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Jean-Pierre Pequignot

Baume-les-Dames, 1765 - Naples, 1807 ou 1808


La hiérarchie des genres, qui plaçait le paysage en pénultième position, juste devant la nature morte, desserra progressivement son étreinte à partir de la Révolution française et des premiers émois romantiques. C'est dans ce hiatus artistique, entre le paysage "moral" d'un Poussin et celui plus exalté des Romantiques, que Jean-Pierre Péquignot établit son art, des paysages idéels où les personnages ne semblent souvent occupés qu'à remplir leur éternel otium par les choses de l'esprit ou en se fondant, ainsi que d'oniriques architectures, dans une Nature rêvée où le temps, sinon l'espace, est définitivement aboli. Cette Nature qu'on imagine volontiers heureuse avec ces ciels toujours bleus et cet air hyalin et lumineux ne s'estompant qu'en ses lointains, laisse échapper, au milieu des gazouillis d'un ruisseau et des clarines des moutons, la douce mélopée d'une syrinx et la cantilène d'un aède. C'est le doux accord entre la bienveillante sauvagerie des montagnes et une rusticité ordonnée par la main de l'homme ou peut-être même par celles des dieux… ce que serait peut-être le monde sans la faute : un Hameau de la Reine survitaminé, du rousseauisme appliqué à la gestion des paysages… Il émane des tableaux de Péquignot l'assurance d'une solide culture, tempérée, dans ce qu'elle pourrait souffrir d'un froid classicisme, par la contemplation heureuse de la Nature. Lire la suite


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Jean-Pierre Péquignot :

Jean-Pierre Pequignot, Baumes-les-Dames 1765 - Naples 1807, Émilie Beck Saiello, 2005, ed. Artema.
Un artiste oublié : le peintre Jean-Pierre Péquignot de Baume-les-Dames, Maurice Thuriet, avocat général près la Cour d'Appel de Besançon, membre résidant Société d'Émulation du Doubs, séance du 23 novembre 1910.

Œuvres posthumes de Girodet-Thioson, P.-A. Coupin, 1829.

Dictionnaire des Artistes et Ouvriers d'Art de la Franche-Comté, Abbé Brune, 1912.



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Jean-Pierre Pequignot, Baumes-les-Dames 1765 - Naples 1807,

Émilie Beck Saiello, 2005, ed. Artema


« Vois-tu ces monts lointains dont l'azur peint la cime,
Jeune artiste ? C'est là que des sites nouveaux
T'offrent, tout composés, de sublimes tableaux.
C'est Vietri, c'est la Cave et Salerne et Nocère,
Beaux lieux, amours du ciel, délices de la terre,
Où les vieux chantres grecs, dans les siècles anciens,
Eussent voulu placer leurs Champs-Elysiens...
Mais, pour oser les peindre, il faut être un Virgile,
Un Guaspre, un Péquignot, un Saint-Pierre, un Delille. »1

 

 

1. État civil. Besançon


Portrait présumé de Jean-Pierre Péquignot par Costanzo Angelini
Portrait présumé de Jean-Pierre Péquignot par Costanzo Angelini

Jean-Pierre Péquignot serait né, si l’on en croit son biographe Lancrenon, le 11 mai 1765 à Baume-les-Dames, près de Besançon. Il est le fils de Claude-Antoine Péquignot, maréchal-ferrand2 et de Marie-Agnès Joliot3. Ses goûts précoces pour le dessin et la lecture auraient décidé son père à l’envoyer en 1775, dès l’âge de dix ans, rejoindre son frère aîné, Antoine (né en 1764) à l’École des Beaux-Arts de Besançon. Cette école gratuite, baptisée pompeusement « Académie de peinture et de sculpture », avait été fondée l’année précédente (1774) par Wyrsch et Breton 4. Les frères y font un séjour de près de cinq ans, Antoine dans la classe du sculpteur Breton et Jean-Pierre dans celle du peintre Wyrsch5. Au concours de 1780, le Neptune peint par Chazerand obtient la préférence du jury et remporte le premier prix devant la statuette du même sujet par Antoine Péquignot. Froissé de cette « injustice » Antoine quitte alors Besançon pour Paris, accompagné de son cadet tout juste âgé d’une quinzaine d’années6.


2. Jeunesse. Paris


Les années d’apprentissage au prytanée du chevalier Pawlet et à l’école de l’Académie royale. Le Salon de la Jeunesse.

À Paris, Antoine et Jean-Pierre trouvent une place dans la pension dirigée par le chevalier Pawlet et fondée en 1773 sous les auspices de la dauphine Marie-Antoinette7. L’établissement, une école des orphelins militaires, fait partie des institutions imaginées par le chevaliers8.
Jean-Pierre, affirment ses biographes, séjourne quatre ans (probablement de 1780 à 1785)9 dans cette institution, établie sur les mêmes bases que les écoles militaires et réglée par une discipline analogue. Il y fait la connaissance des neveux de Joseph Vernet avec lesquels il étudie et qui, selon Thuriet, l’introduisent dans l’atelier de leur oncle. Ce dernier lui aurait alors prodigué des conseils voire, si l’on en croit Coupin10, confié la copie de quelques uns de ses tableaux, avant de lui permettre d’étudier à l’Académie sous sa direction11. Aucun document ne confirme jusqu’à présent cette assertion qui, d’une part, relève des topoi de la biographie artistique du XIIe siècle (entendant faire de Vernet le maître de nombreux peintres de paysage) et d’autre part, contredit ce que nous savons des habitudes de Vernet. Celui-ci ne formait pas d’élèves et se contentait de donner à l’occasion des conseils. Le spécialiste du peintre avignonnais, Philip Conisbee, interrogé à ce propos, doute lui aussi de la réalité de cette relation et pense que Péquignot a pu seulement faire un rapide passage dans l’atelier du grand paysagiste.
Quoi qu’il en soit, les deux frères fréquentent également les cours de l’école de dessin de l’Académie royale de peinture et de sculpture, ouverts aux élèves et aux protégés des membres de l’institution. Ils sont inscrits dans les « Registres des Élèves », Antoine de mai 1781 à mars 1783 et Jean-Pierre d’avril 1782 à septembre 1785 : « 31 may [1781] . Antoine Pequignot S [culpteur] . âgé de 22 ans natif de Beaume les Dames en franche comté. Protégé par M. Brenet12, demeurant à la Barrière de Sev [r] es chez Mr le Cher de Pollet, maison des orphelins militaires. »13 « 19 [avril 1782]. Jean Pierre Pequignot P [eintre] . natif de Beaume les Dames en franche comté, âgé de 16 ans 1 / 2. Elève de M. Dejoux14, et protégé par M. Brenet ; demeurant à l’institution des orphelins militaires hors Barrière de Sev[r] es. »15
Antoine poursuit apparemment avec succès sa formation puisque l’on trouve un « Antoine Jean-Baptiste Péquinot » sculpteur lauréat d’une première médaille de quartier en juillet 1783, aux écoles de l’Académie royale de peinture et de sculpture16.
Les deux frères, une fois sortis de la pension Pawlet, et leur formation achevée, auraient renoncé à regagner la Franche-Comté. Et ils se voient en conséquence dans la nécessité d’assurer leur subsistance. Antoine est admis comme élève à l’Académie royale en 1791. Puis, si l’on en croit Coupin, il travaille un moment pour le prince Eugène de Beauharnais qui lui a commandé les décors d’un temple de la Reconnaissance destiné à ses jardins de la Ferté Beauharnais. La nomination du commanditaire à la vice-royauté d’Italie en juin 1805 interrompt le projet dont n’ont été exécutés que le modèle en plâtre de la figure de la Reconnaissance et l’esquisse en terre cuite des bas-reliefs17. Antoine réside encore dans la capitale en 1829 et y jouit d’une réputation d’habile praticien18.
Jean-Pierre, afin d’assurer son existence, aurait peint pour les tabletiers des miniatures et des gouaches. Tout en gagnant sa vie avec ses productions artisanales, il présente à l’Exposition de la Jeunesse, place Dauphine19, en 1785, deux paysages que le critique du Mercure de France juge assez sévèrement : « M. Péquignot a étudié le Poussin, on s’aperçoit même qu’il a cherché à s’approprier son style. Je lui observerai que quand on prend les grands Artistes pour modèles il ne faut pas les suivre trop servilement, car alors on ne ressemble pas à un imitateur, on ressemble à un plagiaire. »20
À cette époque, selon Lancrenon et Thuriet, Péquignot aurait rencontré David et serait entré dans le cercle de ses familiers21. Toutefois rien ne permet d’étayer cette hypothèse22. David, toujours selon les biographes de Péquignot, aurait alors engagé le jeune homme à faire le voyage de Rome pour y perfectionner son art, en le recommandant à un riche mécène (dont le nom nous est resté inconnu). Ce personnage le prend sous sa protection, s’engage à lui payer son voyage à Rome et à lui servir ensuite en Italie une pension annuelle de 1200 livres.23


3. Séjours en Italie

a. À Rome (circa 1788-1793)


La rencontre de Girodet, le milieu des artistes, l’atmosphère politique révolutionnaire et le sac de l’Académie de France.

Péquignot s’installe à Rome à une date qui nous est inconnue (vers 1788 si l’on en croit Thuriet)24. Il y trouve une lettre de son protecteur lui annonçant sa faillite et l’impossibilité de verser la pension promise. Il lui faut donc vivre, comme à Paris, de la vente de ses tableaux, ce en quoi il réussit apparemment car ses biographes affirment qu’il acquit sur le marché une certaine réputation et fut bientôt à l’abri du besoin25. À cette époque Péquignot fréquente Girodet, lauréat du Prix de Rome (1789), arrivé en mai 1790 au Palais Mancini, siège de l’Académie de France. Dans une lettre de Girodet du 18 avril 1791, nous apprenons qu’alors les deux peintres se voyaient régulièrement26. Péquignot et Girodet avaient-ils fait connaissance à Rome, ou s’étaient-ils déjà rencontrés à Paris ?
Les circonstances politiques (la France est en pleine Révolution) rapprochent en effet les jeunes gens, tout autant que le goût pour la peinture. Girodet se montre enthousiasmé par le talent de son ami et saisit l’opportunité d’affiner son propre goût pour le paysage que la formation à l’Académie n’avait guère permis de développer. La correspondance de Girodet avec le docteur Trioson, son ami et tuteur, nous renseigne sur ses promenades dans la campagne romaine, faites probablement en compagnie de Péquignot : « Tous les environs de Rome sont charmants, il suffit de les nommer ; Tivoli, Frascati, Albano etc., ont fait les délices des Anciens et peuvent encore intéresser les modernes. » (Lettre du 20 juillet 1790).
« J’ai commencé ces jours-ci quelques études de paysage autour de Rome : c’est une occupation aussi amusante qu’instructive, nécessaire à un peintre d’histoire et beaucoup trop négligée, comme on en peut facilement juger par les productions de beaucoup d’entre nos artistes. » (Lettre du 28 septembre 1790)27.
Péquignot fréquente également la colonie des artistes, Gérard28, Giraud29, probablement Réattu30 et les amis de Girodet, Topino-Lebrun et l’abbé Belle31. Il travaille sans doute au Palais Mancini32, institution assez ouverte aux peintres qui n’ont pas eu la chance de bénéficier de la pension du roi33.
Dans son étude sur les artistes français en Italie pendant la période révolutionnaire, Olivier Michel a résumé avec exactitude et concision le climat dans lequel évolue désormais Péquignot :
« De 1789 à 1792, rien en apparence ne trouble l’ordre ni la sérénité de l’Académie de France à Rome. Les promotions se renouvellent régulièrement [ ...]. Ce mouvement d’horloge parfaitement rôdé dure jusqu’à l’automne 1792. Le 24 novembre, le cardinal Secrétaire d’État adresse encore au gouverneur de Civitavecchia l’ordre de laisser passer les nouveaux pensionnaires [...]. Entre temps la machine s’est grippée. François-Guillaume Ménageot, le directeur, n’a plus d’argent pour l’entretien des élèves [...] Les pensionnaires, solidaires de leur directeur, font part respectueusement à l’Académie royale de leur inquiétude devant le naufrage imminent. Les quatorze signataires sont les peintres Gounod, Garnier, Girodet, Meynier, Réattu, Laffitte et Fabre ; les sculpteurs Dumont, Gérard, Lemot et Bridan ; les architectes Lefaivre, Tardieu et Lagardette. »34
Fin novembre 1792, le poste de directeur de l’Académie de France à Rome est supprimé, à la suite d’une intervention de David à la Convention Nationale.
« L’Académie devient alors le point de ralliement de tous les républicains français et comme telle, elle est la cible désignée du courroux populaire que l’on dit attisé en secret par les artistes romains. »35
Ménageot qui, bien que malade, expédie les affaires courantes, part se soigner à la campagne au début de janvier 1793, et fait remettre les clés de l’Académie à Hugou de Bassville36. Ce dernier multiplie imprudemment les démonstrations républicaines et, conformément aux instructions du gouvernement français, fait remplacer les fleurs de lys des Bourbons sur les portes du Consulat et du Palais Mancini par les armes de la République. L’opposition du pape et les manifestations hostiles de la population romaine inquiètent Bassville à juste titre mais sans modifier son attitude. Dès lors tout bascule :
« C’est l’émeute et le drame. Bassville qui bravait la foule en arborant sur le Corso la cocarde tricolore est assassiné le 13 janvier 1793. Dès le 8 janvier, sentant monter l’orage, il avait engagé les élèves, sous prétexte de travail, à rejoindre leurs camarades qui se trouvaient à Naples. Il ne restait plus ce dimanche 13 au Palais Mancini que les artistes qui achevaient de peindre les écussons : quatre seulement, les plus engagés, Girodet, Laffitte, Mérimée et Péquignot37. Dans le tumulte qui suivit l’attaque du palais ils réussirent à s’enfuir. »38 Un document conservé aux archives des Yvelines dans le fonds Coupin, décrit l’événement avec précision :
« Péquignau et Girodet se trouvoient à l’académie de France à Rome lorsque le peuple s’y porta dans l’intention de faire un mauvais parti au petit nombre de pensionnaires qui y restoient. Ils entendirent du bruit, Péquignau sortit de l’atelier pour voir ce qui se passoit et rentra en disant d’un grand sang froid :
« Ce sont eux. »
« Qui ? » demandèrent les autres.
« Le peuple ! »
Girodet et Péquignau sans délibérer gagnèrent l’escalier où ils trouvèrent effectivement le peuple qui brisoit les statues et lançait les morceaux contre la porte pour l’enfoncer. Ils étoient si occupés à cette besogne qu’il [sic] ne virent pas les deux peintres qui passèrent au millieu [sic] d’eux... »39
Une lettre de Girodet à Trioson fournit des indications supplémentaires sur cet événement : « [Les émeutiers] n’avaient que vingt marches à monter pour nous assassiner ; nous les leur épargnâmes en allant au-devant d’eux. Ces misérables étaient si acharnés à détruire qu’ils ne nous aperçurent même pas ; mais des soldats presque aussi bourreaux que ceux que nous avions à craindre, loin de s’opposer à eux, nous firent descendre plus de cent marches à grands coups de fusil, jusque dans la rue où nous nous trouvâmes abandonnés et sans secours au milieu de cette populace altérée de notre sang. Heureusement encore ces bourrades de soldats lui firent croire que nous faisions partie d’elle-même, mais quelques-uns nous reconnurent. Un de mes camarades fut poursuivi à coups de pavés, moi à coups de couteau ; des rues détournées et notre sang-froid nous sauvèrent. Échappé à ce danger, pour les prévenir tous, j’allai me jeter dans un autre : je courus chez Basseville ; dans ce moment même où on l’assassinait ; le major, la femme de Basseville et Moutte le banquier se sauvent par miracle. Je me jette dans une maison italienne à deux pas de là ; j’y reste jusqu’à la nuit. J’ai l’audace de retourner à l’Académie qui était devenue le palais de Priam ; on se préparait à briser les portes à coups de hache et à mettre le feu. Là je fus reconnu dans la foule par un de mes modèles ; il faillit me perdre par le transport de joie qu’il eut de me voir sauvé. Je lui serrai énergiquement la main pour toute réponse et nous nous arrachâmes de ce lieu. »40
C’est dans la maison de ce modèle que Péquignot et Girodet se retrouvent heureusement dans la soirée. Là, Girodet sollicite l’aide de Tortoni, secrétaire d’ambassade et beau-frère de Gérard, qui lui avance les trente ou quarante écus demandés pour se rendre à Naples. Avant l’aube, les deux amis quittent Rome à pied pour gagner la Campanie. Girodet fait le récit de ce voyage dans une lettre à Trioson du 19 janvier 1793 :
« Nous marchâmes deux jours à pied et ne trouvâmes sur la route que des motifs d’inquiétude. À Albano, on refusa de nous louer une calèche ; nous n’en pûmes trouver qu’à Velletri et on nous fit bien payer la nécessité où nous étions de nous en servir. Dans les marais Pontins, forcés par le tems le plus horrible de nous réfugier dans une écurie, on délibéra de nous y massacrer pour avoir nos dépouilles. Un de ces scélérats, moins scélérat que les autres, fit réflexion qu’elles n’en valoient pas la peine. Ce fut le dernier danger que nous courûmes41.
Hors des Etats du pape nous fûmes véritablement traités en amis, le roi de Naples ayant donné les ordres les plus positifs de protéger tous les François qui se réfugiroient dans ses états. En arrivant ici, je descendis sur le champ chez le citoyen Mackau que j’informai de ces détails et de ma position. »42



b. À Naples


La découverte des paysages campaniens

Arrivés à Naples, le 18 janvier 1793, c’est chez le riche banquier et négociant helvétique Meuricoffre43 que Girodet, ainsi que les autres pensionnaires fugitifs, et peut-être Péquignot, trouvent un hébergement provisoire44. Girodet fait la connaissance du banquier genevois Raymond et de son associé Piatti qui lui proposent de le loger dans une maison leur appartenant45.
L’architecte Léon Dufourny, qui rencontrera Péquignot deux mois plus tard à Palerme, nous apprend qu’après son arrivée à Naples, Péquignot se lie avec le fermier général Louis-Adrien Prévost d’Arlincourt46qui le prend à son service comme professeur de dessin47. Sans doute logea-t-il alors chez d’Arlincourt.
Après s’être remis des émotions causées par les troubles politiques, le sac du Palais Mancini et les péripéties du voyage, les deux peintres, bien accueillis dans le milieu libéral, découvrent les charmes de la baie de Naples, comme le rapporte Coupin :
« Les deux amis passèrent quelques temps ensemble à Naples ; Girodet parle du plaisir qu’ils prenaient à se promener sur le port la nuit, à faire des études ensemble, avec un accent qui prouve que ce souvenir se rattachait pour lui, à des sentiments profonds, à une époque de bonheur. »48
Faute de réaliser, par manque de moyens, le projet d’un voyage en Calabre en février 1793, qu’annonçait Girodet dans une lettre à Trioson49, les deux peintres se laissent séduire par la variété et la beauté des paysages campaniens. Cet enthousiasme, Girodet le communique à Madame Trioson dans une lettre adressée de Naples le ler mars 1793 :
« Notre Révolution a ici un nombre prodigieux de partisans ; c’est cependant à la crainte qu’ils inspirent que les Français sont en partie redevables de la tranquillité momentanée dont ils jouissent. Je la mettrai à profit ce printemps et cet été, si elle continue ; mon projet est de parcourir les environs de Naples, et d’y séjourner suffisamment pour tirer de ce pays ce qu’il offre d’intéressant pour l’art. C’était aux environs de Rome que je devais, cette année, me livrer à l’étude du paysage, genre de peinture universel, et auquel tous les autres sont subordonnés, parce qu’ils y sont renfermés. C’était avec impatience que j’attendais de m’y livrer tout entier [ ] C’est au moment même de mettre mes projets à exécution, que je suis forcé de fuir à travers les couteaux et les flammes, et de renoncer, probablement pour toujours, à ce que Rome avait de plus intéressant pour moi... »50

Le voyage en Sicile, l’architecte Dufourny (1793)

À la différence de Girodet qui, en tant qu’élève de l’Académie, continue de percevoir sa pension (progressivement dévaluée)51 des mains du banquier Meuricoffre52, Péquignot doit assurer son existence. Fort heureusement sa rencontre avec d’Arlincourt lui permet certainement de résoudre momentanément ses problèmes financiers. Ce dernier qui, depuis trois ans, accompagné de son précepteur et cicerone, Louis Lhomme53, parcourt l’Italie, pour effectuer le traditionnel « Grand Tour » (mais aussi sans doute pour fuir les troubles révolutionnaires) décide de partir pour la Sicile en compagnie de Péquignot. Le 9 mars 1793 ils se trouvent à Palerme, comme le rapporte Dufourny dans son journal54. Ils y restent toutefois peu de temps : dès le 12 mars en effet, et jusqu’au 3 mai (comme on peut le déduire des notes de Dufourny), ils entreprennent un voyage à travers la Sicile et à Malte. Ils visitent Agrigente, Syracuse et Taormine et tentent sans succès de gravir l’Etna55. De retour à Palerme, Péquignot (qui semble avoir pris un logement indépendant de celui de d’Arlincourt et de Lhomme)56 et Dufourny se fréquentent assidûment. L'architecte l’emmène sur le chantier de son École de Botanique, sollicite son jugement57 ; le peintre, à son tour, lui montre son travail « il me fit voir une vue du théatre de Taormine assez exacte et d’un trait très fin, il se propose d’en faire un dessin au net... »58

Jean-Pierre Pequignot, Vue de Catane avec l'Etna dans le fond, collection J. Mackinnon, Londres
Vue de Catane avec l'Etna dans le fond,
collection J. Mackinnon, Londres

« Il me fit voir quelques uns de ses ouvrages, entr’autres une vue du Mont Etna avec la ville de Catane sur le devant prise de la Villa du prince de Biscari : ce dessin fait à la pierre noire est du fini le plus précieux, il est pointillé comme une miniature ce qui nuit peut être un peu a l’effet : les devants sont ornés d’un groupe de jeunes femmes ajustées et dessinées de la manière la plus gracieuse, et qui prouvent que M. Pequignon s’est plus appliqué au dessin de la figure que ne le font ordinairement les paysagistes. C’est dommage que d’aussi précieux dessins soient faits à la pierre noire qui ne peut être de longue durée. »59
Les deux artistes vont travailler ensemble au Jardin Botanique (Dufourny indique à Péquignot différents points de vue que ce dernier se met à dessiner), se rendent chez les artistes, visitent de nombreuses églises, monuments et collections et s’attardent sur les fresques et les tableaux qu’ils contiennent60. Péquignot vient également dans l’atelier de Dufourny étudier son exemplaire du Voyage pittoresque des Isles de Sicile, de Malte et de Lipari de Hoüel61.
Enfin, le jeudi 18 juillet, d’Arlincourt, Lhomme et Péquignot s’embarquent à Palerme sur « le paquebot de Naples » ; le fermier général et son précepteur poursuivront — ultérieurement — leur route jusqu’à Florence. Péquignot, lui, s’installera définitivement à Naples.
De cette longue excursion à Malte et en Sicile, Péquignot fera une relation enthousiaste à son ami Girodet :
« Pequignau ayant fait un voyage en Sicile, à son retour il écrivit à Girodet une description de l’Etna que Girodet disoit être admirable. »62
Cette relation, mentionnée par Coupin, est malheureusement perdue.

La collaboration avec Girodet, la visite et la représentation des sites campaniens. L’expulsion des Français (septembre 1793)

De retour à Naples, Péquignot reprend ses excursions dans les environs de la ville, en compagnie de Girodet, et poursuit ses études des paysages de la Campanie. Cette période est évoquée dans le poème Le peintre, composé plus tard par Girodet :



« Quand les maux de la France épouvantaient l’Europe,
J’errais mélancolique aux champs de Parthénope.
Près d’un ami rival des Claudes, des Poussins,
J’admirais ces beaux champs plus beaux dans ses dessins.
L’un par l’autre excités, dans nos courses riantes,
Nos crayons récoltaient des moissons abondantes... »63



De la correspondance que Girodet adresse à son tuteur, le docteur Trioson, nous apprenons qu’il s’est rendu à Sorrente et à Capri pour y voir les vestiges du Palais de Tibère, profitant peut-être de l’invitation faite par Raymond et Piani64. Péquignot l’accompagnait-il ?
Durant l’été 1793, probablement au mois d’août, Girodet visite le tombeau de Virgile, près de la grotte du Pausilippe65, un site très prisé des peintres et des touristes de la fin du XVIIIe siècle. Un joli dessin ovale de Péquignot,

Jean-Pierre Pequignot, Paysage avec le tombeau de Virgile
                   Paysage avec le tombeau de Virgile, coll. part.

Paysage avec une femme et deux chérubins (collection particulière), signé et daté « Péquignot à Naples 1793 », pourrait attester cette visite.
Le chant III du poème Le peintre cite encore d’autres lieux que Péquignot et Girodet découvrent ensemble : Baia, Pouzzoles, Cumes, Nola, Portici, Nocera dei Pagani, Vietri, Salerne, Cava dei Tirreni et naturellement le Vésuve66.
Cette période de tranquillité est malheureusement interrompue par la promulgation, le 1er septembre 1793, du décret d’expulsion des Français des royaumes de Naples et de Sicile67. Tous les résidents et voyageurs de nationalité française ont vingt jours pour quitter le pays, à moins de fournir documents et lettres de recommandation prouvant leurs attaches particulières dans le royaume68. Cacault, consul de France à Rome (mais contraint de résider à Florence) prévoit l’émigration de Naples vers la Toscane de tous les artistes français, pensionnaires ou non, priés de quitter le royaume :
« Cacault à Deforgues. Florence, le 13 septembre 1793, l’an 2e de la République.
« Nous avons à Naples quatre pensionnaires actuels, savoir :
Les citoyens Girodet et Réatu, peintre ; La Gardette, architecte, et Bridan, sculpteur ; et un peintre de paysage, le citoyen Péquignon. Ils vont probablement arriver bien-tôt ici. »69
Deux semaines plus tard, il dresse la liste des artistes français présents dans la péninsule :
« Liste des artistes françois qui se trouvent en Italie et de tous ceux qui sont venus de Rome à Florence. Florence, 27 septembre 1793.
Giraudet, pensionnaire et peintre, actuellement à Naples, devant venir à Florence ;
Péquignon, peintre de paysage, actuellement à Naples, devant aussi venir à Florence. »70
Les deux peintres décident néanmoins de rester, Girodet pour des raisons de santé, et Péquignot sans doute parce qu'il a trouvé, dans le royaume, des moyens de subsistance (peut-être continue t-il à réaliser des ouvrages décoratifs ou à exécuter des miniatures ornementales pour tabatières).
Le 21 septembre, le délai des vingt jours ayant expiré, le précepteur de Charles d'Arlincourt présente sa requête pour demeurer dans le royaume jusqu'au 21 février 1794 :
« Louis Lhomme, précepteur du fils de Monsieur Dalincourt, Fermier Général français sous l'Ancien Régime sollicite ardemment l'autorisation de rester à Naples jusqu'au 21 du mois de février en compagnie de son élève, de Pierre Pequignot, Maître de dessin du susdit. Et le Marquis d'Osmond, honorablement connu, confirme, par un certificat, qu'il mérite la grâce demandée. Nous nous en remettons au jugement de Sa Majesté et au discernement plein de sagesse de Votre Excellence [Sir Acton, Premier Ministre] pour savoir si cette autorisation doit, ou non, lui être accordée, en foi de l'attestation du susdit Chevalier [de Médicis, chef de la police politique] . »71
Acton fait grâce à la requête et accorde les quatre mois de résidence. Le demandeur en effet entre dans la catégorie de ceux qui « aïant abandonné leur patrie [ ... ] par raison d'attachement à leur propre souverain sont venus dans nos Etats avec l'espérance d'y trouver un azyle sûr [ ...] attendu que dans ce cas s'ils demandent de rester on leur accordera une permission pour un certain tems. »72
Girodet passe une partie de l'hiver à Sorrente pour soigner sa maladie de poitrine et en profite certainement pour se consacrer à l'étude du paysage. On peut supposer que Péquignot lui rend quelques visites, toutefois aucun document ne permet de l'affirmer.
Le 19 mars 1794 Girodet obtient un passeport pour quitter le royaume de Naples et rejoindre un port de Vénétie.73 Le destin sépare alors les deux hommes qui toutefois continueront à correspondre, si l'on en croit Coupin :
« Pequignau ecrivoit rarement mais quand Girodet recevoit une lettre de lui, il y en avoit 10 ou 12 pages. »74

Les amis et les relations de Péquignot à Naples

Girodet parti, le délai accordé à Lhomme et à d'Arlincourt ayant expiré, Péquignot se retrouve seul à Naples. Comment est-il parvenu à échapper à l'expulsion ? Où loge t-il ? De quoi vit-il ? À ces trois questions l'on peut apporter une seule et même réponse : le peintre a su trouver des amis et protecteurs bien en cour et qui répondent sans doute de lui auprès des autorités. Nous en connaissons les noms, mais ignorons les dates et les circonstances précises de leur rencontre avec Péquignot. Le premier de ceux-ci est certainement Carl Tschudi (Naples 1743 - Naples 1815), qui figure (sans précision chronologique) dans le carnet d'adresses de Girodet :
« Pequignot chez Mr le Baron Charles Tschoudy. Brigadier au service du Roy de Naples. »75
Carl-Ludwig-Sebastian Tschudi appartient à une famille suisse catholique très ancienne qui, depuis le XVIe siècle, fournit à chaque génération des officiers au service des nations catholiques d'Europe et sert le roi de Naples depuis l'avènement des Bourbons en 1734. Le père de Carl, Josef-Anton, était d'ailleurs l'un des officiers supérieurs les plus proches de Charles III. Carl est colonel propriétaire de son propre régiment depuis 1770 et deviendra général au service de Naples76. Tschudi héberge donc quelque temps Péquignot, peut-être à la demande de son compatriote Meuricoffre, qui avait lui-même accueilli l'artiste et son ami Girodet à leur arrivée à Naples.
Péquignot saura aussi nouer d'autres relations, utiles sous ce rapport, comme on le verra plus loin.
Tandis que se prolonge son séjour à Naples, les informations se raréfient. Les archives bancaires de Naples, qui habituellement renseignent avec précision sur l'activité de leurs clients, et parmi eux les artistes établis dans cette ville (comme Tierce ou Volaire), sont muettes sur Péquignot. Ce silence des sources suggère que le peintre ne disposait que de faibles liquidités.
Au cours de l'année 1794, il rencontre l'abbé Domenico Romanelli (1756 - 1819), historien et archéologue, qui, dans son ouvrage, Napoli antica e moderna, publié seulement en 1815, évoque une excursion commune sur le Vésuve :
« Je fus la victime de ce phénomène [la fermentation des substances d'origine volcanique] alors que, au mois d'août, après la funeste éruption de 1794, j'en fis l'ascension avec M. Pequignon, célèbre paysagiste, et un Anglais très savant en minéralogie. »77
Thuriet de son côté, précise que Péquignot a été également témoin de cette éruption, qui anéantit le village de Torre del Greco. Toutefois l'auteur ne précise pas l'origine de cette information78. Un tableau de Péquignot, conservé à Naples, au musée de San Martino, représentant le Vésuve en éruption depuis les hauteurs de CastellammareJean-Pierre Péquignot, Vue de l'éruption du Vésuve de 1794, depuis les hauteurs de Castellammare (un village situé dans la partie méridionale du golfe de Naples) pourrait avoir été composé à cette occasion.
Péquignot fait aussi la connaissance d'Antoine-Laurent Castellan (1772-1838), peintre de paysage et élève de Valenciennes, qui séjourna à Naples à partir de la fin de l'année 1797, de retour de Constantinople. Avec son collègue Charles-Stanislas Léveillé (1772-1833), il avait été envoyé par la République en mission militaire dans l'Empire Ottoman sur demande du sultan79. Dans le premier volume de ses Lettres sur l'Italie faisant suite aux lettres sur la Morée, l'Hellespont et Constantinople, Castellan évoque sa rencontre avec Péquignot : « J'ai vu aussi, à Naples, M. Pequignot, autre peintre français, mais plus particulièrement grand dessinateur. Il savoit donner aux figures de ses compositions une expression aussi vive que profonde. »80

De la vie de bohème à la marginalité

Le silence tombe alors progressivement sur Péquignot ; parmi les témoignages écrits qui nous sont parvenus sur le reste de ses années napolitaines (avant sa maladie et sa mort), se trouve cette brève mention de Cacault :
« [...] Il est resté en Italie plusieurs artistes français d'un talent très distingué : Fabre, Boguet, Corneille, Goffier, demeurant à Florence, Vanloo demeurant à Gènes, Sanlos et Blanchard demeurant à Rome, et Péquignot demeurant à Naples. Ce sont des hommes faits et formés qui n'ont plus rien à acquérir en Italie ; ils y restent pour ne pas aller à Paris mourir de faim. Ils savent que ceux qui sont rentrés manquent d'ouvrage. Nous perdons des hommes d'un talent qui coûte beaucoup à former, et je crois qu'à Paris ils se perdent encore davantage parce qu'il y reste toujours un grand esprit de parti et d'école[…] »81
En 1805 (ou peu avant), « un amateur passionné [Mr Nicolas] , ayant entendu parle du talent de Pequignau et le sachant dans la misère, le fût prier de passer chez lui qu'il voulloit l'occuper, il se fit beaucoup prier enfin il se presenta dans un état qui faisait frémir. »82
(suite)

À cette date en effet Felice Nicolas83, Surintendant des Antiquités du Royaume de Naples, entreprend une campagne de fouilles près de la porte septentrionale de la ville de Paestum. Dans une sépulture d'un grand intérêt archéologique, il met au jour une série de vases grecs très anciens.

Jean-Pierre Pequignot, Vue de Paestum prise hors des murs près de la porte septentrionale
Vue de Paestum prise hors des murs près de la porte septentrionale,
1812, in : Memorie sui monumenti di Antichita…, R. Paolini.

Cette découverte est illustrée par un tableau de Péquignot de 4 palmes napolitains sur 3 (environ 1 x 0,80 m) conservé au début du XIXe siècle dans le cabinet de Nicolas et gravé sur cuivre en 1812 par Luigi Vocaturo. Cette illustration fait partie du recueil de Roberto Paolini, Memorie sui monuments di Antichità e Belle Arti che esistono in Miseno, in Bacoli, in Baia..., publié à Naples en 181284.
Nicolas appréciait certainement Péquignot pour son talent et sa culture, mais il le prit aussi sans doute en pitié, voyant l'état de misère auquel le peintre était réduit. Coupin nous apprend en effet que Nicolas s'occupa alors de le faire soigner, et cela à deux reprises, la première fois quand il fit sa connaissance, et la seconde fois, quelques jours avant sa mort :
« ...il avoit une mauvaise redingote sans bouton et attachée autour du corps avec un cordon de chaussure percée ; tout le reste de son accoutrement annonçoit la plus grande misère et de plus il avoit un fistule au nez dont l'humeur lui couloit sur le visage. Mr Nicolas le fit guérir par son médecin, mais il en conserva la marque. Girodet disoit à cette occasion qu'il avoit reçu un coup de pied de Vénus. »
« […] Après avoir vécu misérablement, il tomba malade, je crois de la poitrine, Mr Nicolas alla chez lui, il le trouva dans une salle humide et travaillant à un paysage dont il faisoit le ciel. Mr Nicolas lui ayant demandé s'il avoit besoin de quelque chose et s'il pouvoit lui être utile, il lui répondit qu'il n'avoit besoin de rien, quoique tout annonçait le contraire. Quelque jour après sa maladie et sa misère ayant augmenté, il envoya prier Mr Nicolas de venir le voir, le médecin lui ayant ordonné d'aller à la campagne, Mr Nicolas l'y fit transporter, peu de jours après il mourut. »85
Girodet précise, dans son poème Le peintre que c'est sur la côte sorrentine que s'éteignit son ami :


« Ici brille Sorrente, asile obscure du Tasse,
Tombeau d'un jeune Apelle en sa fleur dévoré,
Et que le dieu des arts en secret a pleuré. »86


Péquignot disparaît donc en 1806 ou 1807, à l'âge de 41 ou 42 ans. La date qui a été retenue ensuite par les auteurs, de manière justifiée ou non, est la seconde. Toutefois le peintre Angelini (Santa Giunta, Latium, 1760 - Naples 1853) dans un document inédit daté du 18 mars 1809, évoque la mort du peintre, survenue environ un an auparavant87 :
« ...io conosco questo quadro [la Veduta di Pesto] essendo fatto da un mio amico, morto circa un anno fa, chiamato Pequignon. »88
Les recherches effectuées dans les archives de Sorrente n'ont pas permis de découvrir le lieu et la date exacts de la mort de l'artiste89.
La cause principale de son décès, selon Coupin, serait une maladie de poitrine (sans doute la tuberculose) -hypothèse accréditée par le transfert du malade à Sorrente, réputée pour la salubrité de son air. Toutefois son mode de vie bohème et ses excès ont certainement contribué à précipiter sa fin.
« Pequignau avoit le défaut de se livrer à la boisson, on le trouvoit souvent ivre et endormi dans les rues de Naples ; quoiqu'il soit bien digne par son talent et son esprit de vivre dans la classe la plus élevée de la société, il parroit qu'il étoit souvent avec les gens de la plus basse classe. »90
Coupin rapporte qu'« un des élèves de Girodet, M. Delorme91, ayant été pendant son séjour à Naples lui porter des lettres de son maître, Péquignot refusa deux fois de le recevoir ; M. Delorme fut obligé de forcer sa porte et il le trouva dans un état qui expliquait sa répugnance à se laisser voir. »92
Cette habitude de se livrer à la boisson, Péquignot l'avait déjà contractée à Rome93 (Lettre de Girodet à Gérard du 16 mai 1791).
Qu'advient-il, à la mort de l'artiste, de ses quelques biens et de son fonds d'atelier ? Sur les conseils de Girodet, Antoine Péquignot seul et unique héritier, donne sa procuration à un colonel napolitain du nom de Calcidonio Casella94. Celui-ci se serait empressé de récupérer les tableaux et le portefeuille considérable de dessins laissés par le peintre, et de les vendre à son profit95. Ainsi, l'essentiel de l'œuvre a-t-il échappé à Girodet, qui appréciait particulièrement les œuvres de son ami et qui en possédait déjà quelques unes96.


Le caractère, les habitudes, les goûts de Péquignot : une solide culture et de funestes penchants

Coupin évoque à deux reprises son intérêt pour la lecture, affirmé dès l'enfance et qui a sans doute contribué à lui donner une culture et un style qui ont séduit Girodet. Cette information est corroborée par les choix iconographiques de ses tableaux dont les détails posent souvent aux spécialistes des problèmes d'identification.
Péquignot « parlait très élégamment sa langue et l'italien ; il aimait la musique et la cultivait. »97 Et encore : « il chantoit l'italien et s'accompagnoit de la guitare de manière à être pris pour un Italien. »98
Sans attaches particulières à Naples, il s'absentait souvent pour des excursions plus ou moins longues. Son voyage le plus lointain semble être celui fait en Sicile avec Lhomme et d'Arlincourt. Tant les détails fournis par Girodet que l'examen des œuvres de Péquignot permettent d'établir qu'il se rendit sur le Vésuve et sur la côte méridionale du golfe, à Cava dei Tirreni, à Paestum et à Sorrente, et probablement au tombeau de Virgile avec Girodet.
Quant au caractère de notre artiste, les difficultés de son existence ont peut-être encouragé une misanthropie que relève Coupin : « Avec une aversion pour tout le monde et une sorte de sauvagerie qui l'éloignait de toute société, et qui lui faisait considérer comme une contrainte tous les usages qu'elle exige, Péquignot devait prendre et prit effectivement, en avançant en âge des habitudes qui, malgré son grand talent, ne lui auraient pas permis d'y paraître. »99
Ce dégoût du monde ne servit pas véritablement sa carrière et cette indifférence pour la clientèle l'isola encore davantage et finit par le faire tomber dans la misère.
« Ses ouvrages étoient assez estimés à Naples mais il ne tenoit pas le premier rang, d'autres peintres de paysages étoient beaucoup plus dignes que lui, indépendamment de sa conduite qui devoit lui faire beaucoup de tort, il me semble que le mérite de ses ouvrages est du genre qui n'est servi que par le très petit nombre de la partie [il n'avait pas beaucoup de concurrence] »100
Girodet préfère y voir une austère vertu plutôt qu'un défaut de son caractère :


« La France honorerait aujourd'hui sa mémoire,
Si son orgueil, moins fier, eût accueilli la gloire.
Aimant les arts pour eux, heureux d'être oublié,
Ses seuls besoins étaient l'étude et l'amitié ;
Par l'étude fixé sur la terre étrangère,
Pour compagne il garda la pauvreté sévère,
Pour mentor le travail, et ses nobles mépris
Aux hommes comme à l'or n'attachaient aucun prix.
Plus d'une fois j'ai vu la bizarre fortune,
Accourant sur ses pas, lui paraître importune,
Je l'ai vu, dédaignant les dons de sa faveur,
Lui-même malheureux, secourir le malheur ! »101


Péquignot meurt oublié et misérable au moment où son ami Girodet est devenu un des peintres officiels de l'Empire et où le royaume de Naples passe, pour une décennie, sous l'autorité des Napoléonides, Joseph Bonaparte puis Joachim Murat. L'épopée napoléonienne, tout autant que la vieille hiérarchie des genres, favorisent toujours la peinture d'histoire et ses héros mais le paysage a désormais sa place et les premiers frémissements du Romantisme secouent les règles des académies.
De cette redécouverte de la nature, Péquignot n'a pas été seulement le témoin, comme toute sa génération, mais aussi l'un des interprètes, déchiré entre sa passion d'artiste et sa misanthropie d'exilé.
Chateaubriand, dans un récit autobiographique, René (1805), a exprimé le mal de vivre de sa génération et ses aspirations contradictoires qui furent aussi celles de notre peintre :
« Un jour j'étais monté au sommet de l'Etna... je vis le soleil se lever dans l'immensité de l'horizon au-dessous de moi, la Sicile resserrée comme un point à mes pieds et la mer déroulée au loin dans les espaces... Mais tandis que d'un côté mon oeil apercevait ces objets, de l'autre il plongeait dans le cratère, dont je découvrais les entrailles brûlantes, entre les bouffées d'une noire vapeur... C'est ainsi que toute ma vie j'ai eu devant les yeux une création à la fois immense et imperceptible, et un abîme ouvert à mes côtés. » 102



Avec l'aimable autorisation de Émilie Beck Saiello auteure de :
Jean-Pierre Péquignot : Baume-les-Dames 1765 - Naples 1807, Editions Artema, 2005




Notes


1) — Girodet, « Le peintre », in Œuvres posthumes, éd. présentée et annotée par P.-A. Coupin, Paris, J. Renouard, 1829, t. I, p. 124.

2) — Lancrenon, Joseph-Ferdinand, « Notice sur Girodet », Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon, séance publique du 28 janvier 1870, Besançon, Dodivers, 1872, p. 86. Thuriet le fait naître le 12 mai 1765 et indique par ailleurs que le nom de Péquignot, d'origine espagnole, est assez répandu en Franche-Comté. Thuriet, Maurice, « Un artiste oublié : le peintre J.-P Péquignot de Beaume-les Dames », Mémoires de la Société d'émulation du Doubs, Besançon, 8ème série, t. V, 1910 (1911), p. 270.

3) — Simon-Ravey, Simone, « Les frères Péquignot », Mon vieux Baume, 1993, n° 32, p. 33.

4) — Brune, Paul, abbé, Dictionnaire des artistes et ouvriers d'art de la Franche-Comté, Paris, Bibliothèque d'art et d'archéologie, 1912 (réim-pression Bourg-en-Bresse, Éditions provinciales, 1992, p. 220) ; Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., p. 270. Simone Simon-Ravey écrit que Jean-Pierre y entre en 1784 et commet une erreur de date. Simon-Ravey, « Les frères Péquignot », cit., p. 33. Il s'agit du Suisse Johann-Melchior-Joseph Wyrsch (Buochs 1731- Buochs 1798) et du Franc-comtois Luc-François Breton (Besançon 1731 - Besançon 1800). Selon Gilberte Martin-Méry « Wyrsch passa sa vie en France. Tout d'abord élève de Jean Suter, puis de Frantz Auguste Kraus d'Augsbourg, il se rendit à Rome en 1753, où il rencontra un sculpteur de Besançon, Luc Breton, avec lequel il se lia d'amitié. Sur ses conseils, il se fixa à Besançon, où il fonda l'école de peinture et de sculpture ; adopté par la société franc-comtoise, il en devint le portraitiste attitré... » Martin-Méry, Gilberte, Paris et les ateliers provinciaux au XVIIIe siècle, Bordeaux, Delmas, 1958, p. 48-49.

5) — Castan, Auguste, « L'ancienne école de peinture et de sculpture de Besançon, 1756-1791 », Mémoires de la Société d'émulation du Doubs, 6e série, t. III, 1888 (1889), p. 137-138.

6) — Castan, « L'ancienne école de peinture et de sculpture de Besançon... », cit., p. 137 ; Lancrenon, « Notice sur Girodet », cit., p. 86.

7) — Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., p. 271 ; Brune, Dictionnaire des artistes..., cit., p. 220.

8) — Fleuri de Commartin, dit le chevalier Pawlet (ou Paulet) (1731-1793), d'origine irlandaise, crée à Paris en 1773 l'École des orphelins militaires, un établissement scolaire destiné aux fils de militaires tués ou blessés au service de la France. Cette école, qui dispense un enseignement général où figure l'apprentissage des arts, compte jusqu'à deux cent cinquante élèves. Parmi eux le futur maréchal Mac Donald, duc de Tarente (qui plus tard consacrera à Pawlet une courte notice dans Le Journal de l'Education, en juillet 1816). L'École est établie d'abord près de la barrière de Sèvres, puis au couvent des Célestins de 1786 à 1789, enfin à Popincourt en 1791. Ses élèves sont pour la plupart des orphelins, enfants d'officiers ou de sous-officiers, mais elle compte aussi quelques fils d'amis du chevalier. Les deux jeunes Péquignot ont pu s'y faire inscrire grâce à leurs relations de Besançon, à moins que leur père n'ait été militaire avant de devenir maréchal-ferrant à Baume-les-Dames. Pawlet fait partie de ces réformateurs qu'ont multipliés les difficultés économiques et sociales de la fin de l'Ancien Régime. Son activité ne s'est pas bornée à la constitution d'un prytanée, mais aussi à des projets de travaux publics et de caisses de secours. Il est également l'auteur des Projets de décrets sur les milices auxiliaires et les travaux publics, avec des observations sur la police générale du royaume, sur un plan d'impôt territorial, la capitation, le timbre et une banque de secours nationale, précédés d'une adresse à l'Assemblée Nationale, Paris, Imprimerie Nationale, 1790. Après la journée du 10 août 1792 et la chute de la royauté, le chevalier, qui n'a pu obtenir l'aide des assemblées pour la construction de son école militaire, préfère émigrer. Il meurt à l'étranger peu après en un lieu resté inconnu. Cf. Jal, Augustin, Dictionnaire de Biographie et d'Histoire, Paris, Plon, 1867, p. 749-750.

9) — À partir de septembre 1785 il loge chez un parfumeur rue de Grenelle St Honoré, actuellement rue Jean-Jacques Rousseau (cf. infra note 15).

10) — Versailles, Archives départementales des Yvelines (à partir de maintenant sous l'abréviation A.D.Y.), Fonds Coupin, J. 2071 à 2075. Le fonds Coupin a été découvert par Alain Pougetoux. Les informations sur Péquignot du Fonds Coupin et des Œuvres posthumes... de Girodet ont été transmises à Coupin par Henri-Guillaume Chatillon (Paris 1780 - Versailles vers 1856), qui les tenait à son tour de son maître Girodet. Il s'agit par conséquent de sources indirectes, publiées par Coupin, environ vingt ans après la mort de Péquignot. Il existe des différences notables entre les manuscrits de Coupin conservés à Versailles et l'ouvrage publié, les Œuvres posthumes. Toutes les informations provenant du fonds Coupin nous ont été généreusement communiquées par Sidonie Lemeux-Fraitot.

11) — Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., p. 271-272 ; Brune, Dictionnaire des artistes..., cit., p. 220.

12) — Nicolas-Guy Brenet (Paris 1728 - Paris 1792), avait un atelier important. Toutefois ses disciples (comme François Gérard) passèrent rapidement chez David, qui incarnait la relève. Nous remercions Philippe Bordes pour cette information.

13) — Nous avons choisi de conserver pour toutes les citations l'orthographe et la ponctuation originales.

14) — Claude Dejoux (Vadans, Jura, 1732 - Paris 1816) étudia à l'académie de Marseille, puis à Paris auprès de Guillaume Coustou. Il travailla à Rome de 1770 à 1774. De retour à Paris, il fut « agréé » en 1778 et devint membre de l'Institut en 1795. Ses premiers travaux ont été exécutés sous la direction de Pajou pour l'opéra du château de Versailles de 1768 à 1770. Parmi ses œuvres on peut citer deux bustes d'Esculape et d'Hygie, présentés au Salon de 1779, un Saint Sébastien, son morceau de réception à l'Académie, une Renommée pour la coupole du Panthéon (Ste Geneviève), ou encore le tombeau du sculpteur Julien.

15) — Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, « Registres des Élèves de l'Académie », Ms. 823 (ancien Ms. A 95), folios 65 et 78. Antoine est de nouveau mentionné en mars 1782, en septembre 1782 et en mars 1783 ; Jean-Pierre en mars 1783, en septembre 1783, en septembre 1783 (sic), en mars 1784, en septembre 1784, en mars 1785 et en septembre 1785. À cette date il habite alors « rue de Grenelle St Honoré, maison de M. [ ?]ué Parfumeur. » Nous remercions Philippe Bordes de nous avoir communiqué cette information.

16) — Cahen, Antoine, « Les Prix de quartier à l'Académie royale de peinture et de sculpture », Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art Français, année 1993 (1994), p. 77. Nous remercions Philippe Bordes de nous avoir signalé cet article.

17) — Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2071 à 2075.

18) — Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., p. 271-272. Brune, Dictionnaire des artistes..., cit., p. 220 ; ses sources sont : Castan, « L'ancienne école... », p. 137-148 ; Girodet, Œuvres posthumes..., cit., t. I, p. 298.

19) — L'Exposition de la Jeunesse, organisée le jour de la Fête-Dieu place Dauphine, en plein air, permettait aux artistes qui n'appartenaient pas à l'Académie (les peintres non encore affirmés ou les représentants des genres mineurs) de présenter leurs œuvres au public. Les natures mortes et les paysages connaissaient en général un large succès auprès des visiteurs. Sur les expositions publiques parisiennes au XVIIIe siècle, cf. Crow, Thomas E., Painters and Public Life in Eighteenth-Centuty Paris, New Haven et Londres, Yale University Press, 1985 (ed. fr. Paris, Macula, 2000).

20) — Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., p. 272. Sanchez, Pierre, Dictionnaire des artistes exposant dans les salons des XVII et XVIIIème siècles à Paris et en Province, t. III, 1673-1800, Dijon, L'Échelle de Jacob, 2004, p. 1333.

21) — Lancrenon (in « Notice sur Girodet », cit., p. 86) avance comme raison la nécessité pour Péquignot d'étudier les proportions et les attitudes du corps humain. Thuriet (in « Un artiste oublié... », cit., p. 272), qui suggère que le jeune artiste n'avait pas encore choisi de se spécialiser dans la peinture du paysage, commet une erreur puisque en 1785 Péquignot présente deux paysages à l'Exposition de la Jeunesse.

22) — L. Jules David (in Le peintre Louis David 1748-1825. Souvenirs et documents inédits, Paris, Victor Havard, 1880, p. 629) cite Péquignot parmi les élèves de David, mais ne mentionne pas ses sources. Cette affirmation est d'ailleurs contredite par le silence de Delécluze (Delécluze, Étienne Jean, Louis David, son école et son temps, Paris, Didier, 1855, réédition avec préface et notes de Jean-Pierre Mouilleseaux, Paris, Macula, 1983). Jules David, Lancrenon et Thuriet sont d'ailleurs des sources tardives ou secondaires et pas toujours fiables. Nous remercions Philippe Bordes de nous avoir fait part de ces informations et donné son avis sur cette délicate question. Selon Rémi Cariel (communication du 27 mai 2005), Péquignot aurait pu entrer en relation avec David par l'intermédiaire de Brenet, sans pour autant « séjourner » dans l'atelier du maître.

23) — Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., p. 272-273.

24) — On peut déduire cette date de l'observation de Thuriet : « Il était installé dans la capitale de l'Art depuis deux ou trois ans lorsqu'arriva dans cette ville, en qualité de pensionnaire de l'Académie de France, Girodet, le futur auteur du Déluge et des Funérailles d'Attala, qui avait obtenu le Grand Prix de Rome en 1789. » Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., p. 273.

25) — Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2071 à 2075.

26) — Lettre de Girodet à Gérard, Rome, 18 avril 1791. « Jean-Baptiste Topino-Lebrun te dit bien des choses, surtout Péquignot. Il m'a confié sa position. Je ne désespère pas qu'il ne s'humanise un peu. Nous devons dîner ensemble chez M. Giraud au premier jour. » Lettres adressées au baron François Gérard par les artistes et les personnages célèbres de son temps, Paris, A. Quantin, 1886, t. I, p. 166-167. Voir aussi les lettres du 16 mai (ibid., p. 167-169), s.d [mai 1791] (p. 170), du 13 juillet (p. 176-177).

27) — Coupin cité in Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., p. 274.

28) — Lettre de Girodet à Gérard, Rome, le 13 juillet 1791. « Depuis le 27 juin, jour de la date de ta lettre, tu dois en avoir reçu une de moi, dans laquelle il y en avait une fort longue de Péquignot […] Péquignot t'écrit tous les jours, et je crois qu'au premier jour tu recevras de lui une brochure de quelques centaines de pages. » Lettres adressées au baron François Gérard..., cit., p. 176-177. Sidonie Lemeux-Fraitot (communication du 19 juin 2005) pense que ce serait probablement Gérard qui aurait présenté Péquignot à Girodet. Elle fonde son opinion sur la correspondance de Gérard, et en particulier sur la lettre de Girodet du 13 juillet 1791 adressée de Rome à Gérard : Péquignot écrit tous les jours à Gérard, reparti en France, et les termes de Girodet indiquent bien que Gérard surtout était l'ami privilégié de Péquignot. Pour S. Lemeux-Fraitot, Girodet se serait lié à Péquignot à Rome, et non à Paris.

29) — Lemeux-Fraitot, Sidonie, Ut poeta pictor, les champs culturels et littéraires d'Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824), thèse de doctorat de l'Université de Paris 1-Sorbonne sous la direction d'Eric Darragon, Paris, 2003, vol. II, p. 30 : « avril 1791. Girodet est allé dîner chez Giraud avec Péquignot » ; « mi-octobre 1791 : arrivée de Gérard à Rome, il retrouve Girodet quotidiennement ainsi que Tortoni et Péquignot. »
La date d'arrivée de Gérard à Rome est sujette à caution ; celle-ci peut se situer en fait entre septembre et novembre. Nous remercions Bruno Chenique de nous avoir communiqué ces informations.

30) — Réattu s'intéressait lui aussi au paysage, comme en témoigne sa dernière lettre expédiée de Rome le 6 novembre 1792 et dont les termes rappellent étrangement la correspondance de Girodet : « Malgré la perspective que j'ai actuellement, je profite du peu de beau tems qui nous reste avant l'hiver pour voir les campagnes de Rome que je ne connois pas entièrement, [...] les environs d'Albano et de Frascati sont ce qu'il y a de mieux ; les effets de montagnes qui bordent le pays y sont admirables. Si je peux y retourner et y passer moins rapidement, j'en rapporterai quelque chose. » Cité in Simons, Katrin, Jacques Réattu 1760-1833, peintre de la Révolution française, Neuilly-sur-Seine, Arthena, 1988, p. 24 et note 203 p. 77.

31) — Cf. Lemeux-Fraitot, Ut poeta pictor... , cit., vol. I, p. 197 et note 247. Pour Belle et Giraud, cf. Correspondance des directeurs de l'Académie de France à Rome avec les surintendants des bâtiments publiée d'après les manuscrits des archives nationales par M. Anatole de Montaiglon sous le patronage de la Direction des Beaux-Arts, Paris, Charavay frères, 1907, t. XVI, p. 172. L'abbé Paul Belle est à Rome avec le sculpteur Jean-Baptiste Giraud d'octobre 1789 à fin novembre 1792. Précisons qu'il n'existe pas de lien de parenté entre l'abbé et le peintre d'histoire Augustin-Louis Belle.

32) — Péquignot fréquente les pensionnaires et peut-être son directeur, Ménageot (cf. infra). Coupin nous dit que « Pequignau et Girodet se trouvoient à l'académie de France à Rome [...] Pequignau sortit de l'atelier pour voir ce qui se passoit... » (nous reproduisons p. 15 le passage dans son entier). Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2074. Péquignot retrouve à Rome les élèves de David qu'il avait certainement connus à Paris, dans l'atelier de Brenet. En effet, selon Philippe Bordes, durant le deuxième séjour de David à Rome, de septembre 1784 à septembre 1785, ses élèves fréquentèrent l'atelier de Brenet. Cf. Bordes, Philippe, « François-Xavier Fabre, 'Peintre d'Histoire' - I », The Burlington Magazine, t. CXVII, n° 863, février 1975, p. 91. Nous remercions Philippe Bordes et Rémi Cartel pour ces précisions.

33) — Sur l'Académie de France à Rome pendant la Révolution Française, cf. Crow, Thomas E., Emulation Malzing Artists for Revolutionary France, New Haven et Londres, Yale Universit Press, 1995.

34) — Michel, Olivier, « Effervescence et violence. Les artistes français en Italie de 1789 à 1793 » in La Révolution française et l'Europe, cat. exp. (Paris, Galeries Nationales du Grand Palais, 16 mars - 16 juin 1989), vol. II, l'Événement révolutionnaire, Paris, RMN, 1989, p. 618-621.

35) Ibidem, p. 618.

36) — Nicolas Jean Hugou de Bassville (1753-1793) était, en janvier 1793, secrétaire d'ambassade à Naples et envoyé à Rome de l'ambassadeur près du royaume de Naples, Mackau.

37) — Selon Thuriet, Girodet demande l'honneur de pouvoir les peindre, aidé de Péquignot et de deux de leurs amis. Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., p. 276.

38) — Michel, « Effervescence et violence... », cit., p. 621.

39) — Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2074. Cité in Thuriet , « Un artiste oublié... », cit., p. 276-277.

40) — Lettre de Girodet à Trioson du 18 janvier 1793, in Girodet, Œuvres posthumes, cit., t. II, p. 426-427. Il est intéressant de comparer cette version avec celle de Dufourny (cf. infra p. 49) qui rapporte le récit que lui en a fait Péquignot. Léon Dufourny (Paris 1754 - Paris 1818) a été l'élève de David Leroy et de Marie-Joseph Peyre. Il part pour l'Italie en 1782, à Rome d'abord, puis à Palerme en 1789 où il dirige la construction des bâtiments du jardin botanique et de l'observatoire. Cf. infra les notes au journal de Dufourny.

41) — Un feuillet du fonds Coupin (Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2071 à 2075) apporte quelques précisions supplémentaires sur cet épisode : « la crainte qu'ils eurent d'être volé peut-être assassiné en route, durant que Girodet dormait, Péquignot qui était éveillé entendit le complot qui se tramait, éveilla son ami et ils partirent. Ce ne fut que lorsqu'ils furent hors de danger que Péquignot fit connaître le motif de leur départ précipité. Girodet disait, à cette occasion, qu'il lui devait la vie. »

42) — Lettre de Girodet à Trioson du 18 janvier 1793, in Girodet, Œuvres posthumes, cit., t. II, p. 426-427. Voir, à titre comparatif, la relation qu'en donne Coupin : « Le jour d'après ils partirent pour Naples à pied ; forcés de s'arrêter dans les marais pontins et de passer la nuit dans un mauvais gite, Girodet dormoit, non pas sans s'inquiéter, [l'auteur en ajoutant deux négations dit le contraire de ce qu'il voulait dire : Girodet dormait sans s'inquiéter] son ami l'éveilla et lui dit Girodet levez-vous et partons, ce qu'ils firent ; lorsqu'ils furent hors de danger, Péquignau lui dit ces gens qui étoient dans la même chambre que nous, se disposoient à nous voler et peut-être plus encore, je ne dormois pas, j'ai tout entendu. Girodet disoit que dans cette occasion il devoit son salut à son ami. » Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2074.

43) — Frédéric-Robert Meuricoffre (1740-1816).

44) — Willk-Brocard, Nicole, François-Guillaume Ménageot (1744-1816), peintre d'histoire, directeur de l'Académie de France à Rome, Paris, Arthéna, 1977, p. 40. Girodet noue des contacts avec Frédéric-Robert Meuricoffre ; celui-ci (qui fut contraint également de quitter le royaume de Naples) l'hébergera de nouveau en juin 1795, à Gênes. Les Meuricoffre (Moerikoffer) sont originaires du canton de Thurgovie en Suisse. Frédéric-Robert (le fils de Johann-Georg, qui fonda une maison de commerce à Lyon et prit le nom francisé de Meuricoffre), s'établit à Naples en 1760 où il créa la banque Meuricoffre et Cie. Attinger, Victor, Godet, Marcel et Türler, Henri , Dictionnaire historique et biographique de la Suisse, Neuchâtel Administration du Dictionnaire historique et biographique de la Suisse, 1928, t. IV, p. 708.

45) — Lemeux-Fraitot, Ut poeta pictor..., cit., t. I, p. 221.

46) Journal de l'architecte Léon Dufourny, Palerme, 1789-1793, Paris, Bibliothèque Nationale de France, Cabinet des Estampes, Ub 236 4°, t. II, samedi 9 mars 1793. Louis-Adrien Prévost d'Arlincourt (Évreux 1743 - Paris 1794). Très dévoué à Monsieur, Comte de Provence (le futur Louis XVIII), il fit partie des vingt-huit fermiers généraux exécutés le 19 floréal an III (jeudi 8 mai 1794), sous l'inculpation collective et banale de complot contre le peuple (cf. Dictionnaire de biographie française, Paris, Letouzé et Ané, 1939, t. III, p. 645 ; Janzé, Alix de, Les Financiers d'autrefois : Fermiers généraux, Paris, Ollendorff, 1886, p. 300-302). Il est probable que la mort tragique de son ancien protecteur et compagnon de voyage ait traumatisé Péquignot.

47) — Naples, Archivio di Stato di Napoli, Affari esteri, busta 543, sans numéro de folio.

48) — Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2071 à 2075.

49) — Lettre de Girodet à Trioson, Naples, 9 février 1793, in Correspondance de Girodet, vol. III, n° 34, mentionnée par Lafont, Anne, Une jeunesse artistique sous la Révolution : Girodet avant 1800, thèse de doctorat de l'Université de Paris IV-Sorbonne sous la direction d'Antoine Schnapper, Paris, 2001, p. 105.

50) — Lettre de Girodet à Madame Trioson du 1" mars 1793, in Girodet, Œuvres posthumes..., cit., t. II, p. 431.

51) — Bien que pensionnaire de l'Académie, Girodet connaît lui aussi des incertitudes financières du fait de la dévaluation rapide des assignats et d'un change devenu par conséquent de plus en plus désavantageux. Il s'en plaint longuement dans une lettre au docteur Trioson, écrite à Naples les 25 juillet, 2 août et 1er septembre 1793 et conservée dans le Fonds Pierre Deslandres, t. III, n° 42, déposé au Musée Girodet de Montargis. « [25 juillet] Nous continuons mon ami davoir un traitement qui nest pas a beaucoup près l'équivalent de celui dont nous jouissions a Rome mais nous l'avons statué tel entre nous le croyant plus convenable aux circonstances présentes il a été avoué par les ministres de la République a Naples et a Florence qui se partagent les éléves de l'academie dans ce moment cy. Je vous enverray par le prochain courrier la note des sommes que jai touché par Mr Meurikoffre depuis que je suis ici le change actuel est tel que une livre ou 20s de france qui équivalaient a 23 grains de Naples n'en vaut plus que 7 et demi. Je ne prendrai plus de cet argent autant que je pourrai m'en passer c'est par trop dégoutant. Mais qu'y faire ? patienter, et puis encore patienter. Voilà la recette générale a bien des maux particulier […]
[1er septembre ; Girodet cite ici les justifications de Cacault] « Les circonstances rigoureuses pressent sur tous ; vous voyés que la loi connue et le bon sens ne permettent plus de continuer aux pensionnaires un traitement quadruple de ce qui est fixé par la convention. ceux que cette circonstance rigoureuse obligera de partir recevront le montant de leur voyage en argent conformement aux anciens règlemens il serait pourvû au Surplus si cela devenait nécéssaire. »
Ainsi mon bon ami vous voyés maintenant a quoi se reduit mon traitement de pensionnaire. quant à ce que jai touché de la somme de 150ls par mois cela se reduit a six mois 9bre Xbre Janve feve, Mars, et avril. Je commence a être assés près de mes pieces, et quel sera le premier payement. »
Nous remercions Bruno Chenique de nous avoir communiqué ce document.

52) — Lettre de Cacault à Paré, Ministre de l'Intérieur, Florence, 27 septembre 1793, in Correspondance des directeurs..., cit., t. XVI, p. 329-333. Par ailleurs, Girodet reçoit de Trioson, par l'intermédiaire de Meuricoffre, 150 livres par mois (Lettre de Trioson à Gérard du 20 pluviôse 1793 [10 février 1794] in Lettres adressées au baron François Gérard... , cit., p. 183) et obtient une aide financière de Raymond et Piatti (Lemeux-Fraitot, Ut poeta pictor..., cit, t. I, p. 220).

53) — Ce nom propre, bien qu'inattendu, est porté en France par plusieurs familles.

54) — Le journal de l'architecte Léon Dufourny nous fournit l'emploi du temps, jour après jour, de Péquignot en Sicile (et particulièrement à Palerme). « Samedi 9 [mars 1793]. Dîné chez Mrs Caillol, Nicoud etc. il s'y trouvoit trois voyageurs françois M. d'Arlincourt fermier général, avec M. Lhomme son instituteur et M. Péquignon peintre de paysage […]. Ces Mrs se proposent de faire le tour de la Sicile, d'aller à Malthe puis à Naples et de revenir icy pour la fête de Ste Rosalie [les 13-14 et 15 juillet] : il y a 3 ans qu'ils sont en voyage, et se proposent de le prolonger encor pendant six autres années. »

55) Journal de l'architecte Léon Dufourny..., cit., vendredi 3 mai.

56) Journal de l'architecte Léon Dufourny..., cit., mercredi 15 et lundi 20 mai. Dufourny précise qu'il s'est rendu chez « M. Péquignon » et « chez MrsLhomme et d'Arlincourt »

57) Journal de l'architecte Léon Dufourny..., cit., mercredi 12 juin.

58) Journal de l'architecte Léon Dufourny..., cit., mercredi 15 mai. Il s'agit sans doute d'une vue de l'amphithéâtre ou « théâtre grec » de Taormine. L'odéon ne fut mis au jour qu'en 1893. Malheureusement ce dessin ne nous est pas connu.

59) Journal de l'architecte Léon Dufourny..., cit., mercredi 12 juin. Il s'agit très certainement du dessin de la Galerie Mackinnon, à Londres, signé « Pequignot / a Palerme 1793. » À quel moment Péquignot a-t-il réalisé les esquisses préparatoires à ce dessin ? Lors du voyage à travers la Sicile, entrepris avec L'homme et d'Arlincourt en mars-avril 1793, ou plus tard, fin mai-début juin, en compagnie de la famille Belmonte, comme pourraient le laisser penser l'absence de mentions de Péquignot dans le journal de Dufourny entre le 16 mai et le 7 juin et ce passage du même journal : « Samedy 1er juin [ ...] Le soir j'allai chez Mrs Lhomme et d'Arlaincourt qui m'apprirent que toute la famille Belmonte étoit partie pour voir l'Etna, Catane et Syracuse. » Journal de l'architecte Léon Dufourny..., cit., samedi 1er juin.

60) Journal de l'architecte Léon Dufourny..., cit., samedi 8, lundi 10, samedi 15 juin, lundi 8 et vendredi 12 juillet.

61) — Hoüel, Jean, Voyage pittoresque des isles de Sicile, de Malte et de Lipari, Paris, 1782-1787, 4 vol. Journal de l'architecte Léon Dufourny..., cit., lundi 24, samedi 29 juin et mercredi 10 juillet.

62) — Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2074.

63) — Girodet, « Le peintre », in Œuvres posthumes, cit., t. I, p. 132. Le poème « Le peintre » fut conçu dans les années 1801-1804, puis complété et corrigé par Girodet tout au long de sa vie.

64) — Lettre de Girodet à Trioson. Naples, sans date, in Correspondance de Girodet, vol. III, n° 38, citée in Lafont, Une jeunesse artistique..., cit., p. 106 et note 326. Lettre de Girodet au docteur Trioson, de Naples le 25 juillet 1793, continuée huit jours après, citée in Lemeux-Fraitot, Ut poeta pictor..., cit. , t. I, p. 221 et note 372. Girodet séjournait-il chez Raymond ? Etait-il avec Péquignot ? Selon Sidonie-Lemeux-Fraitot, que nous avons interrogée à ce sujet, la lettre de Girodet au docteur Trioson (Naples, 25 juillet 1793) indique simplement : « avant hier me trouvant à la maison de campagne de M. Raymond J'y lus dans un Papier... ». Les lignes (p. 2 de la lettre) ont été écrites huit jours après le début de la lettre (soit environ le 2 août). Peut-on en déduire que Girodet était chez Raymond le 31 juillet ? Dans la suite de la lettre, (p. 3, datée du 1er septembre) Girodet explique que le retard mis à terminer sa missive est dû au fait qu'il est allé dessiner au tombeau de Virgile. Toutefois il ne mentionne pas le nom de Péquignot et ne précise pas à quel endroit se trouve la maison de campagne de Raymond.

65) — Girodet fait au docteur Trioson le récit de cette excursion : « [1er septembre] ... divers raisons en ont été la cause [de mon silence] entres autres une petite maladie d'une 10e de jours consistant seulement en fievre que j'ay attrappé Je crois en allant dessiner au Tombeau de virgile endroit très frais près la grotte de Pausilippe mais où on n'arrive qu'après avoir fait un assés long chemin a l'ardeur du soleil [...] mon bon amy que vont devenir mes projets detudes de Paysage dont la seule espérance me rejouissait Je touchais au moment dexecuter ce projet 7bre 8e 9bre me disais-je voilà trois delicieux mois pour cela... [suit l'allusion au décret d'expulsion des Français des royaumes de Naples et de Sicile le 1er septembre 1793. Cf. infra note 67] » Lettre de Girodet au docteur Trioson, Naples les 25 juillet, 2 août et 1er septembre [1793], citée supra note 51. Voir aussi Lemeux-Fraitot, Ut poeta pictor..., cit., vol. I, p. 225 et notes 403-411.

66) — Girodet, « Le peintre », in Œuvres posthumes, cit., t. I, p. 124.

67) — « [1er septembre] ...une flotte Anglaise vint mouiller dans le port de Naples [...] le ministre de france pouvait avoir ordre de partir sous huit Jours. Cest ce qui est arrivé on a été dans toutes les maisons inscrire les noms qualité &c des français qui s'y trouvent. Le Roy de N. qui est très bien disposé en [leur] faveur quoique forcé par les circonstances exigera de ceux qui doivent rester un serment dont on croit que la teneur est de se conformer en toutes circonstances aux lois du Pays. » Lettre de Girodet au docteur Trioson, écrite à Naples les 25 juillet, 2 août et 1er septembre [1793], citée supra note 51.

68) — Le texte intégral du décret, en français, conservé à Paris, aux Archives du Ministère des Affaires Étrangères (Correspondance politique, Naples, vol. CXXIII, folios 176-177), est publié dans Beck Saiello, Emilie, Le chevalier Volaire, un peintre français à Naples au XVIIIe siècle, Naples, Centre Jean Bérard, 2004, p. 205-207.

69) Correspondance des directeurs..., cit., t. XVI, p. 326.

70) Ibid., p. 333.

71) « Luigi L'homme Ajo del figliuolo di Monsieur Dalincourt Fermier Generale di Francia nell'antico regime implora di restare in Napoli sino al ventuno mese di febraio col suo allievo, e con Pietro Pequignot Maestro di disegno del medesimo : e'l noto Marchese d'Osmond assicura con suo certificato di essere degno della grazia chiesta. Noi rimettiamo all'arbitrio di Sua Maestà, ed al savio discernimento di Vostra Eccelenza [Sir Acton] se debba, o nô accordarglisi sul suo attestato del nominato Cavaliere. » Naples, Archivio di Stato di Napoli, Affari esteri, busta 543, sans numéro de folio.

72) — Décret d'expulsion des Français. Voir supra note 68.

73) — Lettre de Francesco Saverio Petroli à Acton, Ariano, le 2 avril 1794, Naples, Archivio di Stato di Napoli, Affari esteri, busta 548, publiée in Beck Saiello, Emilie, « Alcuni documenti inediti su Girodet a Napoli », Ricerche di Storia dell'Arte, 2003, n° 81, p. 107-108.

74) — Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2074.

75) — Lafont, Une jeunesse artistique..., cit., note 332 p. 107. Le carnet d'adresses de Girodet, conservé à Montargis, au musée Girodet, est publié in Lemeux-Fraitot, Ut poeta pictor..., cit., vol. II, p. 136. Ce carnet est difficilement datable, mais selon S. Lemeux-Fraitot, il aurait été rédigé à partir de 1800.

76) Dictionnaire historique et biographique de la Suisse, sous la direction de Victor Attinger, Marcel Godet et Henri Turler, Neuchâtel, Administration du Dictionnaire historique et biographique de la Suisse, 1932, t. VI, p. 694-700 (pour Carl Tshudi, p. 699).

77) — Nous rapportons la description de l'ascension dans son intégralité : « Io fui la vittima di questo fenomeno [fermentazione], allorché nel mese di agosto, dopo la funesta eruzione del 1794, vi ascesi col sig. Pequignon, rinomato paesista, e con un inglese molto intendente di mineralogia. Arrivati alla cima sui fare dell'alba, dopo di averlo valicato con immensa pena, e fatica, a cagion che la lava ancora ardeva, e si alzavan pur anche i vortici di fumo, mentre col bel sereno del cielo stavano vagheggiando il vasto orizzonte, e desiderosi di approssimarci al suo baratro scendemmo da venti passi pel declinio, in un momento un nembo di fumo pregno di zolfo ci copri, e sentimmo sotto a' nostri piedi lo spaventoso gorgoglio della bollente caldaja, che già minacciava d'ingojarci. Le due guide allora alzando un grido ci avvertirono del vicino pericolo, e ci obbligarono a fuggire, quantunque s'ebbe a durarfatica per persuaderne l'inglese, il quale persisteva nel pensiero di volerlo esaminare fin nel punto della profonda apertura. » Romanelli, Domenico, abbé, Napoli antica e moderna, Naples, Tipografia di Angelo Trani, 1815, p. 168-169.

78) — Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., p. 280.

79) « Deux autres Français, les citoyens Castellan et Léveillé, artistes qui avaient été envoyés à Constantinople, en ont plus récemment, pendant une longue maladie, reçu tous les secours et les soins de l'hospitalité. Il [un employé du consulat francais à Brindisi] leur a facilité les moyens de dessiner quelques vues et quelques édifices du pays. On vient de le mander en cette ville [Naples] , lui promettant de lui donner une place meilleure que celle qu'il exerçait ; à peine arrivé, on l'a conduit en prison, comme prévenu d'avoir aidé des ingénieurs français à lever des plans de fortifications... » Lettre de Trouvé à Talleyrand du 29 frimaire an VI. Paris, Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Correspondance diplomatique, Naples, vol. 125, doc 58.

80) — Castellan, Antoine-Laurent, Lettres sur l'Italie, faisant suite aux lettres sur la Morée, l'Hellespont et Constantinople, Paris, Nepveu, 1819, vol. I, note 1 p. 250. Quelques lignes plus haut, l'auteur parle de Simon Denis. L'ouvrage de Castellan est richement illustré de gravures de paysage.

81) — Lettre de Cacault au ministre Delacroix, Rome, le 5 pluviôse an V (24 janvier 1797), in Correspondance des directeurs..., cit., t. XVI, p. 496.

82) — Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2074.

83) — Felice Nicolas travailla d'abord au Ministère des Affaires Étrangères à Naples avant de s'occuper activement de l'organisation administrative des antiquités et des fouilles archéologiques. Pour ses qualités et son dévouement au travail, il fut confirmé dans ses fonctions de directeur des chantiers archéologiques du royaume, d'intendant de la manufacture royale de porcelaine, de responsable des collections de cuivres (pour la gravure) et de fonctionnaire du musée royal, par Joseph Bonaparte en juin 1806. Cf. Laveglia, Pietro, « Paestum dalla decadenza alla riscoperta fino al 1860. Primi studi, primi provvedimenti di tutela », in Scritti in memoria di Leopoldo Cassese, Naples, Libreria scientifica editrice, 1971, vol. II, note 63 p. 227-228.

84) — La description des travaux et des fouilles effectués par Nicolas à Paestum se trouve dans Paolini, Roberto, Memorie sui monumenti di Antichità e di Belle Arti ch'esistono in Miseno, in Bacoli, in Baja, in Cuma, in Pozzuoli, in Napoli, in Capua Antica, in Ercolano, in Pompei, ed in Pesto, Napoli, Dai Torchi del Monitore delle Due Sicilie, 1812, p. 314-317.

85) — Versailles, A.D.Y., Fonds Coupin, J. 2074.

86) — Girodet, « Le peintre », in Œuvres posthumes..., cit., t. I, p. 123.

87) — Le document est mentionné (sans la référence archivistique) par A.L. Porzio in Civiltà dell'Ottocento a Napoli. Le arti figurative, cat. exp. (Naples, Musée de Capodimonte - Caserte, Palazzo Reale, 25 octobre 1997 - 26 avril 1998), Naples, Electa, 1997, p. 625-626.

88) — « ...je connais ce tableau [la Vue de Paestum] [ fait par mon ami, mort il y a environ un an, appelé Pequignon. » Lettre du peintre Costanzo Angelini, Professeur à l'académie royale de peinture de Naples au Ministre de l'Intérieur, datée du 18 mars 1809. Naples, Archivio di Stato di Napoli, Ministero dell'Interno, I INV, f. 986. Nous remercions Alba Irollo de nous avoir communiqué ce document.

89) — Nous remercions bien sincèrement Maria Grazia Spano, directrice des archives de Sorrente, d'avoir, avec patience et persévérance, consulté pour nous les registres d'état civil et les Libri defunctorum de quelques unes des soixante paroisses de la péninsule sorrentine.

90) — Versailles, A.D.Y, Fonds Coupin, J.2074.

91) — Pierre-Claude-François Delorme (Paris 1783 - Paris 1859), peintre d'histoire et portraitiste, participe au Salon de Paris entre 1810 et 1851. En 1814 il obtient une médaille de deuxième classe et en 1817, de première classe. En 1841 il est décoré de la Légion d'honneur. À quel moment se situe le séjour de Delorme en Italie ? Quand rend-t-il visite à Péquignot ? Selon Philippe Bordes, qui nous a fait part de ses réflexions, Delorme se serait trouvé en Italie certainement au début de l'Empire, puisqu'il est admis aux concours pour le prix de peinture à Paris en 1804 et 1805, puis expose en 1810 au Salon un tableau peint à Rome, où il s'est rendu, apparemment, en indépendant. En tant qu'élève de Girodet il a pu rendre visite à Péquignot à la demande de son maître.

92) — Note de Coupin in Girodet, Œuvres posthumes, t. I, cit., note 14 p. 298. Quelques lignes plus haut, Coupin écrit : « Péquignot devait prendre et prit effectivement, en avançant en âge, des habitudes qui, malgré son grand talent, ne lui auraient pas permis d'y paraître. Il se livrait à l'usage du vin d'une manière immodérée, et il n'avait aucun soin de lui-même. »

93) — Lettre d'Anne-Louis Girodet à François Gérard, Rome, [lundi] 16 mai 1791. « Péquignot va plus souvent au café Grec qu'il ne vient me voir. » Lettres adressées au baron Gérard..., cit., t. I, p. 167-169, n° 12. Le célèbre caffè Greco, via Condotti, était alors le rendez-vous de tous les artistes.

94) — Le colonel Casella est cité dans le recueil d'Alexandre Dumas intitulé Le Corricolo, publié à Paris en 1843 (rééd. Paris, Desjonquères, 2001, p. 151). Nous n'avons malheureusement pas trouvé d'informations supplémentaires sur ce personnage.

95) — Lettre de Girodet à Chatillon du 14 janvier 1816, citée in Thuriet, « Un artiste oublié... », cit., note 1 p. 283.

96) — Affirmation de l'abbé Paul Brune, in Dictionnaire des artistes..., cit., p. 220.

97) — Coupin in Girodet, Œuvres posthumes, t. I, cit., note 14 p. 298.

98) — Versailles, A.D.Y, Fonds Coupin, J. 2074.

99) — Coupin in Girodet, Œuvres posthumes, t. I, cit., note 14 p. 298. Ce trait de caractère avait été remarqué par Girodet dès sa rencontre avec l'artiste (cf. supra Lettre de Girodet à Gérard du 18 avril 1791). Dans une lettre envoyée à Gérard en mai 1791, Girodet lui fait part de la misanthropie de son ami : « Nous nous voyons, Péquignot et moi, autant que deux hommes bien occupés chacun de leur côté peuvent le faire. Nous avons été ensemble dîner chez MM. Giraud et Belle. Ils ont été le voir à leur tour. Je ferai en sorte de l'apprivoiser davantage en le menant chez eux, le plus que je pourrai, car tu sais que de lui-même, mille ans ne suffiraient pas. Je ne désespère pas que cette connaissance ne lui devienne utile. Il devait me venir voir hier, je l'aurais engagé à t'écrire un mot, mais il n'est pas venu. » Lettres adressées au baron François Gérard..., cit., t. I, p. 170.

100) — Versailles, A.D.Y, Fonds Coupin, J.2074.

101) — Girodet, « Le peintre », in Œuvres posthumes, cit., t. I, p. 133-134.

102) — Chateaubriand, René (1805), Paris, Taillandier, 1968, p. 168.




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Un artiste oublié : le peintre Jean-Pierre Péquignot de Baume-les-Dames,

Par M. Maurice Thuriet, avocat général près la Cour d'Appel de Besançon, membre résidant
Société d'Émulation du Doubs, séance du 23 novembre 1910.


Lorsqu'on entre dans la première salle du Musée de peinture de Besançon, l'œil est tout d'abord accaparé par les deux immenses toiles de Gigoux. Si le visiteur, après avoir admiré comme il convient ces gros morceaux de peinture d'histoire, s'attache ensuite aux œuvres de moindre dimension, il pourra remarquer à gauche, sur la cimaise, un paysage délicat dans le goût du xviiie siècle, qui séduit dès l'abord par la finesse du dessin et du coloris.

Jean-Pierre Pequignot, Paysage des environs de Cava dei Tirreni
Paysage des environs de Cava dei Tirreni, 1803,
musée des beaux-arts de Besançon.

Au premier plan, parmi des rochers, des buissons et des bouquets d'arbres, un chasseur vêtu à l'antique, muni d'un arc et de flèches, excite ses chiens à la poursuite d'un gibier invisible ; à droite, un arbre profile sur le ciel d'épaisses frondaisons infiltrées de soleil ; un lac s'étend au second plan jusqu'à la base des hautes montagnes qui s'étagent dans un lointain tout imprégné de lumière blonde et qui se reflètent dans le miroir bleu des eaux. Il y a dans cet ensemble beaucoup de charme, de douceur, d'harmonie, une incomparable habileté de touche, une infinie délicatesse de tons. Au dos de la toile. on lit la signature P. Péquignot et la date 1803 et si l'on se reporte au catalogue, on apprend que ce tableau représente une vue des environs de Naples et que l'auteur Jean-Pierre Péquignot est né à Baume-les-Dames1. Ces mentions du catalogue m'ont causé quelque surprise, car dans sa ville natale, ce peintre est aujourd'hui inconnu ; son nom et sa race y sont éteints et son œuvre ignorée. Comment un pareil artiste dont la maîtrise est incontestable, a-t-il pu tomber dans un semblable oubli ? C'est que dès sa prime jeunesse, Péquignot a quitté la Franche-Comté et n'y est jamais revenu. Il a vécu et il est mort sur une terre étrangère ; c'est sous le ciel d'Italie qu'il a produit toutes ses œuvres, aujourd'hui dispersées et pour la plupart introuvables.

Jean-Pierre Péquignot2 est né à Baume-les-Dames le 12 mai 1765 ; comme Gigoux, il était le fils d'un maréchal ferrant. Ainsi, à quarante ans d'intervalle3 deux peintres comtois ont vu le jour dans l'arrière boutique d'un taillandier. Faut-il croire que la magie des couleurs s'est révélée à ces deux fils d'artisan dans le rougeoiement de la forge paternelle et à travers les nuances infiniment variées que prend le fer en passant de l'incandescence à la matité ? L'enfance du jeune Péquignot s'écoula tout entière à Baume à l'épo que où l'historien Perreciot exerçait en cette ville le pouvoir municipal. Il montra de bonne heure un goût passionné pour le dessin, tandis que son frère aîné manifestait des dispositions pour la sculpture. Dans sa modeste situation, le père eut désiré sans doute élever ses fils dans l'apprentissage de son métier, mais il eut assez d'intelligence et d'abnégation pour ne pas entraver la vocation artistique de ceux-ci et il les envoya à Besançon où la municipalité venait de fonder, avec le concours du peintre Wyrsch et du statuaire Luc Breton, une école des Beaux-Arts, pompeusement désignée sous le nom d'Académie de peinture et de sculpture. L'enseignement y était gratuit ; l'école était installée dans un immeuble de la ville situé derrière l'église du St-Esprit ; elle était ouverte depuis le 8 mars 1774 ; les frères Péquignot y vinrent en 1775 et furent au nombre des premiers élèves ; ils y restèrent près de cinq ans, jusqu'au jour où l'aîné, froissé d'une prétendue injustice dans le jugement d'un concours de statuaire, quitta Besançon et se rendit à Paris où il entraîna son jeune frère4. Ils entrèrent tous deux dans une institution dirigée par le chevalier Pauwlet et protégée par la Reine ; les élèves étaient soumis dans cette école à une discipline analogue à celle des prytanés militaires. Là, Jean-Pierre Péquignot eut pour camarade les neveux de Joseph Vernet dont les paysages et les marines étaient alors fort admirés. Introduit par ses nouveaux amis dans l'atelier de leur oncle, Péquignot eut la bonne fortune de recevoir de ce maître des conseils qui eurent sur la direction de son talent naissant la plus heureuse influence. Joseph Vernet avait fait faire à l'art du paysage un progrès sensible, en poussant l'étude de la nature beaucoup plus loin que ses devanciers qui souvent se contentaient de peindre en chambre des sites de convention. Comme son maître Vernet, Péquignot appartiendra à l'école du plein air, comprenant que pour bien rendre un paysage, il faut être directement ému par sa contemplation.

En quittant la pension Pauwlet, les deux fils de l'humble forgeron de Baume-les-Dames durent se trouver aux prises plus d'une fois avec les difficultés matérielles de la vie qui ont été le tourment mais aussi l'aiguillon de tant d'artistes. Ils n'eurent point l'idée de revenir au pays natal ; ils ne songeaient qu'à se perfectionner dans l'art auquel chacun d'eux s'était voué. L'aîné, le sculpteur, se fixa à Paris et, sans atteindre à la célébrité, devint un praticien fort habile et vécut honorablement de son ciseau. Le jeune, tout en fréquentant l'atelier de Joseph Vernet, se mit à peindre de petits paysages destinés à orner des coffrets et des bibelots que le goût frivole du xviiie siècle avait mis à la mode et qui font aujourd'hui les délices des antiquaires. Ces productions assuraient tant bien que mal son existence. Il exécutait en même temps des œuvres plus importantes qu'il mettait en vente sur la place Dauphine. Il y avait alors sur cette place une sorte d'exposition permanente de peinture ; c'était là que les jeunes artistes qui n'avaient pas encore accès au Salon plaçaient leurs tableaux sous les yeux du public, en les accrochant le long des maisons, sous un auvent. Les paysages de Pequignot furent remarqués et bientôt, grâce à ses heureux débuts, il obtenait la faveur d'entrer dans l'atelier de David, centre d'attraction de toute la jeunesse artistique de l'époque. On peut s'étonner de ce que le jeune paysagiste ait pris les leçons du grand peintre d'histoire. Peut être qu'à ce moment Péquignot cherchait encore sa voie et hésitait encore sur le genre auquel il se consacrerait définitivement ; mais j'incline plutôt à croire qu'en artiste consciencieux il pensait qu'un paysagiste qui veut animer ses tableaux ne doit rien ignorer des proportions et des attitudes du corps humain.

David fut vite séduit par la grâce et l'originalité des premières œuvres de son élève ; il ne pouvait mieux lui témoigner son intérêt qu'en lui procurant l'appui d'un de ces personnages opulents, fermier général ou marquis, qui sous l'ancien régime s'érigeaient volontiers en Mécènes et se piquaient de découvrir et de favoriser les talents en éclosion. Le protecteur que David mit en relations avec Péquignot offrit généreusement à celui-ci de lui payer le voyage de Rome en lui promettant de lui servir là-bas une pension de 1200 livres. Le jeune peintre, à qui l'exiguïté de ses ressources semblait interdire pour longtemps le pèlerinage désiré par tout artiste aux sources sacrées de l'Art accepta ces offres avec reconnaissance et prit la route des Alpes avec enthousiasme. À cette époque le voyage était long de Paris à Rome et des évènements imprévus pouvaient survenir entre le départ et l'arrivée : une désagréable surprise attendait notre confiant artiste au terme de sa route ; il trouva à Rome une lettre par laquelle son protecteur lui annonçait qu'atteint par des revers de fortune il serait dans l'impossibilité de lui servir la pension promise : Mécène avait fait faillite ! Qu'allait devenir le jeune Baumois jeté ainsi sans ressources dans une ville étrangère où il ne connaissait personne et dont il ne parlait pas encore la langue ? Péquignot ne se découragea pas. Déjà habitué à vivre de ses pinceaux, il se mit vaillamment au travail, réussit à vendre ses tableaux, ce qui est parfois plus difficile que de les composer et se trouva bientôt à l'abri du besoin.

Il était installé dans la capitale de l'Art depuis deux ou trois ans lorsqu'arriva dans cette ville, en qualité de pensionnaire de l'Académie de France, Girodet, le futur auteur du Déluge et des funérailles d'Atala, qui avait obtenu le Grand Prix de Rome en 1789. Girodet avait alors 22 ans, Péquignot en avait 25. Entre ces deux jeunes gens, une étroite amitié ne tarda pas à s'établir. Tout contribuait à les réunir : l'éloignement de leur patrie commune, l'amour de leur art, leur affectueuse reconnaissance pour leur maître David, l'estime réciproque que chacun avait pour le genre de talent de l'autre, enfin un même élan d'enthousiasme pour la Révolution naissante. Plusieurs années de vie commune, qui ne fut exempte ni d'agitation ni de périls ont créé entre les deux artistes des liens d’affection que la mort seule a pu dénouer, et ce n'est pas le moindre titre d'honneur du peintre baumois que d'avoir inspiré à Girodet une estime et une amitié dont ce maître a, comme nous le verrons, multiplié les témoignages.

Tout en suivant les cours de l'Académie de France et en peignant deux grandes toiles qui figurent actuellement au Musée du Louvre : le Sommeil d'Endymion et Hippocrate refusant les présents d'Artaxerxés, Girodet s'était pris, au contact de Péquignot, d'un goût très vif pour le paysage. Dans la correspondance suivie qu'il entretenait avec M. Trioson, son père adoptif, il paraît tout heureux de faire avec son ami des études d'après nature, dal vero, comme disent les Italiens. « Tous les environs de Rome sont charmants, il suffit de les nommer, écrit-il le 20 juillet 1790 ; Tivoli, Frascati, Albano, etc., ont fait les délices des anciens et peuvent encore intéresser les modernes. » Et le 28 septembre suivant, il ajoute : « J'ai commencé ces jours-ci quelques études de paysage autour de Rome ; c'est une occupation aussi amusante qu'instructive, nécessaire à un peintre d'histoire et beaucoup trop négligée, comme on en peut facilement juger par les productions de beaucoup d'entre nos artistes5. Dans son poème « le Peintre », Girodet a plus tard essayé de traduire en vers assez médiocres le ravissement qu'il éprouvait à faire du paysage d'après nature en compagnie de Péquignot ou à admirer avec lui les chefs-d'œuvre des maîtres italiens :


Soit que l'ami des arts devant leurs monuments
S'absorbe en son extase, en ses ravissements ;
Soit qu'à ses yeux charmés la nature vivante
S'offre naïve et simple, ou parée, ou brillante,
Oh! combien d'un ami, présent à ses côtés
Le plaisir qu'il partage embellit leurs beautés,
Ajoute d'intérêt aux objets qu'il admire !
Qu'un chef-d'œuvre l'enflamme ou qu'un site l'inspire,
Le premier est mieux vu, le second mieux senti
Quand le transport de l'un chez l'autre a retenti6.


Cette vie heureuse et contemplative, toute remplie et charmée par le culte de l'art allait bientôt être bouleversée par des événements tragiques. Il n'y avait pas de doux pays pour les Français, aux heures sombres de la Révolution ; mais dans la capitale des États pontificaux, plus que partout ailleurs, les citoyens d'une nation où l'on venait de massacrer des prêtres et où l'on allait faire tomber la tête d'un Roi étaient l'objet d'une réprobation farouche.

Dès le 28 juillet 1791, Girodet écrivait à M. Trioson : « On poursuit mes compatriotes à coups de pied, on leur montre le couteau, on a voulu en jeter un dans le Tibre, etc. Je n'ai encore rien éprouvé de pareil, mais cela est arrivé à plusieurs de mes camarades et il ne faut désespérer de rien. Le gouvernement fait semblant de trouver cela mauvais, annonce la peine des galères pour celui qui insultera un Français et cependant il paie sous main des coquins pour le faire. »7. L'année suivante, la police pontificale ne dissimulait plus son hostilité vis-à-vis de nos nationaux : un artiste français qui avait fait chez lui un dessin ayant trait à la Révolution, était emprisonné, mis au secret et traduit devant le Tribunal de l'Inquisition8. Bientôt un incident de médiocre importance mettait le feu aux poudres et déchaînait contre les Français résidant à Rome les fureurs d'une populace ignorante et fanatisée. Le consul de France, Basseville, avait reçu de son gouvernement des instructions pour faire remplacer sur les portes du Consulat et de l'Académie l'écusson royal par les armes de la République ; le pape protesta violemment contre cette mesure et signifia à Basseville qu'il s'opposait à ce que, sous ses yeux et dans sa ville, on érigeât l'emblême républicain9. La Convention envoya l'ordre de passer outre et Mackau, ministre de France à Naples, délégua le major de la division Latouche pour faire placer les armes. Girodet avait réclamé l'honneur périlleux de peindre celles qui devaient servir à l'Académie. Tandis que sur les conseils même de notre consul, les autres pensionnaires fuyaient les États de l'Eglise et se réfugiaient à Naples, Girodet resta pour s'acquitter de sa tâche dans laquelle l'aidaient Péquignot et deux de leurs amis. Ils achevaient le travail dans les combles de l'Académie même quand ils entendirent monter de la rue des vociférations tumultueuses. Péquignot, le pinceau à la main, sort de l'atelier pour voir ce qui se passe ; il revient au bout d'un instant et dit à ses camarades: « Ce sont eux ! » — « Qui, eux ? » interrogent les trois autres — « Le peuple ! » dit-il simplement. Au même moment une foule furieuse envahit le palais, brisant sur son passage les portes, les vitraux, les statues de l'escalier et les salles. « Ils n'avaient que vingt marches à monter pour nous assassiner, écrivait quelques jours après Girodet à son père adoptif ; nous les leur épargnâmes en allant au-devant d'eux. Ces misérables étaient si acharnés à détruire qu'ils ne nous aperçurent même pas ; mais des soldats presque aussi bourreaux que ceux que nous avions à craindre, loin de s'opposer à eux, nous firent descendre plus de cent marches à grands coups de crosse de fusil, jusque dans la rue où nous nous trouvâmes abandonnés et sans secours au milieu de cette populace altérée de notre sang. Heureusement encore ces bourrades de soldats lui firent croire que nous faisions partie d'elle-même, mais quelques-uns nous reconnurent. Un de mes camarades fut poursuivi à coups de pavés, moi à coups de couteau, des rues détournées et notre sang-froid nous sauvèrent. Echappé à ce danger, pour les prévenir tous, j'allai me jeter dans un autre ; je courus chez Basseville ; dans ce moment même on l'assassinait ; le major, la femme de Basseville et Moutte le banquier se sauvent par miracle. Je me jette dans une maison italienne à deux pas de là ; j'y reste jusqu'à la nuit. J'ai l'audace de retourner à l'Académie qui était devenue le palais de Priam ; on se préparait à briser les portes à coups de hache et à mettre le feu. Là je fus reconnu dans la foule par un de mes modèles ; il faillit me perdre par le transport de joie qu'il eut de me voir sauvé. Je lui serrai énergiquement la main pour toute réponse et nous nous arrachâmes de ce lieu »10. Dans leur fuite précipitée, Péquignot et Girodet avaient été séparés par les remous de la foule ; ils se rejoignirent dans la soirée et tous deux trouvèrent asile dans la maison du modèle où ils passèrent la nuit. De ce refuge d'où ils n'osaient sortir, par crainte d'une populace gallophobe, Girodet informait un de ses amis de Rome, M. Tortoni, de la détresse dans laquelle il se trouvait ainsi que Péquignot. « Nous avons résolu, lui mandait-il, de partir demain matin pour Naples, à pied, mais nous n'avons presque pas d'argent. Nous nous sommes retirés dans un lieu de sûreté ; vous pouvez vous y laisser conduire ; je ne voudrais pas partir demain avant le jour, comme il sera nécessaire que je le fasse, sans vous embrasser... Apportez-moi une cédule de trente ou quarante écus. Dans le cas où il vous serait absolument impossible de venir, vous pouvez confier cet argent à l'homme que je vous envoie. Ce billet vous servira de reconnaissance ». Les deux amis étaient vite tombés d'accord pour gagner Naples où Girodet tenait à rejoindre ses camarades de l'école et où Péquignot était attiré par le renom d'un site éblouissant. Deux heures avant le jour ils quittaient la ville inhospitalière, abandonnant tout ce qu'ils possédaient y compris leurs œuvres et leur bagage d'artiste. Même hors des murs de Rome, leur fuite n’alla pas sans dangers : « Nous marchâmes deux jours à pied, écrivit Girodet à M. Trioson dès son arrivée à Naples, et ne trouvâmes sur la route que des motifs d'inquiétude. À Albano, on refusa de nous louer une calèche ; nous n'en pûmes trouver qu'à Velletri et on nous fit bien payer la nécessité où nous étions de nous en servir. Dans les marais Pontins, forcés par le temps le plus horrible de nous réfugier dans une écurie, on délibéra de nous y massacrer pour avoir nos dépouilles. Un de ces scélérats, moins scélérat que les autres, fit réflexion qu'elles n'en valaient pas la peine. Ce fut le dernier danger que nous courûmes. Hors des États du pape nous fûmes véritablement traités en amis, le roi de Naples ayant donné les ordres les plus positifs de protéger tous les Français qui se réfugieraient dans ses états. En arrivant ici, je descendis sur le champ chez le citoyen Mackau11 que j'informai de ces détails et de ma position. Là, j'appris tout ce qui s'était passé : la mort de Basseville, celle de deux Français massacrés à la place Colonne ; le secrétaire de Basseville dangereusement blessé, ainsi qu'un domestique de l'Académie ; le feu mis au quartier des juifs : la maison de Torlonia et la porte de France assaillies de pierres ; les palais d'Espagne, de Farnèse, de Malte et autres menacés... On a cherché les Français dans toutes les auberges et dans tous les endroits possibles. Nous sommes dans la plus grande inquiétude sur le sort de ceux de nos camarades qui sont restés en proie à la proscription »12

C'est le 18 janvier 1793 que Péquignot et Girodet arrivèrent à Naples, et c'est le lendemain que Girodet adressait à M. Trioson la relation de leurs aventures.

Ces périls qu'ils viennent d'affronter en commun ont encore resserré l'intimité des deux jeunes gens. À Naples, dans ce paradis terrestre, malheureusement souillé par ses habitants, la nature semble s'être parée de ses plus riantes couleurs et s'être moulée dans ses formes les plus attirantes pour émerveiller et captiver les artistes. Girodet va pour quelque temps abandonner la peinture d'histoire pour suivre Péquignot et reproduire avec lui les plus beaux sites virgiliens. Il écrit le 1er mars 1793 à Mme Trioson : « Mon projet est de parcourir les environs de Naples et d'y séjourner suf fisamment pour tirer de ce pays ce qu'il offre d'intéressant pour l'art. C'était aux environs de Rome que je devais cette année me livrer à l'étude du paysage, genre de peinture universel et auquel tous les autres sont subordonnés parce qu'ils y sont renfermés. J'attendais avec impatience le moment de m'y livrer tout entier..... » Girodet a chanté plus tard le charme des jours vécus avec son ami, sous ce ciel délicieux, au bord de la mer bleue, en face du Vésuve fumant et il a célébré avec lyrisme le talent avec lequel Péquignot traduisait la poétique beauté de ces lieux enchanteurs :


Quand les maux de la France épouvantaient l'Europe
J'errais mélancolique aux champs de Partenope.
Près d'un ami, rival des Claudes [sic], des Poussins [sic],
J'admirais ces beaux lieux, plus beaux dans ses dessins,
L’un par l'autre excités, dans nos courses riantes,
Nos crayons récoltaient des moissons abondantes :
Tantôt nous dessinions ces bosquets toujours verts
Où la figue et l'orange ignorent les hivers,
Où des larmes du Christ, la vigne parfumée
Suspend ses grappes d'or à la roche embaumée
Ou serpente, en grimpant, sur l'arbre de Pallas.
Tantôt nous retracions, couverte de frimas,
La cîme du volcan, sans colère, fumante ;
Les noirs rochers battus par la vague écumante
Où se plongeaient d'un saut, semblables aux Tritons,
Tout le peuple nageur des jeunes lazarons.
Que de fois, sur le port, promeneurs solitaires,
Diane nous a vus passer des nuits entières,
Soit lorsque ses rayons, des objets vacillants
Nous répétaient l'image au sein des flots tremblants
Et versaient dans nos cours la douce rêverie ;
Soit lorsque, du Vésuve éclairant la furie,
Ses doux feux réflétaient, de leur lustre argenté,
Les flancs noirs et fumants du volcan irrité.
Les soins de l'avenir n'osaient troubler nos songes.
Abusés cependant par les plus doux mensonges, Nos vœux se partageaient l'avenir par moitié :
L'une pour les beaux-arts, l'autre pour l'amitié13.

 

Péguignot et Girodet passèrent ensemble toute l'année 1793 et probablement la plus grande partie de 1794, loin des agitations de la France, dans la douceur d'une vie exempte de soucis et dans la joie qu'on éprouve à cultiver l'art que l'on aime. Mais comme il faut toujours que le bonheur soit troublé par quelque chose, Girodet eut des inquiétudes au sujet de sa santé, vers la fin de l'été de 1793. Il avait eu un refroidissement « en allant dessiner au tombeau de Virgile, lieu très frais, près de la grotte du Pausilippe, mais où l'on n'arrive qu'après avoir fait un assez long chemin à l'ardeur du soleil14 ». Il eut ensuite un crachement de sang et, dans la crainte de devenir phtisique, il prit des précautions ; le 3 novembre 1793, il écrivait à Trioson : « J'ai été passer un mois presque tout entier à la campagne, à quelques heures de Naples, dans un pays délicieux pour l'air et pour l'étude. » Il ajoutait que l'état de sa santé ne lui avait pas permis de profiter de ce séjour autant qu'il l'aurait désiré pour peindre. Girodet quitta Naples en 1794, Péquignot s'y installa au contraire d'une façon définitive. Il y fut témoin durant cette même année d'une des plus fougueuses éruptions du Vésuve, celle qui anéantit la ville de Torre del Greco. Cette catastrophe ne l'effraya point et ne diminua en rien son attachement à sa nouvelle patrie ; il était de ceux pour qui la joie d'y vivre l'emporte sur la crainte d'y mourir.

Péquignot s'absentait souvent pour des excursions à des distances plus ou moins grandes de Naples ; il fit même un voyage en Sicile, et à son retour, il en adressa à Girodet une relation dont celui-ci avait été très vivement frappé et qu'il disait être admirable15.

Péquignot s'adonnait aussi à la musique ; il parlait élégamment sa langue maternelle et l'italienne. Ses talents lui auraient permis de faire bonne figure en société, mais il avait pour le monde une aversion naturelle qui dégénéra peu à peu en une misanthropie maladive, au moins dans la dernière partie de sa vie. Il apparaît comme une nature molle et sans ressort : il devient le jouet des événements et de ses passions ; malhabile à conduire sa barque, il reste sur le rivage où la tempête le fait échouer ; il ne réagit ni contre le sort adverse ni contre les effets déprimants de la solitude. À ce caractère faible, il eut fallu le réconfort d'un foyer conjugal ou l'appui d'une amitié dévouée ; il ne sut pas se créer le premier, et le second lui fit défaut après le départ de Girodet. Il négligea sa tenue et, chose plus triste, versa dans la plus funeste des habitudes, l'alcoolisme. Coupin rapporte qu'un élève de Girodet, M. Delorme étant venu à Naples, était chargé par son maître de porter à Péquignot le témoignage de sa vivace affection. Péquignot refusa par deux fois de le recevoir ; Delorme fut obligé de forcer sa porte et il trouva l'ami de Girodet dans un état « qui expliquait sa répugnance à se laisser voir ». Ce déplorable genre de vie abrégea les jours du malheureux artiste : Péquignot avait à peine quarante-deux ans quand il mourut à Naples en 1807. Sa mort causa un vif chagrin à Girodet qui renonça dès lors au projet qu'il avait toujours caressé de retourner en Italie :


Je ne les verrai plus ces pays enchanteurs…

Je n'y trouverais plus cet ami précieux ;

Ce beau ciel qu'il aimait n'éclaire plus ses yeux.

Ces vallons enchantés, ces grottes pittoresques,

Où souvent s'égaraient ses pensées romanesques,

Ces monts, nouveaux enfants nés des flancs des vieux monts,

Et qui savaient si bien inspirer ses crayons,

Ne feront plus jamais son bonheur et sa joie.

De la mort son génie est devenu la proie ;

Dans l'été de ses ans le barbare destin

Arracha les pinceaux à sa savante main.


Ces regrets exprimés par Girodet dans le 3e chant de son poëme Le Peintre sont suivis de cet éloge où l'auteur, en même temps qu'il vante la modestie, le désintéressement et le mérite de Péquignot, va jusqu'à lui prédire une célébrité posthume :


La France honorerait aujourd'hui sa mémoire,
Si son orgueil, moins fier, eut accueilli la gloire.
Aimant les arts pour eux, heureux d'être oublié,
Ses seuls besoins étaient l'étude et l'amitié ;
Par l'étude fixé sur la terre étrangère,
Pour compagne il garda la pauvreté sévère,
Pour mentor le travail, et ses nobles mépris
Aux hommes comme à l'or n'attachaient aucun prix.
Plus d'une fois j'ai vu la bizarre fortune,
Accourant sur ses pas, lui paraître importune,
Je l'ai vu dédaignant les dons de sa faveur
Lui-même malheureux, secourir le malheur !
O toi, qui malgré toi, seras un jour célèbre
Reçois, cher Péquignot, cet hommage funèbre !
Hélas ! en te quittant j'espérais quelque jour
Te revoir dans ces lieux si chers à ton amour :
Les temps ont emporté mes vœux avec ta vie.
Ami, paix à ta cendre et gloire à ton génie !


On pourrait croire que le mot génie est venu sous la plume de Girodet pour satisfaire aux exigences de la rime ou qu'il n'est qu'une hyperbole poétique. Le trait suivant rapporté par Coupin, montre que même en prose, Girodet tenait à ce vocable pour caractériser l'œuvre de son ami. Un jour que, dans l'atelier de l'auteur des Funérailles d'Atala, on s'entretenait de Pequignot, un des élèves déclara: « C'était un homme de talent » — Dites un homme de génie, reprit sèchement le maître.

 

Péquignot mourut dans la misère, à côté d'un trésor. Il laissait en effet un portefeuille considérable et de grande valeur. Son frère aîné, qui était son seul héritier donna sa procuration, sur le conseil de Girodet, à un colonel napoli tain, Calcidonio Casella, dont la probité n'était pas la principale vertu. Ce mandataire infidèle recueillit tous les tableaux et les dessins, les vendit à son profit et n'en rendit aucun compte à l'héritier16. Cette partie importante de l'œuvre de Péquignot fut perdue pour la France.

Que subsiste-t-il encore des tableaux de Péquignot ? Et où sont ceux que le temps a épargnés ? Dussieux dans son ouvrage « Les artistes français à l'étranger »17 énonce que tous les paysages de Pequignot sont en Italie. Cependant Coupin déclare que Girodet saisissait avec empressement l'occasion d'acheter les toiles de son ami, qu'il en possédait plusieurs d'une grande beauté et qu'il en copia quelques unes. D'autre part, A. Guenard dans son livre sur Besançon18 déclare que les principaux ouvrages de Péquignot sont restés en Italie ou, achetés par des amateurs étrangers, enrichissent les musées d'Allemagne et de Russie.

Ces indications sont vagues et quelque peu contradictoires. J'aurais voulu pouvoir retrouver dans des musées d'Europe, ou dans des collections particulières quelques œuvres de l'artiste baumois. Les recherches auxquelles je me suis livré n'ont pas été couronnées de succès : M. Venturi, professeur d'histoire de l'art à Rome, à qui j'ai fait demander des renseignements par un obligeant intermédiaire19 m'a fait dire qu'il avait vu plusieurs tableaux de Jean-Pierre Péquignot, mais qu'il se rappelait seulement le paysage napolitain qui est au Musée de Besançon. Cette réponse ne m'apprenait rien et me laissait à mon point de départ.

Le paysage du Musée de Besançon provient de Jean Gigoux qui l'a donné de son vivant. Il eût été intéressant de savoir où cet artiste se l'était procuré, mais sa correspondance avec Fanart20 relative aux nombreux dons artistiques de Gigoux à la ville, est muette sur ce point. Une seule lettre du 20 septembre 1884 fait allusion au tableau de Péquignot ; le donateur se plaint de ce qu'on n'aît pas encore inscrit sur le cadre la mention : « Donné par Jean Gigoux ».

Le peintre officiel des batailles du premier Empire, Gros, possédait deux tableaux de Pequignot, qui ont été reproduits par la gravure dans les Annales du Musée et de l'école moderne des Beaux-Arts de C.-P. Landon, Paris, 1808. Paysages et tableaux de genre, Tome 3e, planches 11 et 13. Ces gravures sont l'œuvre de Beaujean.

En regard de la planche 11, on lit : « Cet ouvrage de M. Pecquignot (sic), artiste français actuellement à Naples, offre la réunion de différents sites pittoresques, dessinés d'après nature en Italie, manière de composer le paysage généralement adoptée par les peintres qui ont voulu s'élever au style historique. Les plus beaux fonds des tableaux du Poussin ont été pris sur la nature ; il n'y en a peut-être pas un où l'on ne retrouve quelques-uns de ces édifices dont l'aspect embellit les environs de Rome. Le paysage de M. Pecquignot est bien composé. Deux satyres sont les seuls personnages qui animent cette solitude agréablement variée et rafraîchie par de belles masses de verdure et par de nombreuses cascades qui se précipitent du haut des montagnes ».

En regard de la planche 13 figure la mention suivante :
« Ce paysage du même auteur est également une vue composée de diverses études dessinées d'après nature. On remarque dans celui-ci des lointains d'un aspect majestueux et de belles fabriques »21.

Jean-Pierre Pequignot, Vue de Paestum prise hors des murs près de la porte septentrionale
Vue de Paestum prise hors des murs près de la porte septentrionale,
1812, in : Memorie sui monumenti di Antichita…, R. Paolini.

Un autre tableau de Péquignot a eu les honneurs de la gravure. On lit sur l'estampe les mentions suivantes, traduites de l'Italien : « Vue de Pestum, prise hors les murs, près de la porte septentrionale où, en 1805, furent faites quelques fouilles sous la direction de Félix Nicolas. Le tableau original, de quatre palmes napolitaines sur trois, existe dans le cabinet de ce même M. Nicolas. P. Péquignot le peignit en 1805. Louis Vocaturo le dessina et le grava en 1812 ».

Cette composition présente au centre le sieur Nicolas, entouré de sa femme assise et de nombreux curieux ; il donne des ordres à des ouvriers creusant une fouille. Les ruines et les environs de Pestum forment le fond du paysage. On relève quelques erreurs de dessin, telles que la disproportion du corps et de la tête des personnages. Cette faute, très fréquente autrefois, est vraisemblablement imputable au graveur napolitain22.

Suivant le dictionnaire général des artistes de l'école française23 le Salon de 1810 contenait deux toiles de Péquignot :
les Grecs évacuant l'Asie après la guerre de Troie, et Marcellus faisant emporter les objets d'art de Syracuse. Les titres seuls de ces tableaux prouvent que Péquignot se souvenait au besoin d'avoir été l'élève de David et ne craignait pas d'aborder la peinture d'histoire.

De ses excursions aux environs de Naples et en Sicile, Péquignot rapportait de nombreux dessins à l'estompe, relevés de sépia et de blanc, sur papier bleu. Dussieux déclare que ces dessins sont fort beaux. L'artiste s'en servait pour composer ses tableaux, qui pour la plupart ne reproduisent pas exactement un site déterminé, mais présentent un groupement harmonieux de fragments de vues diverses, prises ça et là dans une contrée. Il en est ainsi, d'après Landon, des deux paysages gravés dans ses Annales des Beaux Arts ; le tableau du Musée de Besançon me paraît issu du même procédé. Cette méthode avait ses écueils et les nombreux peintres qui l'ont mise en pratique au xviiie siècle n'ont guère su éviter le faux et l'artificiel. Péquignot au contraire est un des rares artistes qui, de l'avis d'un critique autorisé, Henri Delaborde24, n'est pas tombé dans les défauts de ces combinaisons arbitraires, et a réussi « à ennoblir le vrai sans pour cela le travestir. »

Je me vois forcé de clore ici la liste, malheureusement fort écourtée, des œuvres de Péquignot. Faute de pouvoir en citer d'autres, malgré mes recherches, il ne me reste qu'à reproduire les appréciations formulées par ceux qui ont eu la bonne fortune d’en voir un plus grand nombre. Coupin s'exprime ainsi : « Péquignot, peu connu du public, avait un talent véritablement original et ne devait rien qu'à lui-même. Quoique l'on s'aperçoive bien qu'il a observé la nature, plutôt à la manière du Poussin et du Guaspre que comme les coloristes, il n'y a cependant pas d'analogie entre lui et ces maîtres. Ses arbres sont toujours d'une beauté de forme et d'un choix de contours remarquables. Les sites qu'il représente ont une grâce et une originalité qui plaisent à l'imagination. On ne rencontre dans aucun peintre le caractère agreste et sauvage de ses montagnes. Souvent il a donné à ses ciels un choix de forme qui n'appartient qu'à lui.

Les tableaux de Pequignot avaient peu d'effets ; on peut reprocher aux arbres de ses premiers plans de manquer de vérité : le feuillé est souvent trop compté, on n'y trouve pas cette espèce de désordre qu'offre la nature; mais ce défaut, peut-être inévitable lorsqu'on cherche constamment la beauté, n'est plus sensible dans les autres plans. La poésie, l'élévation du dessin, la beauté des lignes et une grande délicatesse d'exécution font le mérite particulier des tableaux de Péquignot25 ».

Dussieux, dans son livre sur les Artistes français à l'Etranger, porte un jugement presque identique à celui de Coupin : « Péquignot, peu connu généralement, était cependant un artiste d’un talent remarquable surtout par l'originalité ; il ne devait rien qu'à lui-même.. ... Le plus souvent ses paysages sont inventés, toujours très poétiquement composés, pleins de goût et d'originalité ; ses ciels, ses montagnes ont des formes et un caractère tout particuliers ; si les arbres des premiers plans sont de convention, les autres plans de ses tableaux n'offrent plus ce défaut et l'on ne peut qu'y admirer la poésie du dessin, la beauté des lignes et une grande délicatesse d'exécution »26.

Plus d'un siècle s'est écoulé depuis la mort de Péquignot, et, contrairement à la prédiction de Girodet, ce n'est pas la célébrité qui lui est advenue, mais l'oubli. La Franche-Comté elle-même semble ignorer cet enfant prodigue qui l'a quittée tout jeune et ne lui est jamais revenu. Il est ainsi des êtres que la fatalité poursuit même au delà de la vie : Péquignot est de ceux-là. Ne lui gardons pas trop rigueur de n'avoir pas repris racine sur le sol natal et d'avoir préféré à nos vallées verdoyantes et aux fiers sapins de nos montagnes les flots bleus du golfe de Naples et l'ombre des pins parasols. Soyons-lui reconnaissants au contraire d'avoir porté au loin le renom de notre province et, dans la galerie des artistes comtois, réservons-lui une place parmi les meilleurs.



Avec l'aimable autorisation de La Société d'Émulation du Doubs.




Notes


1) — Le paysage de P.-J. Péquignot porte le n° 381 du catalogue du Musée de Besançon. Il mesure .55 de haut sur ( m 80 de large.

2) — Péquignot est un nom assez répandu en Franche-Comté; il est d'origine espagnole.

3) — Gigoux est né en 1806 à Besançon, place des Maréchaux.

4) — Lancrenon. Notice sur Girodet (Mémoires de l'Académie de Besançon, 1870).

5) — Girodet. Œuvres posthumes, publiées par P.-A. Coupin (Lettres XXXVI, XXXVII, XLVIII à M. Trioson.

6) — Girodet. Le Peintre, poëme. Chant II.

7) — Girodet. Œuvres posthumes (Lettre XLIII).

8) Op. cit. (Lettre L à M. Trioson, du 3 octobre 1792).

9) Op. cit. (Lettre LI, du 9 janvier 1793).

10) Op. cit. (Lettre LII du 19 janvier 1793).

11) — Ministre de France à Naples.

12) Op. cit. (Lettre LII à M. Trioson, 19 janvier 1793).

13) — Girodet. Le Peintre, poëme. Chant III.

14) Op. cit. (Lettre LV à M. Trioson).

15) — Girodet. Œuvres posthumes (Note de P.-A. Coupin).

16) Œuvres de Girodet (Lettre XI, du 14 janvier 1816, à M. Chatillon) : «... Je ne crois pas, je suis même certain mon cher Chatillon, que M. Péquignot n'a reçu aucun des effets ni des dessins de son frère. Je n'ai rien reçu moi-même, comme vous savez. M. Calcidonio Casella était parti de Paris avec une procuration de M. Péquignot. Il m'a écrit depuis qu'on exigeait pour la remise des effets un nombre de ducats, peut-être le même que réclame la famille Dines, mais il ne m'a point marqué qu'il les eut payés; au surplus je n'ai que des souvenirs très vagues de ce qu'il m'a mandé, n'ayant point eu depuis de nouvelles ni de lui ni de personne. Je ne puis pour l'instant vous donner d'autres renseignements. »

17) — Page 442.

18) — Alexandre Guenard. Besançon. Edition de 1860.

19) — M Charles Thuriet, président honoraire, demeurant à Turin.

20) — Les lettres de J. Gigoux à Fanart sont conservées à la Bibliothèque de Besançon.

21) — Note ajoutée à la page 14 : Ces deux paysages sont tirés du cabinet de M. Gros, peintre, auteur de la Peste de Jaffa.

22) — Cette estampe fait partie de la collection de M. Cochon, conservateur des forêts en retraite à Chambéry.

23) — De la Chavignerie et Auvray.

24) Gazette des Beaux-Arts. Année 1864.

25) Œuvres de Girodet, (Notes).

26) — Dussieux. Les Artistes français à l'Étranger, p. 442.