Né à Rahon (Jura), le 10 février 1797; mort au même lieu, le 10 janvier 1879. Élève de M. de Valdahon.
In : Dictionnaire des Artistes et Ouvriers d'Art de la Franche-Comté
Abbé Paul Brune, 1912
Xavier Bourges, élève de Jules César Hilaire de Valdahon, expose en 1839 ce tableau et son pendant, une nature morte, Un lièvre, un harle avec des sarcelles avec son maître qui, lui, présente deux portraits, ceux de ses deux fils, Jules César Auguste âgé de 40 ans et Jules Henri Théophile âge de 30 ans (Jules Henri, élève de son père, expose également à Paris de 1839 à 1847). Xavier Bourges, natif de Rahon, y possède des terres, tout comme Valdahon, propriétaire de forêts dont celle dite la Manche où ils chassaient à courre et au fusil. Dans cette forêt, Valdahon possède un relais de chasse surnommé les chalets construits de briques et de bois avec des dépendances pour le chenil et l'écurie où un gardien assure l'entretien, entre autres, des chiens de meute. Cette forêt est actuellement toujours chassée et les allées y ont conservé les noms du marquis, du vicomte et du comte de Valdahon ainsi que leurs prénoms. Les marquis de Vaulchier et de Broissia, chacun ayant ses terres et forêts avec meute et chenil, y chassent également. Les invitations se déroulent alternativement chez l'un ou chez l'autre durant l'automne et l'hiver.
Ce tableau [Renard rentrant au terrier, voir ci-contre] est peint dans le goût de Jean-Baptiste Oudry qui était devenu le peintre officiel des chasses de Louis XV. On peut, dans ce contexte, prolonger la comparaison : celle des relations qu'entretenait Xavier avec l'aristocratie doloise. Ce renard est vivant, son pelage est soyeux, les tons fauves sont nuancés et il semble nous regarder dans cet environnement quasi mystérieux de l'aube avant de disparaitre dans son terrier, ayant lui aussi fini de chasser.
Hervé Vuattoux,
in : Éclectique XIXe,
catalogue d'expo. du musée des beaux-arts de Dole, 2014.
L'ESPRIT DU NÉO-GOTHIQUE
[…]Xavier Bourges, élève de Valdahon, a partagé le cercle des intimes du marquis dans les années 1820 et fut l'un des familiers du Salon de la rue de Besançon. Le peintre semble attendre les années 1830 pour concevoir ses premières œuvres religieuses. Attaché à la morale et à la religion, le personnage incarne la curiosité dans le domaine artistique et littéraire. Éclectique dans ses sources, le peintre est attaché, par-dessus tout, au sentiment religieux. Aussi cette référence à un moyen-âge Troubadour et romantique l'a relativement peu touché, à la différence de son aîné.
Il a cependant collaboré à des projets qui s'orientaient vers le néo-gothique, courant stylistique qui imprègne le décor mobilier et les édifices eux-mêmes dans le Jura, de concert avec les aspirations de l'évêque titulaire entre 1851 et 1858, Jean-Pierre Mabile 1. Ainsi la nouvelle église de Mont-Roland est-elle élevée dans le style néogothique en 1851, et son tympan, en registres, sculpté en 1870 par Joseph Baudrand. En 1854, Bourges exécute un tableau monumental pour l'église Saint-Pierre et Saint-Paul de Brans qui représente en frise quatre saints, saint Claude, saint Jean, saint Sennen et saint Abdon 2. Cette composition reprend le principe des lancettes gothiques dans lesquelles les figures étroites et élancées se succédaient sur un même plan. Bourges dispose sous chacune des figures sacrées un cartouche avec son nom inscrit en lettres gothiques.
La chapelle Saint-Joseph de la Collégiale de Dole conserve une toile relevant de la littérature apocryphe sur l'enfance du Christ, L'Atelier de Nazareth, peinte par Bourges en 1864 3. La présence de saint Joseph, promu nouveau modèle paternel, qui exerce ici son métier de charpentier, lui confère un relief particulier. L'Enfant fabriquant innocemment une croix trahit une action lourde de sens. La peinture est insérée dans un retable d'inspiration gothique à la manière d'une pala d'autel. À cette occasion, le peintre de Rahon collabore avec le sculpteur Joseph Baudrand qui conçoit le gable néogothique sous lequel le tableau, cintré, s'inscrit entre deux pinacles. Cette disposition architecturale sera réutilisée par Joseph Baudrand à Nozeroy dans la chapelle nord de l'église Saint-Antoine en 1870 4. C'est à cette occasion qu'il exécute six statuettes en bois figurant des saints des XII-XIIIe siècles qui encadrent la figure du Christ rédempteur. Deux d'entre elles, Saint Louis et Sainte Elisabeth de Hongrie
illustrent cette considération nouvelle pour la spiritualité religieuse du XIIIe siècle.
DES SENSIBILITÉS ROMANTIQUES
Le Romantisme a pris une coloration religieuse dans le Jura à l'instigation de plusieurs peintres. Le mysticisme fut l'une des sources de ce courant pictural qui se prolongea jusque dans les années 1870. Ainsi le peintre Etienne-Charles Pointurier, inspiré par la nostalgie du Moyen-âge et l'idée dominante de la perfection chrétienne du XIIIe siècle, a exposé à Dole quelques oeuvres aux titres évocateurs : La cathédrale Saint-Bénigne 5, 1839, ainsi qu'une lithographie des Funérailles d'Atala
d'après Anne-Louis Girodet (1767-1824), tableau emblématique du courant romantique. Les ruines participent de cette atmosphère par le sentiment nostalgique qu'elles véhiculent. Dans Du sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les Arts (1801) et Le Génie du Christianisme (1802), Pierre-Simon Ballanche et François-René de Chateaubriand, hérauts de la sensibilité catholique, ont affirmé la supériorité des ruines chrétiennes en raison de la réflexion philosophique qu'elles inspirent. Il semble donc vraisemblable que lorsqu'il dessine les ruines du monastère du Mont-Roland (1827), contemplées par deux voyageurs vus de dos, Pointurier ait partagé ce même sentiment.
PEINDRE EN ARTISTE CHRÉTIEN
L'Éducation de la Vierge 6, peint en 1848 pour la paroisse de Choisey, exprime, chez Xavier Bourges, cette volonté de « coller » aux intentions de l'art religieux de son temps. Selon Bruno Foucart, le goût de l'art religieux se renforce après 1830 et un véritable art chrétien s'instaure se dissociant esthétiquement de la peinture d'histoire à sujets nationaux. Cette éloquente Éducation de La Vierge par sainte Anne de 1848, semble s'y rattacher tant son écriture parait fondée sur une recherche conceptuelle assez étonnante chez l'artiste. Les tons sourds beige-ocre participent de cette atmosphère mystique. La figure sculpturale de sainte Anne enfant, empreinte de réalisme, suscite la comparaison avec la statuaire bourguignonne à la différence de Marie, au profil idéalisé à la manière des bambins brossés par le peintre nazaréen Émile Signol (1804-1892). L'idée que le tableau de piété le plus sincère ne puisse être conçu que par un artiste « habité par la Foi » va faire son chemin. La peinture spirituelle devient elle-même un acte de Foi. Si à Lyon et à Paris, Hippolyte Flandrin (1809-1864) recueille tous les suffrages : « Hippolyte Flandrin complétait Monsieur Ingres ; il était son côté spiritualiste, le transformateur de l'idée païenne de l'enseignement du maître en idée chrétienne 7 », à l'échelle modeste du territoire dolois, Xavier Bourges serait le « champion » de l'idéalisation par l'image de la pensée religieuse. Ainsi lorsque l'abbé Groshenri offre en 1847 à la Collégiale de Dole l'image du théologien du XIIIe siècle, Saint Bonaventure en prière, pour embellir la chapelle Saint-Joseph, l'Album Dolois du 25 juillet 1847 conclut : « En vérité, nous n'avons jamais compris la témérité du peintre profane qui essaie le genre religieux... L'un parle aux sens, l'autre au cœur. Pour parler aux sens que faut-il ? Le sentiment de l'élégance des formes. Le cœur exige tout autre chose. Il veut la foi... Nous considérons cette toile comme un acte de foi ».
Lorsqu'en 1850, Bourges livre un imposant tableau à la paroisse de Chevigny pour son maitre-autel dédié à l'Exaltation de La Sainte-Croix, la corrélation entre artiste et sentiment religieux est faite. L'architecte Eugène Denis a choisi Bourges en 1849 pour la remise d'un tableau décrivant la scène où l'empereur Héraclius vainqueur des Perses à Ninive en 627 obtient la restitution de la sainte Croix. Portant sur ses épaules la relique en grande pompe à Jérusalem, à l'entrée de la ville, l'empereur est arrêté par un obstacle surnaturel et ne peut y pénétrer qu'après avoir déposé sa couronne et ses vêtements impériaux 8. L'architecte sollicite le peintre de Rahon en harmonie avec les principes qui commandent ce chantier : « Les habitants sont d'avis de confier cet ouvrage à un peintre habile car de bons tableaux inspirent la piété en rappelant aux yeux les traditions religieuses sous leurs formes les plus nobles, de mauvaises toiles excitent au contraire le ridicule et servent à altérer la force de croyances 9 ».
UN NAZARÉEN DOLOIS : XAVIER BOURGES
Xavier Bourges est l'un des rares artistes dolois à avoir fait le voyage d'Italie, au cours duquel il découvre Florence, Venise et Rome de 1844 à 1845 10. Le peintre, qui a sans doute vu des oeuvres d'Overbeck et de ses amis à la villa Massimo et dans d'autres lieux, sera la seule personnalité doloise tentée par l'esthétisme Nazaréen. Plusieurs peintures de Bourges vont être influencées par les principes nazaréens dont un grand Christ du Sacré-Cœur 11 qu'il exécute pour la Collégiale Notre-Dame de Dole. Le type iconographique du Sacré-Coeur supplanta au XIXe siècle pratiquement tous les autres 12. La figure hiératique du Christ exécute ici le geste d'ouverture du Rédempteur 13. Son exécution répudie ici tout élément perturbateur : aucun contraste forcé de clair et obscur, la ligne de la silhouette est calme avec des drapés bien ordonnés, rappelant la volonté de renouveau de l'art religieux par les Nazaréens, qui vont s'inspirer des primitifs italiens et des lignes raphaélesques. La figure, sans modelé, est isolée sur un fond doré qui simule la mosaïque byzantine et suscite la comparaison avec l'écriture épurée d'Hippolyte Flandrin et l'atmosphère de méditation qui imprègne ses personnages. La fresque du Nazaréen Peter von Cornelius, Les Vierges sages et les Vierges folles, peinte entre 1813 et 1819 (Musée d'art de Düsseldorf) propose un nouveau type iconographique pour le Christ. Le modèle du Christ, « Verbe fait chair 14 », présente une attitude de majesté calme et une expression faciale où toute sévérité est éliminée. Cet idéal de beauté christique sera adapté par Bourges dans son tableau du Sacré-Coeur cité ci-dessus.
LE SENTIMENTALISME DANS LA PEINTURE, DES FORMULES SURANNÉES
En dehors de cette tentation nazaréenne aussi isolée que brève, les œuvres sacrées, peinture ou sculpture, sont marquées, comme sur le plan national, par une tendance au sentimentalisme. Le goût pour le dolorisme qui marque la seconde moitié du XIXe siècle trouve son paroxysme dans les sujets christiques, particulièrement liés à la Passion du Christ. L'iconographie du Christ au Jardin des Oliviers a eu la préférence des artistes, de Chassériau (1840, musée des Beaux-Arts de Lyon) et Cabanel (1843-1844, Montpellier, église Saint-Roch) à Delacroix (église Saint-Paul et Saint-Louis, Paris). L'Agonie du Christ au Jardin des Oliviers est une œuvre précoce dans la carrière de Bourges (1737) qui fut offerte par le curé de la paroisse de Membrey lors du réaménagement de l'église de 1829 à 1833 15. Il s'agit d'une interprétation personnelle de l'archétype de Bartolomeo Murillo 16 qui sera adapté par Johann Sandberg en 1818. Selon le récit évangélique, un grand ange apparait avec les instruments de La Passion pour soutenir le Christ dans sa solitude. Alors que le prototype de Murillo et la version de Sandberg présentent un Christ éploré semblant s'en remettre au message de l'ange, le Christ de Bourges offre un visage de souffrance aux yeux fermés comme pour mieux exprimer les doutes qui l'assaillent. Fervent catholique, Xavier Bourges veut combattre l'impiété et, de fait, il donne la primauté au sentiment en s'égarant parfois dans la sensiblerie. Par ailleurs, cette peinture est de belle qualité, servie par un dessin précis et fluide en particulier dans l'étude des drapés. Si Jules de Valdahon a eu une influence sur le jeune artiste de vingt ans son cadet, c'est peut-être dans le sentimentalisme ambiant des expressions faciales et dans les couleurs raffinées parfois audacieuses. Bourges s'avère de fait un coloriste intéressant jouant de l'alliance de tons subtils : le vert/jaune acidulé de l'ange et le bleu/orangé du Christ. Sa Mort de l'évêque saint Didier
de l'église de Lavans-les-Dole représente le saint langrois dans un paysage narratif. La silhouette est animée par un élan diagonal généré par le bras tendu qu'accompagne un regard emphatique 17. Xavier Bourges n'est pas le seul à incarner cette tendance. C'est en s'inspirant d'un tableau de Philippe de Champaigne (Paris, Louvre) que Désiré Besson peint une Pietà. Il lui confère une physionomie affligée, au regard implorant le ciel, plus démonstrative que celle digne et intériorisée de la figure de Champaigne 18.
À partir du milieu du XIXe siècle, on assiste à un phénomène de cristallisation d'un moment de la peinture selon les mots de Catherine Guillot 19, qui verra les formules picturales se répéter sans véritable innovation et conduire à ce que l'on qualifiera plus tard, de manière dépréciative, d'art sulpicien. En reprenant le cas de Xavier Bourges qui ne signe pas de toiles au-delà de 1864, on constate que celui-ci exploite des formules stéréotypées, dans la décénnie 1850 sous la forme de grandes figures en pied, isolées et « plaquées » sur un décor architectural, souvent composé de murailles de ville ou d'un essai de reconstitution archéologique. À ce titre, son Saint Paul devant Ephèse (déposé à la mairie de Brans, 1854), son Saint Laurent devant le tribunal de l'empereur Decius (Église de Pleure) ou le Martyre de saint Symphorien (Chapelle de Marpain) peuvent être confrontés au caractère imposant de certaines compositions néo-classiques. De même son Saint Antoine l'Ermite prêchant dans le désert semble évoquer la monumentalité un peu archaïsante des figures sacrées, phénomène constaté à l'échelle du territoire national à la même époque 20.[…]
Extrait de l'article de Sylvie de Vesvrotte, L'art au service des desseins spirituels,
in : Éclectique XIXe, catalogue d'expo. du musée des beaux-arts de Dole, 2014.
1) ↑Évêque de Saint-Claude entre 1851 et 1858. Son idéal spirituel était la Chrétienté médiévale.
2) ↑Huile sur toile, H.260 x 204 cm, S.D : « Xbourges pinxit 1854 »
3) ↑Signé et daté de 1864.
4) ↑Cf. S. de Vesvrotte, 2013, p. 361 et n. 13 à 15.
5) ↑Huile sur bois, 61 x 48,5 cm ; Dijon, musée de la vie bourguignonne, inv. 97.54.1.1 ret 2.
6) ↑Huile sur toile, S. D. b.d. : « Bourges 1848 », 167 x 165 cm.
7) ↑Charles Lahure, Histoire populaire contemporaine de la France, Hachette, Paris, t. IV, 1866.
8) ↑Texte extrait du cartouche situé dans la partie inférieure du tableau, toujours en place dans l'église de Chevigny.
9) ↑ADJ, 9V3 - 95, 7 février 1849 « Devis descriptif pour la fourniture d'un tableau dans l'église de Chevigny représentant l'exaltation de la Sainte Croix ».
10) ↑ D. MONNIER, Annuaire du département du Jura pour l'année 1846, Lons-le-Saunier, 1846, p. 372.
11) ↑Signé mais non daté, autour de 1745. Cette toile présente dans la chapelle du Sacré-Coeur a été ensuite décadrée et marouflée sur toile lorsque la chapelle a été réaménagée par le peintre dolois Jean-Baptiste Martin pour simuler l'effet de la fresque, considérée comme le support le mieux adapté à l'art chrétien.
12) ↑La dévotion au Christ du Sacré-Cœur dont la solennité a été instituée par le pape Clément XIII en 1765 fut étendue à toute l'Eglise catholique par le pape Pie IX en 1856.
13) ↑ Le peintre en donnera une autre version assez proche pour l'église de Champdivers.
14) ↑B. FOUCART, 1987, p. 22.
15) ↑Nous remercions tout particulièrement M. Jean-Louis Langrognet, CAOA de Haute-Saône, pour nous avoir communiqué des renseignements essentiels sur ces œuvres.
16) ↑Peint entre 1675 et 1680, Paris, Louvre.
17) ↑Huile sur toile, S.D.b.g. : « XBourges pinxit 1851 », 220 x 175 cm.
18) ↑Huile sur toile, 180 x 160 cm, S.D. "Besson 1854", collection particulière.
19) ↑Catherine GUILLOT, La peinture religieuse monumentale, une expression artistique emblématique du nord de la France au XIXe siècle ? 2009, p. 12.
20) ↑Comme à Dizy-le-Gros (Aisne, Picardie) où le peintre Laisné livre en 1879 à l'église du bourg un ensemble de quatre peintures représentant La Sainte Famille, sainte Cécile, saint Pierre et saint Paul qui s'inspirent du style ingresque.
• Remerciements à Samuel Monier, coordinateur des expositions temporaires et chargé des collections au musée des beaux-arts de Dole, pour ses conseils avisés et la mise à notre disposition de plusieurs catalogues qui nous ont permis d'enrichir très sensiblement cette entrée.