vais, disait-il, chercher l'air et la lumière ! »
C'est assurément d'un de ses voyages au pays du soleil qu'il rapporta la Vierge au lys, toile exquise, exposée au salon de 1885. La composition en est aussi heureuse que l'inspiration en est gracieuse et simple. La Vierge est assise, présentée de trois quarts, sa robe rouge laisse voir la chemise froncée en guimpe des femmes du midi de l'Italie ; le divin Bambino, qu'elle soutient du bras gauche, lui tend ses petites mains, réunies dans un mouvement adorable de grâce et de naturel ; le sentiment des têtes est très particulier, et tel que le peut concevoir un artiste croyant, chose rare en notre temps. Le groupe se détache sur un paysage dans le goût florentin. La correction du dessin, d'un sentiment très fin, la douceur du modelé, qui n'a rien des rudesses ordinaires au pinceau de l'artiste, font de cette toile le chef-d'œuvre de Ferdinand Gaillard, en tant que peintre. Pour ne plus nous occuper que du graveur, un mot sur le saint Sébastien, étude de nu, actuellement au Luxembourg. En faisant les réserves de la tonalité, cette figure, d'une inspiration personnelle très puissante, d'un type élevé, est saisissante par l'expression de la souffrance, volontairement acceptée. La fermeté, la pureté d'un dessin de grand jet est soutenue par un modelé savant et très fin, qui place cette œuvre au premier rang des figures d'académie. Le saint Sébastien n'a pas le défaut ordinaire aux grandes toiles du peintre, le manque d'aspect. Gaillard, ne se préoccupant que de la nature, négligeait absolument l'art de la bien présenter ; presque toutes ses figures manquent d'ampleur, elles semblent ramassées ; la tête prend tout  ! C'est la grande faute du portrait en pied de Léon xiii ; faute encore accentuée par la note blanche des vêtements.
Les défauts reprochés au peintre furent les qualités exquises du maître-graveur ; sa rigoureuse correction de dessin et de modelé, son profond sentiment de la vérité le mirent au premier rang des peintres de portraits, peut-on dire, tant sa gravure a de couleur, de relief et de vie. Les portraits de Mgr de Mérode, de Dom GuérangerFerdinand Gaillard, Dom Prosper Guéranger, de Mgr Pie, ceux de Pie IX et de Léon xiii, gravés d'après nature, sont hors de pair.
Des plus curieuses à étudier, et des plus intéressantes, l'œuvre gravée de Ferdinand Gaillard est peu considérable ; fort habile et maître de son outil, il exécutait vite, mais il préparait longuement ; méditant, rêvant, essayant des effets, ne reculant point à gratter une planche achevée, lorsqu'elle ne rendait pas l'expression voulue.
On a pu voir, à l'exposition de l'Ecole des beaux-arts, les suites d'épreuves d'essais ; quelques- unes remplissaient des cadres, où se lisaient couramment, même pour les plus ignorants dans l'art de la gravure, les phases successives du travail de l'artiste : depuis le trait, à peine mordu sur le cuivre, jusqu'au modelé serré, ténu, de sa pointe acérée, jusqu'au travail arrivé à sa perfection.
Ce travail de gestation, Gaillard le faisait au crayon noir, à l'estompe, à l'aquarelle, demandant aux divers procédés de l'art les effets qu'il voulait fixer sur le cuivre. Le cadre des études de dessins et d'aquarelles exécutés en vue de la gravure des Pèlerins d'Emmaüs, d'après Rembrandt, est absolument curieux ; on y voit tout l'effort de l'habile interprète se concentrer au sentiment à donner à la figure, du Sauveur.
Cette lenteur de mise en train n'était pas nécessaire à la perfection du travail de l'artiste ; conséquence de son amour de l'exactitude et de la vérité, elle était voulue. S'il étudiait longuement, patiemment, par scrupule, il est telles pièces de son œuvre qui furent enlevées d'un seul effort ; et, soit qu'il exécutât après étude ou du premier jet, Gaillard exécutait avec enthousiasme.
« Regardez le maître, disait il, et lorsque vous sentez que vous l'avez compris, lorsque sa pensée est entrée dans la vôtre, allez hardiment, sans vous occuper de l'outil. » Ceux qui ont connu l'artiste savent combien peu il se préoccupait des méthodes ; il changeait de faire, selon le maître à interpréter et selon le caractère de l'œuvre. Cette souplesse merveilleuse l'amena du classique burin des portraits du comte de Chambord et de Pie ix, au travail ténu, serré, d'une incomparable finesse, de la gravure de l'Homme à l'œillet de Van Dyck, laquelle fit révolution, et posa l'artiste en novateur. Aussi remarquable par la fidélité de la copie que par le procédé d'exécution, la gravure de l'Homme à l'œillet fut terminée en quelques jours.
Lorsque M. Barthold Suermondt, alors propriétaire de l'admirable peinture, maintenant au Musée de Berlin, l'envoya à Paris, la Gazette des Beaux-Arts en publia un commentaire historique, et demanda, pour l'accompagner, une reproduction du chef-d'œuvre au graveur qu'elle appréciait entre tous. Les exigences de l'actualité sont impérieuses, le directeur voulait que la revue parût à son heure.
Gaillard ne recula pas devant les impossibilités : il fit en même temps une copie à l'huile du portrait de ce type étrange à jamais fixé par le maître flamand, et la planche étonnante qui déterminait sa nouvelle manière.
Le nouveau mode d'exécution de l'artiste ne fut pas un procédé cherché et préconçu, il y arriva par degré, en demandant à sa profonde connaissance des moyens graphiques la facilité de rendre les effets les plus délicats ; de préciser les reflets des tissus, des métaux, de modeler les visages, au point d'en exprimer le caractère moral aussi bien que celui des traits. La science du dessin lui rendait indifférents le burin ou la pointe, instruments dociles dans sa main, d'une légèreté extraordinaire, que conduisait une intelligence profonde de l'œuvre qu'il traduisait.
L'esthétique de Ferdinand Gaillard visait à l'union de l'inspiration et de la vérité, à l'union de la nature souvent grossière et rude et de la vie intérieure qui l'éclaire et l'ennoblit. Tout procédé lui paraissant devoir atteindre la réalisation de cet idéal lui semblait mériter attention ; qu'il fût ou non classique, il n'hésitait pas à l'employer.
Chose admirable, cet artiste, « allant tout naturellement aux choses abrogées, dit M. Paul Mantz, parce qu'il était lui-même un homme de l'ancien monde, et presque un revenant », cet artiste primitif, novateur dans son art, indiqua le chemin à la gravure moderne : c'est en cela qu'il fut un maître.
Gaillard aura des imitateurs, d'autres marcheront dans la voie ouverte, mais il n'aura pas de continuateurs. Résultante de causes intellectuelles et physiques, son talent lui est absolument personnel ; c'est le jugement porté sur l'éminent artiste par les hommes les plus compétents dans l'art et la littérature.
C'est l'opinion de M. Henri Delaborde, écrivain si autorisé dans ces matières. À la page 290 de son excellent ouvrage sur la Gravure, il dit :
« Enfin, quelle rivalité M. Gaillard pourrait-il craindre, dans le genre de gravure dont il est à vrai dire l'inventeur et qu'il pratique avec une habileté si extraordinaire ? Soit qu'il grave d'après Van Dyck, Ingres ou Rembrandt, des planches comme l'Homme à l'œillet, l'Œdipe et les Pèlerins d'Emmaüs, soit qu'il nous donne d'après ses propres dessins ou ses peintures des Portraits comme ceux du Pape Pie ix et de Dom Guéranger, il intéresse aussi vivement l'intelligence qu'il étonne le regard par l'incroyable subtilité de ses travaux. Même quand il reproduit les œuvres d'autrui, M. Gaillard se montre ouvertement original. Ses procédés sont absolument à lui et rendent toute contrefaçon impossible, parce qu'ils tiennent à la délicatesse exceptionnelle de ses organes ; mais il ne serait pas moins difficile de s'approprier la finesse de son sentiment et, quelque bonne volonté qu'on y mît, de se donner une pénétration d'esprit égale à la sienne. »
Ce n'était pas seulement au profit de son art que s'exerçaient les précieuses facultés du maître-graveur, elles lui furent dans la vie pratique une source de jouissances délicates, et les précieux auxiliaires de son talent dans la direction de ses affaires.
Gaillard ne laissait rien au hasard, il ne négligeait rien de ce qui pouvait lui assurer la réussite, non par amour de la gloire ou du gain, mais par disposition de caractère, et parce que cela était juste.
Sa pénétration était fort remarquable, et ce don de lire sur les visages les lueurs de la vie intérieure ne fut pas une des moindres causes de son éloignement des sociétés mondaines ; les capitulations de conscience, les compromissions, les perfides bienveillances révoltaient sa nature droite et fière, assoiffée de vérité. Le culte du vrai et la passion de l'art possédaient si absolument cette âme d'artiste, qu'elle y revenait sans cesse et comme naturellement dans toute conversation. Les futiles banalités de la vie mondaine ne pouvaient satisfaire un esprit attiré vers les rayonnements ; le vide des fausses joies de la vie le poussa invinciblement vers l'éternelle beauté, et provoqua, non pas sa conversion (le mot est trop fort), mais son retour aux habitudes de sa jeunesse. « Mon fils, nous disait un jour Mme Gaillard, dont le mot conversion froisse la délicatesse maternelle, mon fils, comme beaucoup de jeunes gens, a pendant quelques années négligé ses devoirs de chrétien, mais il n'a été, grâce à Dieu, ni un mauvais sujet ni un impie. »
Gaillard parlait lui-même de ce temps de folies sans se frapper trop rudement la poitrine. Un jour, dans l'intimité d'une réunion de famille, entouré de ceux qu'il aimait le plus, en causant des années écoulées, l'artiste fit une sorte de confession qu'il termina ainsi : (suite)