Luc François Breton, né le 6 octobre 1731 à Besançon, et mort dans la même ville le 20 février 1800, est un sculpteur français.
D'abord menuisier, Luc Breton devient l'élève de Claude-François Attiret. Influencé par Pierre Puget, il séjourne longtemps à Rome. En 1758, il remporte le grand prix à l'Académie de Saint-Luc de Paris, et est admis comme pensionnaire à l'école française. Il travaille essentiellement à Besançon, sa ville natale, à partir de 1771. En 1773, il fonde l'école des beaux-arts de Besançon avec le peintre suisse Melchior Wyrsch. Le tombeau qu'il avait sculpté pour Charles-Ferdinand de La Baume-Montrevel à Pesmes (Haute-Saône) a été détruit pendant la Révolution française.
In Wikipedia : Luc Breton
Le Sculpteur bisontin Luc Breton à Rome
par Mlle Lucie Cornillot, Société d'Émulation du Doubs, séance publique du 15 décembre 1938.
Le nom de Luc Breton est familier aux Bisontins ; des voix plus autorisées que la mienne ont déjà raconté la vie et l'œuvre de ce sculpteur franc-comtois, et ses biographes, notamment Callier et Castan, ont tous rappelé l'épisode le plus original et le plus glorieux de sa carrière, son voyage et son séjour à Rome. Il nous a cependant paru utile d'insister davantage sur ce moment essentiel de son existence, qui devait exercer une action si profonde sur la formation de son art et expliquer la valeur et le caractère de ses œuvres.
Luc-François Breton était né à Besançon, le 6 octobre 1731, mais ses parents, appelés à vivre à Pontarlier où ils eurent d'autres enfants, et par ailleurs peu fortunés, durent le confier dès son jeune âge à son oncle et parrain, l'avocat bisontin Luc Breton. Après de modestes études à l'école paroissiale de Saint-Maurice, l'enfant fut mis d'abord en apprentissage chez un menuisier, puis, aidé par une bourse municipale, entra dans l'atelier du maîtres-sculpteur sur bois, Julien Chambert, où, pendant dix ans, il étudia la sculpture décorative. Il s'y distingua bientôt par son habileté, et tout porte à croire qu'il collabora aux décorations ornementales que le Chapitre demanda à Chambert d'exécuter à la cathédrale. Mais il visait plus haut et déjà s'amusait à modeler d'après des estampes. Son apprentissage fini, il partit pour Dole présenter quelques-unes de ses ébauches au sculpteur Attiret.
À cette époque, en Comté, la renaissance artistique commencée depuis la conquête de la province par Louis XIV. s'affirmait en de nombreuses constructions nouvelles, auxquelles architectes, et décorateurs collaboraient. Les sculpteurs sur bois exerçaient en de nombreux chantiers un art régional, dans lequel, du reste, ils excellaient. Mais les sculpteurs sur pierre étaient encore rares et, maintes fois, il fallut faire appel à des artistes étrangers à la province pour des travaux de ce genre. D'autre part, bien que la question de sa création se fut posée dès 1711, il n'existait encore aucune école artistique dans la province pour préparer de jeunes sculpteurs. Au xviiie siècle, après la mort de Louis XIV, le monopole des arts était passé de Versailles à Paris et désormais nulle barrière infranchissable ne se dressait devant le provincial désireux de s'initier aux méthodes des grands maîtres : chaque artiste en renom réunissait autour de lui, dans son atelier, un essaim d'élèves. Il était facile d'y pénétrer, et Paris était ainsi devenu le pôle d'attraction de la jeunesse comtoise : déjà les peintres Donat Nonote et Gaspard Gresly étaient allés s'y perfectionner.
Claude Attiret, né à Dole en 1728, n'était donc l'aîné de Luc Breton que de trois ans ; il avait pu, mieux favorisé que celui-ci par la fortune et appartenant, d'autre part, à toute une dynastie d'artistes, parachever plus rapidement son éducation artistique. Son père l'avait envoyé à Paris dans l'atelier de Pigalle, que son génie naissant avait déjà rendu célèbre. Revenu à Dole, Attiret y avait à son tour ouvert un atelier. Il fut, pour Luc Breton, son second maître dans l'art de la sculpture. Le fit-il collaborer à ses œuvres ? Les travaux d'Attiret à cette époque n'étant pas connus, nous ne pouvons rien affirmer à cet égard. Les talents des deux artistes étaient d'ailleurs d'expression différente, si l'on en juge par le caractère des œuvres maîtresses qu'ils donnèrent plus tard, celui d'Attiret fait de grâce souriante, celui de Luc Breton plus rude et plus heurté. Son jeune maître lui transmit, du moins, les principes et les gouts de Pigalle, l'admiration et la confiance qu'il lui portait, et le désir de suivre son exemple. Et il est possible de constater à travers toute la carrière de Breton, cette fidélité à son premier idéal.
Et c'est sans doute à l'instar de Pigalle, parti pauvre et ignoré pour Rome, et revenu glorieux, que le jeune Comtois voulut tenter l'aventure. Qu'irait-il faire à Paris ? acquérir un vernis léger ou vivre à l'ombre des maîtres ? Il est las d'être disciple, impatient d'épanouir sa personnalité, et c'est dans le creuset romain qu'il veut tremper son talent. Car, si Paris attire la province, si Paris est le centre où se façonne et se développe l'art français du xviiie siècle, sous la protection de l'Académie royale des Beaux-Arts et dans l'atmosphère fiévreuse et émulatrice de la Cour et des ateliers d'artistes, Rome reste toujours, depuis la Renaissance, le foyer de l'art occidental et l'éternelle dispensatrice des chefs-d'œuvre antiques et modernes. Elle est devenue la dernière étape classique des études académiques. Depuis la fondation de l'Académie de France à Rome, les élèves couronnés par l'Académie royale de Paris y sont admis comme pensionnaires pour une durée de quatre ans. Les autres lauréats, moins heureux au concours du prix de Rome, font souvent aussi le voyage à leurs frais et parfois obtiennent une chambre à la Villa.
Mais il y a encore ceux, plus rares mais plus hardis, qui, sans aucun titre ni protection, veulent pourtant, eux aussi, puiser à ces sources de l'art. Luc Breton fut du nombre. Orphelin, libre de toute attache familiale, il quitta donc Attiret en avril 1754, pour ce voyage d'Italie.
Il se rendit d'abord à Marseille ; il s'y rendit à pied, ses ressources ne lui permettant pas d'user de transports rapides. Muni d'une recommandation d'Attiret, il entra dans l'atelier d'un sculpteur sur bois. Là encore, nous n'avons aucune trace de ses œuvres, mais nous savons que c'est durant ce séjour qu'il s'enthousiasma pour les œuvres de Puget.
Enfin, l'occasion tant désirée se présenta : une galère pontificale repartait pour Civita-Vecchia. Des personnes influentes qui s'intéressaient au jeune sculpteur lui obtinrent un passage gratuit sur ce bateau, et quelques jours après, il arrivait à Rome. Ses débuts y furent très durs, mais ses qualités comtoises de ténacité et d'ardeur au travail devaient avoir raison des pires difficultés. Entré chez un sculpteur romain, sans doute sur l'indication de ses compatriotes, car il y rencontra le dolois Demesmay et, plus tard, le peintre suisse Wyrsch, il copiait sur commande des fragments d'architecture, de décoration antique : chapiteaux, frises, soffites, candélabres, etc… Il devint si habile en cette matière, qu'il fut distingué par des Anglais, en particulier par l'architecte William Chambers, contrôleur général des bâtiments du roi d'Angleterre, qui se déclara acquéreur de tout ce que Breton produirait et consigna même, à cet effet, chez un banquier, avant de repartir en Angleterre, une somme pour le rémunérer. Marque d'estime à la louange de Breton, mais significative de la confiance que les Anglais portaient aux sculpteurs français depuis leur initiation par Roubillac.
Chambers préparait alors son volumineux ouvrage : Treatise on civil architecture, paru à Londres de 1759 à 1768, qu'il fit suivre en 1791 du Treatise on the decorative part of architecture. Son attention était donc portée sur ces morceaux de décoration architecturale que Breton copiait si bien. Il lui fit reproduire nombre d'œuvres antiques et en emporta beaucoup en Angleterre, où elles furent dispersées à sa mort, en 1796.
Tout en copiant les antiques pour gagner son pain, et à son grand profit, Luc Breton suivait les cours de l'Académie de Saint-Luc. Cette académie des Beaux-Arts, fondée par Clément XI, avait repris une nouvelle activité sous Benoît XIV, et distribuait des prix à la suite d'un concours où s'affrontaient les élèves des trois classes d'architecture, sculpture et peinture. Breton s'y retrouvait avec d'autres Comtois, entre autres, Attiret, venu à Rome vers cette époque et qui devint lauréat — peut-être en 1757 ? — d'un prix de cette Académie. En 1758, Costanzi la présidait ; ce peintre avait été en relations, artistiques avec la Franche-Comté. Encouragé peut-être par cette présence favorable dans le jury, stimulé, d'autre part, par le succès précédent d'Attiret et l'exemple glorieux de leur maître Pigalle, Breton se jugea assez fort pour concourir aux prix de la première classe de sculpture.
L'épreuve de sculpture était double : il fallait interpréter comme sujet principal « l'enlèvement du palladium » : le grand pontife Metellus sauve le palladium dans l'incendie du Temple de Vesta ; la deuxième épreuve était un sujet d'histoire biblique : « l'archange Raphaël ordonne au jeune Tobie de pêcher un poisson dont le fiel guérira la cécité de son père ». La prétention du jeune artiste n'était pas vaine : il remporta le premier prix.
La distribution des prix se faisait solennellement dans le Grand Salon du Capitole, et la cérémonie du 18 septembre 1758 se déroula avec un faste très romain. Elle nous est relatée par Grosley, de Troyes, qui y assistait et par les Affiches et Annonces de la Franche-Comté. La salle, ornée de damas et de velours rouge, scintillait sous les lumières des lustres et l'éclat de ses ornements. Vingt cardinaux étaient présents. Des ambassadeurs les entouraient, la Société des Arcades et l'Académie de Saint-Luc étaient à leurs côtés, et derrière eux se pressait une assistance nombreuse, composée de la meilleure société romaine. Une excellente musique agrémentait la séance. Après les discours préliminaires, la distribution des prix commença : ceux-ci consistaient en médailles d'argent de différents modules. Les élèves venaient les recevoir de la main même des cardinaux. Lorsque, après les succès des Italiens, vivement applaudis par leurs compatriotes, le nom de Luc Breton fut prononcé et que l'on vit s'avancer le jeune homme de mine et de vêtements plus que modestes, « un morne silence, puis un murmure sourd prirent la place des applaudissements ». Mais on lui fit bientôt l'ovation qu'il méritait, prolongée par les succès des autres Français récompensés à sa suite : Allegrain, fils du professeur de l'Académie, 3e prix de la deuxième classe de sculpture, et Mouchy, élève de Pigalle, 1er prix de la troisième classe de sculpture; de Mesmay, son ami et son compatriote, 3e prix de la troisième classe d'architecture. Discours et sonnets alternèrent enfin pour terminer la fête. Ils sont contenus dans le petit livre relié que Luc Breton reçut, comme chaque lauréat, avec sa médaille, et que conserve la Bibliothèque de Besançon.
Ce premier prix de sculpture, Pigalle l'avait obtenu en 1739, mais il n'avait pu le recevoir, à cause d'une certaine tension diplomatique qui existait alors entre le camerlingue (protecteur de l'Académie de Saint-Luc) et la Cour de France ; Breton était donc parvenu au but qu'il s'était fixé : digne émule de Pigalle, il avait égalé son modèle dans l'épreuve et, plus heureux que lui, l'avait dépassé en honneur. Il est, croit-on, le premier Français ayant reçu le 1er prix de sculpture de l'Académie de Saint-Luc. Il avait vingt-sept ans.
Ce succès fut pour lui décisif ; il fut aussitôt présenté à l'ambassadeur de France, le cardinal de Gesvres, et à Natoire, directeur de l'Académie de France à Rome. Dès lors, Natoire ne cessa d'agir en sa faveur, intéressé par la situation précaire et la volonté de travail du jeune artiste. Lui aussi avait mis son talent au service de la Franche-Comté : il avait exécuté, quelques années auparavant, de grandes peintures pour la cathédrale Saint-Jean de Besançon. Après une enquête des plus favorables sur son compte, il intercèda auprès du cardinal de Gesvres qui promit son appui, et s'efforça d'attirer la bienveillante attention de Marigny sur Luc Breton. Malgré ces démarches, Marigny se refusa tout d'abord à laisser entrer Luc Breton à la Villa Mancini parce qu'il n'était pas lauréat de l'Académie de Paris. Il lui fallut attendre jusqu'au 9 juin 1762 pour obtenir une chambre.
Cependant, son triomphe lui avait déjà valu la faveur des amateurs d'art : c'est vers 1759-1760 que Breton reçut la commande d'un bas-relief illustrant la mort du général Wolfe devant Québec. Qui lui passa cette commande ? Peut-être Chambers ? Il est un peu décevant de voir un Français contribuer à la gloire de celui qui venait de nous faire perdre le Canada. Les difficultés matérielles contre lesquelles Breton se débattait encore, expliquent cette défaillance, ainsi que l'indifférence générale qui avait accueilli en France notre défaite ; cependant, de ce cœur fier, on pouvait attendre un sentiment de l'honneur patriotique plus accusé.
À quel monument était-il destiné ? En vain, avons-nous cherché à Rome le « tombeau » du général Wolfe « que l'on montre encore aux Anglais », affirme Francis Wey en 1840. Fut-il envoyé en Angleterre, où la dépouille mortelle du général avait été ramenée, à Westerham ? ou à Greenwich son lieu de naissance ? Il ne semble pas. Ou encore à Westminster ? Peut-être : vers la même époque, le sculpteur anglais Joseph Wilton, ancien élève de Pigalle, recevait de l'État anglais la commande d'un monument que l'on désirait élever à la mémoire du général Wolfe à Westminster. Wilton composa son œuvre à Rome et la fit transporter en Angleterre en 1773. Elle comprend un groupe — Wolfe soutenu par un sergent de highlanders — sur un piédestal où s'encastre un bas-relief en bronze. Ce bas-relief est l'ouvrage de l'Italien Cappizoldi, ami de Wilton, qu'il avait accompagné en Angleterre. Il représente une vue d'ensemble de la bataille et Wolfe joue, comme il se doit, un rôle de premier plan. L'Italien fut-il vraiment l'auteur du bas-relief ou seulement son fondeur ? Dans quelle matrice ce bronze fut-il coulé ? Serait-ce dans un moulage du bas-relief en marbre de Luc Breton ? La question reste entière. Il se peut, enfin, que l'ouvrage de Luc Breton illustre, ou ait illustré, le monument de Wolfe élevé à Québec dans la plaine d'Abraham, ou celui qui fut érigé par l'État de Massachussets.
La vie du jeune sculpteur fut transformée à son entrée dans la Villa Mancini ; non pas que l'existence des pensionnaires y fut dorée, l'état des finances était souvent précaire et, malgré le dévouement et les prodiges d'habileté de Mme Wleughels qui y logeait encore, les élèves couchaient dans des draps rapiécés et sous des couvertures parcimonieuses. Le local était tout à fait dépourvu de confort et d'hygiène : on gelait en hiver, on étouffait en été, et pendant tout le directorat de Natoire, presque tous les élèves tombèrent successivement malades. Luc Breton fut du petit nombre qui résista; il avait connu pire. Certes, il lui fallait encore subvenir à sa nourriture et à son habillement, mais il trouvait dans ce milieu l'ambiance la plus favorable au développement de ses dispositions artistiques. Pendant le séjour de neuf ans qu'il fit à la Villa, il côtoya les plus grands artistes de notre xviiie siècle français. Fragonard et Chardin venaient de quitter l'Académie de France, mais Hubert Robert y entrait, en 1759, comme lauréat et y restait jusqu'en 1765. Houdon arriva en 1764. Les élèves pensionnaires séjournaient quatre ans. Breton put voir, parmi les peintres contemporains : La Traverse, La Vallée, Poussin en 1762 ; Durameau et Restout, depuis 1761 : Simon Julien, en 1763 ; Lefevre-Desforges, en 1764 ; Saint-Quentin, en 1765 ; Alizard, en 1766 ; Callet, en 1767 ; Bardin, en 1768 ; Berthelemy, en 1770; le Bouteux et Vincent, en 1771, etc...
Sans doute, admis à fréquenter la Villa avant d'y avoir une chambre, connut-il déjà les sculpteurs Bridan, Lebrun et Berruer, arrivés en 1759 ; Laurent-Guiard, l'élève de Bouchardon, encore à l'Académie cette année-là, ainsi que Brenet et Dhuez. Allegrain, plus heureux que Breton, quoique moins glorieux, avait obtenu une chambre qu'il occupa de 1758 À 1760, mais fut contraint de partir pour raison de santé. Gois et Lecomte arrivèrent en 1761 ; Clodion demeura de 1762 à 1767 ; Monot vint en 1763 ; Boizot en 1765; Boucher et Beauvais en 1767 ; Pierre Julien cn 1768, accompagné à Rome par Dejoux, Franc-Comtois et sculpteur comme Breton. Enfin, Moitte et Foucou entrèrent en 1771.
Des architectes notoires passèrent aussi à la Villa Mancini à la même époque : Chalgrin, en 1759 ; Le Roy, en 1760 ; A-F. Peyre, en 1763 ; Huvé, en 1771 ; le Bisontin Pierre-Adrien Paris, lauréat de 1768, vint à Rome en 1771, mais n'entra à l'Académie qu'en 1772. Outre ces artistes, Luc Breton s'était lié avec le Dolois, Claude-François Demesmay, qui fut distingué par ses talents et emmené en Espagne, où il devint lieutenant de Saburthini, premier architecte du roi, et où il devait mourir à Madrid, en 1780. Attiret ne demeura pas longtemps à Rome, après le succès de son élève. Il partit peu après, en février 1759. Il ne semble pas avoir séjourné à la Villa, et c'est sans doute à l'amitié de Breton qu'il dut d'être recommandé par Natoire à Marigny, dans sa lettre du 28 février 1759 : « Il vient de partir un sculpteur nommé Attiret, de Franche-Comté, pour retourner à Paris. Il a étudié ici plusieurs années à ses dépens avec fruit. Je lui ai promis comme étant bon sujet, d'avoir l'honneur de vous en parler ; je souhaite qu'il soit digne de participer à vos bontés. » À quoi, le mois suivant, Marigny répondit : « Je lui marquerai ma satisfaction quand je le verrai. » Une autre amitié durable fut celle qui lia Breton à Melchior Wyrsch, peintre suisse, originaire de Buochs, qui devait se fixer à Besançon, sur l'instigation de Breton. Sa brusque franchise, son franc-parler, sa nature ouverte, expansive, plurent à Breton, peut-être parce qu'elles lui apportaient ce qui manquait à son tempérament taciturne, renfermé et timide à l'excès. Mais son grand soutien moral fut Natoire, dont il se montra le plus fidèle des disciples.
Natoire voulait que les élèves de sculpture fissent plus de modelage que de dessin, et Luc Breton, bien qu'il ne se fît pas faute de crayonner nombre de documents, modela en argile les œuvres de ses maîtres préférés. Le frisson du Bernin émouvait encore les jeunes artistes et devait séduire notre sculpteur, qui reconnaissait en lui l'inspirateur de Puget. Il copia la Bienheureuse Albertoni (voir ci-contre), Habacuc et l'Ange de la Chapelle Chigi à Sainte-Marie du Peuple, un ange adorateur d'une chapelle de Saint-Pierre, un berninesque saint Jean et l'apothéose de saint Louis de Gonzague, de l'émule du Bernin, Pierre Le Gros ; peut-être Apollon et Daphné ; et sans doute, bien d'autres petites terres cuites s'inspiraient du maître et de son école, mais n'auront pas résisté aux voyages de Breton et aux destinées diverses qu'eurent ses ouvrages après sa mort.
Mais, dans cette deuxième moitié du xviiie siècle, le contact direct avec l'antiquité des fouilles d'Herculanum et de Pompéi commencées en 1760, cette antiquité que vont exalter Mengs et Winckelmann, fait déjà passer sur les arts un souffle néo-classique. C'est aussi, à l'Académie de France, une réaction contre la petite manière imitée des Italiens et, désormais, c'est auprès de nos grands classiques français du xviie siècle, que l'on ira chercher des leçons, plus qu'auprès du Guerchin et du Caravage. C'est Poussin que l'on consulte et que l'on copie au Palais Cortoni, au Palais Barberini, etc… Le Testament d'Eudamidas, qui devait inspirer Greuze et bien d'autres peintres, est transcrit en bas-relief par notre sculpteur (voir ci-contre). Un autre bas-relief, « Jésus guérissant les malades », s'inspirait aussi du même maître et orne peut-être encore quelqu'une des nombreuses églises de Rome.
Les pensionnaires de l'Académie de France occupaient aussi une très grande partie de leur temps à copier des antiques. Les élèves de sculpture pouvaient travailler facilement pour le compte de particuliers, avec la complicité de Natoire. Des souverains, ou des amateurs d'art, leur passaient des commandes intéressantes. Clodion, Boizot, Boucher, Beauvais, travaillèrent pour l'impératrice de Russie. Tandis que Fragonard et Hubert Robert dessinaient à Tivoli d'après nature, Berruer et Bridan sculptaient pour l'abbé de Saint-Non des figures qu'il devait offrir à l'ambassadeur de Malte.
Il semble que ce soit à cette époque que le Bailli de Breteuil s'intéressa à Luc Breton. Il lui fit exécuter un grand nombre de copies d'antiques, entre autres, le gladiateur du Capitole, le buste de la Vestale ; le consul Marius de la Villa Negroni, Agrippine assise de la Farnésine ; un Faune flûteur, le Germanicus du Capitole, Bacchus et Ariane, la Vénus Callipyge.
Et il en copia d'autres que conservait son atelier bisontin ou qu'il dispersa dans les parcs et les châteaux de son pays.
Sans doute, aussi, notre artiste prit-il part, avec ses camarades, à ces multiples ouvrages de décoration qui gardent jalousement l'anonymat, dans les églises et les palais de Rome.
Il avait appris l'italien et, avec Wyrsch, rayonna autour de la capitale. Ils firent ensemble le voyage de Naples. Puis Wyrsch repartit en Suisse, s'y maria et vint se fixer à Besançon en 1768. Il prit sans doute cette détermination sur le conseil de Luc Breton qui songeait peut-être à y revenir. La mort de sa tante rappela celui-ci déjà en 1765. Il revint par Florence, Gênes, s'attardant auprès des chefs-d'œuvre de Puget : l'Assomption, Saint Sébastien, Saint Alexandre Sauli et les copiant peut-être, comme semblent le dire les mentions d'une copie du même nom, dans les premiers inventaires de l'École de dessin de Besançon, et le plâtre du saint Sébastien du Musée. Était-il parti de Rome sans esprit de retour ? Il ne semble pas, car Natoire lui conserva sa chambre. Mais cependant, il accepta l'offre du comte de Saint-Amour qui lui réservait un emplacement dans son Clos pour y construire un atelier. À cette date, ou plus tard, Luc Breton y fit élever un pavillon à cet usage donnant sur la rue des Granges, à côté du couvent des Bernardines. C'est qu'en effet, la renommée de ses succès romains l'avait devancé et, à son arrivée, on lui confia l'exécution d'un ouvrage important qui devait être son chef-d'œuvre. Jacques Thiébaud, peut-être camarade d'enfance de Breton, voulut, avant de se retirer à la Trappe de Sept-Fonds, en décembre 1765, laisser un souvenir de sa vocation à son église paroissiale, Saint-Maurice. Cette église avait été reconstruite en 1719. Il désira contribuer à sa décoration par un beau maître-autel, encadré de deux anges adorateurs. Luc Breton fit sur place l'autel, mais repartit à Rome en 1766 pour chercher le marbre précieux et le modèle qui convenaient aux anges. Il acheta du marbre blanc de Gènes et s'inspira des anges du Bernin de Saint-Pierre de Rome, et c'est à Rome qu'il les sculpta, dans l'ambiance stimulante de la Villa ; en 1768, ils étaient terminés et furent expédiés à Besançon et mis en place en 1769.
À la Révolution, ils eurent la bonne fortune d'échapper au massacre en faisant figure d'amours sur le char de la déesse Raison qui les conduisit à la cathédrale Saint-Jean. Ils y sont restés parmi les plus beaux ornements de cette église. Ils furent l'objet, dès leur arrivée, de l'admiration générale des Bisontins. Les Affiches de Franche-Comté les signalent en avril 1769, et « l'autel de Saint-Maurice y est mentionné comme le plus beau de toute la région de l'Est ». Ce mouvement d'estime dans son pays lui fut une compensation au refus qu'on avait opposé en 1766, à son offre de sculpter pour Besançon la statue du roi régnant. L'exemple de Pigalle, dont la statue pédestre de Louis XV avait été érigée à Reims, l'année précédente, l'avait peut-être incité à la même ambition.
Il ne lui sembla pas, cependant, que l'heure fût encore favorable au retour définitif. D'ailleurs, à Rome l'attraction était forte : peut-être Attiret y était-il de nouveau présent, ou avait-il annoncé sa venue, puisque l'on place son arrivée à Rome en 1758 et en 1768, d'où il envoya le buste de Legouz de Gerland à l'Académie de Dijon.
Mais surtout le milieu de l'Académie de France était particulièrement attachant.
Il trouvait toujours, dans Natoire, un protecteur indulgent ; et parmi ses camarades, Boizot, Clodion, Houdon, exerçaient sur lui une action bienfaisante par leur talent. L'influence de l'antiquité, toujours de plus en plus forte, aboutissait, alors, à la formation d'un goût nouveau, exigeant une conformité de plus en plus grande à l'esthétique gréco-romaine. Houdon, s'inspirant de ces idées « néo-helléniques », épurait son style et atteignait la vraie grandeur dans un art condensé et rythmé : il sculptait son ample et grave saint Bruno. L'année suivante, il poussait la science anatomique à l'extrême, dans son Écorché.
L'hellénistique Clodion pétrissait dans l'argile des statuettes et des bas-reliefs frémissants, mais souples et légers.
Sculpteur de transition, Luc Breton sentait la nécessité de vivre dans cette atmosphère où s'élaborait le style nouveau, l'idéal qu'il faudrait poursuivre.
Cependant, pour se maintenir en contact avec sa petite patrie, Luc Breton entra en 1766 dans la Confrérie de Saint-Claude des Bourguignons, que les Comtois avaient instituée à Rome en 1652. Il y prit vite une place importante : assistant en 1767, il devint syndic en 1768. Ce fut en 1770 que les membres de la Confrérie lui demandèrent, pour l'église Saint-Claude, une statue de saint André, patron de la Comté. Elle devait garnir l'une des niches de la façade. L'autre recevrait la statue de saint Claude, commandée au sculpteur comtois Grandjacquet, qui avait déjà décoré l'intérieur de l'église. En 1771, Luc Breton avait terminé le saint André, et Natoire écrivait à Marigny à ce sujet : « Il y a longtemps qu'un pareil morceau n'a été fait à Rome », oubli excessif du saint Bruno de Chartreux ! Du moins le témoignage du directeur de l'Académie de France proteste-t-il de son estime et de son amitié pour Luc Breton. Il avait alors de fortes raisons de lui faire confiance. Breton venait de prouver sa fidélité dans une affaire délicate, dont Natoire allait supporter les pénibles conséquences jusqu'à sa mort.
Il était de coutume, à Pâques, que les élèves catholiques de l'Académie se soumissent aux volontés du Saint-Office et accomplissent leurs devoirs religieux à l'église paroissiale, selon certaines règles : ils devaient présenter au curé un billet de confession, et le prêtre les autorisait alors à communier. Le pensionnaire catholique qui se refusait à cette mesure, était exclu de l'Académie. Natoire, pendant tout son directorat, n'avait eu à sévir qu'une fois, en 1753, contre Clérisseau. Encore l'affaire avait-elle été vite étouffée. Mais en 1767, sur les douze élèves, neuf seulement remirent leurs billets. Mouton, élève d'architecture, Monot et Julien, élèves de sculpture, s'abstinrent. Sur les instances du directeur, les deux derniers finirent par se mettre en règle ; mais Mouton s'obstina dans son refus, malgré les exhortations de Natoire. Luc Breton, alors, dans l'espoir d'une conciliation possible, s'entremit secrètement dans l'affaire et accompagna Mouton chez le curé, servant d'interprète. Mais l'accommodement n'eut pas lieu et le Tribunal de Rome, prévenu, allait prononcer le 26 août, l'excommunication. Pour éviter le scandale, Natoire se hâta de motiver à l'élève réfractaire son expulsion de l'Académie.
Mouton, rentré à Paris, publia un libelle contre Natoire, puis lui intenta une action en soixante-mille livres de dommages-intérêts et en réparation d'honneur. Marigny assurait Natoire de son appui, mais à Paris, les anciens pensionnaires, consultés, prirent le parti de Mouton. L'incident se greffa sur la querelle des Jésuites et des Jansenistes et devint virulent. ÀRome même, les élèves se rangèrent du côté de leur camarade qu'ils appelaient leur « libérateur ». Un seul prit le parti de Natoire : ce fut Luc Breton, qui, malgré les objurgations de ses camarades, leurs efforts pour lui soustraire, en faveur de Mouton, une attestation de la démarche qu'il avait faite avec lui chez le curé, resta inébranlable sur ses positions. Cette attitude courageuse pesa sur sa destinée en lui aliénant les autres élèves. Il dut renoncer à rencontrer parmi eux l'appui qu'on peut escompter d'anciens camarades d'études. Et aux yeux des artistes parisiens eux-mêmes, il apparaissait déjà compromis et traître à une cause commune.
Peut-être, ces événements le déterminèrent-ils à se fixer tout à fait dans sa Comté plutôt qu'à Paris. En octobre 1770, son parrain, l'avocat Luc Breton, était mort, instituant son filleul légataire universel. Luc Breton rentra à Besançon au début de juin 1771 pour recueillir cette succession.
Il avait, cette fois, quitté Rome sans esprit de retour, malgré l'offre qu'on lui fit de professer à l'Académie de Saint-Luc. Son modeste héritage allait aider ses débuts dans sa ville, où la célébrité le surnommait déjà « Breton le Romain ».
par Mlle Lucie Cornillot, Société d'Émulation du Doubs, séance du 18 février 1939.
Outre son premier apprentissage de sculpteur sur bois, Breton reçut donc une éducation toute romaine, il ne goûta l'air de Paris que par l'intermédiaire d'Attiret, les exemples de Pigalle et ceux de ses anciens camarades de l'École que les courts séjours qu'il fit sans doute dans la capitale, purent lui faire connaître. Ses œuvres reflètent sa formation antique, berninesque et classique.
Les documents qu'il rapporta de Rome témoignent de ces influences. Il avait emporté avec lui quelques belles copies d'antiques. Elles furent vendues ou dispersées, comme nous avons pu le constater pour quelques-unes d'entre elles : la Vestale ou les antiques de l'École. Mais nous pouvons encore imaginer quels furent ses modèles préférés en nous reportant au catalogue de vente des objets d'art du baron de Breteuil. Les appréciations qui sont jointes à la description des copies exécutées par Breton, permettraient d'estimer leur valeur si la personnalité de celui qui les lui avait achetées ne suffisait pas à l'attester. On voit successivement indiqués : le Faune flûteur..., deux Vénus Callipyge de la Farnésine, Bacchus et Ariane..., le Gladiateur du Capitole..., le Consul Marius de la Villa Négroni... et Agrippine de la Farnésine..., un buste de Vestale.... le Germanicus du Capitole et deux piédestaux ornés de bas-reliefs représentant des enfants, peut-être imités de l'antique1. Tous sont qualifiés de « très agréables copies » et « faites avec grand soin ».
Le buste de Vestale offert à Mlle de Scey par Mme de Ligniville, mérite les mêmes approbations. C'est la copie certaine de la Vestale dite la Zingarella, mais avec ces différences subtiles qui la rattachent à l'art du XVIIIe siècle. La draperie est plus légère, presque transparente auprès du visage, l'ovale semble un peu plus allongé et quelques touches insensibles lui confèrent un caractère particulier, qui la distingue du type impersonnel de l'original antique. Elle ne fut cependant pas réalisée comme un « portrait à l'antique » puisqu'elle fut donnée par la marquise de Ligniville à sa jeune parente à cause de leur similitude de traits2.
Parmi les petites terres cuites du Musée, l'une est une copie d'antique : c'est la petite maquette de la « Diane chasseresse », très mutilée, mais qui cependant permet encore de juger d'une pureté de lignes remarquable. Elle avait le bras droit levé, le bras gauche abaissé. Elle porte son carquois sur son dos. Elle est vêtue d'une tunique et d'un peplum. Son chien se tient à sa droite. Le « Faune flûteur » de Jallerange se rattache à ces copies d'antiques.
D'autres terres cuites sont un hommage direct rendu au Bernin ou à son école : l'une reproduit le groupe de l'Ange et d'Habacuc de la chapelle Chigi à Sainte-Marie du Peuple ; l'autre la bienheureuse Albertoni de San Francesco à Ripa ; un bas-relief transcrit l'apothéose de saint Louis de Gonzague exécuté par Le Gros à l'église du Gésu ; un autre, représentant saint Jean écrivant son Évangile sous l'inspiration de l'ange, s'apparente visiblement par ses draperies claquantes, son mouvement en extension, au style berninesque, et semble être une copie ou tout au moins une interprétation servile d’une œuvre baroque. Une petite ébauche d’un soi-disant prophète Élie, revêtu d’une robe de Carme3, mais qui pourrait aussi bien être saint Benoît, tenant un livre de la main droite et accompagné de son corbeau, doit être la réplique de quelque statue romaine. Enfin, à l’École des Beaux-Arts, la tradition attribue à Breton deux têtes de vieillards, masques en terre cuite, aux visages inspirés, aux cheveux et aux barbes tourmentés. L’une est la figure d’un Docteur de l’Église qui se tient à droite de la Chaire de saint Pierre de Rome. L’autre est certainement d’origine berninesque. Le triton soufflant dans une conque était aussi de provenance italienne.
Ce sont donc des copies, mais d’un artiste français du XVIIIe siècle, qui introduit malgré lui dans son ouvrage le sens de la mesure et la grâce de son siècle.
D’autre part, l’antiquité et l’Italie moderne n’étaient plus, en 1760, les seuls maîtres proposés par les Académies et les grands artistes classiques du XVIIe siècle prenaient aussi une place prépondérante dans l’enseignement des Beaux-Arts. Poussin, que les élèves pensionnés pouvaient étudier au palais Barberini ou au palais Cortoni et dans hien d’autres endroits, devint leur modèle préféré. Luc Breton transposa en bas-relief le Testament d’Eudamidas (voir ci-contre) qui devait inspirer tant d’artistes de son temps, entre autres Greuze et David ; la grandeur de la mort stoïque était un sujet qui devait séduire l’âme fière de Breton, et le jeu savant des draperies tenter son ciseau. Il sut le traduire fidèlement, avec une grande pureté d’arêtes, en ajoutant cependant quelques nuances dramatiques qu’avait ignorées Poussin.
Il avait exécuté, également d’après Poussin, un bas-relief représentant Jésus guérissant les malades, d’une interprétation plus difficile à définir, car nous ne connaissons ni l’œuvre inspiratrice de Poussin, ni l’œuvre de Breton, disparue. Sans doute à ces modelages qui nous sont familiers, s’ajoutaient-ils d’autres ébauches4 . Nous savons, en outre, que Breton prit des croquis nombreux de modèles antiques, dans lesquels il put puiser des inspirations pour ses ouvrages postérieurs.
Depuis la Contre-Réforme, l’art religieux suivait les enseignements des Jésuites, et Le Bernin avait été l’instrument docile et remarquable de leur doctrine. Rappeler d’une manière visible les grandes définitions du Concile de Trente : présence réelle, intercession de la Vierge, communion des Saints ; reproduire en sculpture les différents mouvements d’une âme sainte, — visions, extases, ou douleur sacrée, — les accentuer par des gestes caractéristiques et rituels qui les fissent reconnaitre sans doute possible, telle avait été la consigne des réformateurs catholiques. Têtes un peu renversées en arrière, yeux tournés vers les visions célestes, bras étendus en gestes d’offrande, telles furent désormais les attitudes classiques que Le Bernin et ses élèves allaient multiplier et propager.
Leurs successeurs italiens de la période du style rococo se grisèrent de cette gesticulation et oublièrent de les allier au sentiment qu’elle devait exprimer. Au milieu du XVIIIe siècle, en réaction contre ce style tourmenté et froid, on revint à une plus grande sobriété de mouvements, à des mimiques plus retenues pour traduire les sentiments tendres et délicats chers au cinquecento italien et qui avaient fait le charme des anges de Matteo Civitali, des Vierges des Della Robbia.
Les anges adorateurs que Luc Breton sculpta pour accompagner l’autel de l’église Saint-Maurice, partici-pent, de ces tendances diverses. L’un et l’autre sont agenouillés à deux genoux, mais l’un croise ses mains sur sa poitrine et lève la tête et les yeux au ciel ; l’autre tourne la tête vers l’autel et tient ses mains jointes et levées auprès de sa joue gauche. Le premier exprime l’extase, le second l’amour sacré.
Lorsque Luc Breton reçut cette commande, il repartit à Rome chercher la matière et le modèle. À Rome, les anges étaient partout : au coin des rues, sur les ponts ; et partout, dans les églises : sur les corniches, dans les coupoles et surtout auprès des tabernacles, où ils attestaient la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie.
Il n’est pas douteux que Luc Breton se soit fait le disciple du Bernin en cette circonstance : au Musée, une petite maquette d’ange adorateur (dont la tête manque malheureusement) permet de rapprocher l’un de ces anges, celui de droite, de celui qui se tient à droite du Tabernacle, dans la chapelle du Saint-Sacrement à Saint-Pierre de Rome. Même attitude du corps légèrement tourné à gauche, même position des mains un peu crispées sur la poitrine ; celle de la tête et le traitement des draperies seuls diffèrent.
Les deux gestes de prière étaient fréquents et l’on pourrait citer de nombreux exemples d’anges à mains jointes ou à mains croisées, depuis les anges de Matteo Civitali à la cathédrale de Lucques, à ceux du Bernin à San Augustini, à Grottaferrata, ou à Saint-Pierre. Aussi imagina-t-il peut-être spontanément l’attitude de l’ange de gauche, mais l’inspiration bérninesque reste visible dans le traitement du corps muselé sous la chair élastique et délicate formant contraste avec le tumulte des cheveux bouclés. Enfin, les expressions de physionomie sont caractéristiques, bien qu’un peu tamisées. L’ange en extase a la bouche entr’ouverte, les traits un peu tendus comme sainte Thérèse du Bernin ; l’ange en adoration esquisse un sourire mutin qui plisse le coin de ses yeux, peut-être en souvenir de l’ange de la Transverbération.
On sent dans les anges de Breton une certaine afféterie qu’accentue encore le geste maniéré. Par contre, les draperies des tuniques sont traitées avec beaucoup de sobriété. Elles ne sont plus secouées par le vent de style cher au Bernin, mais retombent avec souplesse à l’exception de quelques plis encore un peu cassants. Cependant, an reconnaît sur l’ange en extase, ce long pli longitudinal, de la hanche aux genoux, qui bordait la tunique de l’ange adorateur de droite de saint Pierre, et qui cernait aussi la tunique de la Madeleine du groupe Noli me tangere. Les anges sont certainement le chef-d’œuvre de Luc Breton. Il mit, en les exécutant, toute l’adresse dont il était capable au service des sentiments particuliers qu’il devait éprouver pour son église paroissiale. Et si l’influence du Bernin est manifeste, on peut dire qu’il y eut, toutefois, assimilation créatrice et qu’il fit œuvre originale ; on constate sa science d’excellent anatomiste formé aux disciplines académiques et l’on admire la souplesse des attitudes et l’élégance des draperies.
Un autre thème, bien classique, fut proposé à son ciseau : la Pieta ; après avoir fourni un modèle en terre cuite au chapitre d’Arbois, il exécuta pour l’église Saint-Pierre, une œuvre vraiment monumentale. Il l’encadra dans un ensemble architectural très « romain ». « Au fond d’un plan en demi-cercle s’élève un piédestal continu en marbre jaune et rouge, qui porte deux colonnes aussi en marbre, avec leurs chapiteaux corinthiens à feuille d’olivier qui sont en bronze doré, ainsi que les modillons et rosaces des soffites de la corniche en pierre polie. Le tout est terminé par un fronton dont les moulures, comme celles de l’architecture, sont alternativement lisses et taillées. Sur un fond en refend léger, est un enfoncement ou niche carrée, entouré d’un chambranle en marbre sculpté. D’un fond en marbre noir se détache une croix en bronze, au pied de laquelle est placé le groupe de Notre-Dame. Le sculpteur a représenté la Vierge tenant sur ses genoux le corps du Christ descendu de la croix, dont elle soutient un bras et la main, tandis qu’elle a le bras droit et les yeux élevés au ciel. Devant le stylobate est placé un autel élevé sur trois marches et imité du tombeau d’Agrippa....5 »
Ce décor avait été fait d’après les modèles et les dessins de Breton et nous avons signalé la participation probable de Callier pour toutes les parties en métal.
La Pietà, œuvre personnelle de Breton, porte bien la marque de son époque (1786) et l’on y retrouve les principes pédagogiques des Académies : le groupement pyramidal, le contraste des mouvements, le drame du geste. Le corps nu du Christ est magnifique de modelé et de souplesse. Les draperies coulantes (un peu comme celles de Poussin) et harmonieuses prennent une ampleur antique sur les genoux de la Vierge. La pose est conforme à la formule adoptée depuis le Corrège et Carrache, par Mignard ou Coustou et tous les artistes français ou italiens : le Christ n’est plus comme au Moyen-Âge porté entièrement sur les genoux de sa Mère, mais il appuie seulement son torse contre Elle. La Vierge, adossée, renverse la tête et lève les yeux au ciel, le bras droit tendu dans un geste d’offrande. À côté d’elle est posée la couronne d’épines, conformément aux homélies de Jean de Carthagène. Il n’est pas probable que Breton ait eu connaissance de ce livre, mais ses prédécesseurs des écoles française et italienne s’en étaient inspirés, et la tradition de la Contre-Réforme trouvait, une fois de plus, auprès de l’artiste bisontin un accueil respectueux. Mais si ce groupe est une soumission à l’enseignement classique et à la discipline religieuse, si « l’anatomie du Christ est irréprochable6 », cette Pietà manque d’âme et d’accent sincère. Elle n’émeut pas, elle est froide et son geste déclamatoire est une attestation vaine.
Ce sont les mêmes qualités académiques que l’on constate dans la statue de saint André qui orne la façade de Saint-Claude des Bourguignons. Statue vigoureuse, faite pour le plein air, et pour jouer un rôle ornemental en fonction d’une architecture massive. La musculature est ici plus accusée, l’art plus viril, la draperie à la fois, plus lourde et plus agitée que dans les œuvres que nous venons d’analyser et qui lui sont postérieures. C’est que cette statue fut exécutée à Rome et pour Rome. Son attitude évoque le saint André de Duquesnoy ; le geste du bras replié en est la seule grande différence. ll permet d’ailleurs un beau jeu de lumière sur les muscles du biceps, reflet qui se poursuit sur le flanc, le genou et le pied porté en avant et qui contraste avec les ombres de la niche et des draperies.
Le petit modèle en terre cuite du Musée montre le dessein de l’artiste de soigner particulièrement la partie antérieure de la statue et d’y ménager les effets de lumière en accentuant la flexion du torse et la cambrure des reins. La draperie toutefois est bien traitée, même dans le dos du personnage.
D’un geste significatif, saint André désigne son instrument de supplice et lève les yeux au ciel, dans une conventionnelle extase.
L’œuvre enthousiasma Natoire. Elle reste un sujet d’admiration au point de vue anatomique d’une force « caravagesque ».
La statuette de saint Jérôme (voir ci-contre), grâce à laquelle Luc Breton pensait se faire ouvrir les portes de l’Académie, n’aurait pas détonné parmi les morceaux de bravoure qui autorisaient la réception des artistes de son temps. Elle possède même une noblesse que certains de ces morceaux de réception ne connaissaient pas.
Saint Jérôme assis sur un rocher écrit son livre sous l’inspiration divine. La pose évoque celle des fleuves du Bernin7 ; les jambes sont lancées dans le vide. L’attitude contournée et la tension du geste ont permis à l’artiste d’exercer sa virtuosité technique, en faisant saillir ou bander les muscles sur une anatomie parfaite. La maquette montre un modelé brusque aux accents vifs et anguleux ; l’ensemble est « dynamique » et l’expression vraiment inspirée. Le modèle en terre cuite est naturellement plus apaisé et plus « fini ». Si l’œuvre date déjà, en cette période néo-classique où elle fut conçue, si elle pouvait choquer un puriste comme Houdon par son allure un tant soit peu « baroque », elle était bien de cette manière héroïque et réaliste à la fois, le seule que Breton ait vraiment aimée.
Et sans doute eut-il plaisir à transposer sûr bois dant un médaillon de la sacristie de la Cathédrale Saint-Jean le modèle de saint Jean écrivant son Évangile que nous avons signalé parmi les documents d’inspiration berninesque. Saint Jean porté par les nuages, le pied appuyé sur l’aigle, et revêtu d’une longue robe aux draperies flottantes, lève la tête vers le ciel d’un air inspiré, il pose la main gauche sur une banderole que lui apporte un ange. De la main droite, il tient un stylet. L’air extasié de saint Jean, l’expression mutine de l’ange, les draperies claquant au vent, le pli transversal de la robe, toutes ces particularités chères au Bernin, nous les retrouvons ici. Le saint Sébastien qu’on lui attribue et qui n’est au Musée qu’un moulage, est une copie du saint Sébastien de Puget à Sainte-Marie de Carignan, à Gênes, mais aux draperies plus coulantes. Il paraît, par ses proportions identiques, être le moulage du modèle en terre cuite conservé au Petit-Palais 8. Il semble que Breton se soit inspiré de cette statue pour exécuter en haut-relief un crucifix où le Christ, imberbe, renverse une tête douloureuse et fléchit le torse d’un mouvement semblable au saint Sébastien, mais inversé. C’est une intéressante étude de nu.
Il ne nous reste rien de saint Paul et de saint Jean esquissés par Breton pour la Cathédrale, sinon une mention sur l’inventaire de l’École de dessin, à côté d’une Assomption, dont nous ignorons l’origine et la destination.
On peut dire que, dans l’ensemble, l’œuvre d’inspiration religieuse de Breton est plus académique que fer-vente. Il est dans la stricte tradition de l’Église, mais s’il suivit la lettre, il n’en comprit pas toujours l’esprit.
La Religion et la Vérité font la transition entre les œuvres de piété et les allégories profanes. Nous ne con-naissons la Religion que par la description inscrite sur le registre du Chapitre : « La Religion aurait le visage décou-vert…, sous le bras gauche une croix et un livre…, sur le dos de ce livre on lirait ce mot : l’Évangile ; elle foulerait aux pieds une table rompue portant ces mots : les Abus, elle aurait à côté d’elle un rouleau représentant des feuilles de papier déchirées aveé ces mots : Feuilles des Bénéfices ». Au-dessus de la niche de la Religion on écrira en lettres d’or ce texte de saint Jacques, chap. Ier, v. 27 : « Religion pure et sans tache ». Il semble qu’elle évoquait le souvenir de l’allégorie de la « Foi comprimant l’Hérésie », œuvre de Le Cros à l’église du Gesu à Rome.
« La Vérité aurait un soleil sur la poitrine et un bouclier au bras, sur lequel seraient écrits ces mots : les Droits de l’homme ; elle aurait un pied appuyé sur un globe pour signifier qu’elle doit régner sur l’Univers. Au-dessus de la niche... on écrira le passage du psaume 90 : « La vérité vous protégera de son bouclier ».
C’est bien ainsi qu’elle apparaît à nos yeux dans la petite maquette (très mutilée) qui en reste. Le soleil, le globe étaient les attributs traditionnels de la Vérité depuis la Contre-Réforme. C’est avec ceux-ci que Bernin l’avait représentée, bien que dans une pose toute différente d’ailleurs.
Avec la figure de l’Étude, nous revenons au modèle antique. Il fit cette statue en grandeur demi-nature et l’exécuta en marbre blanc pour le baron de Breteuil. La maquette nous représente une jeune femme assise, drapée à l’antique. Elle lit, adossée à une stèle. Malgré son costume, elle porte bien le cachet du XVIIIe siècle. Puis voici les allégories révolutionnaires : la Liberté et la Loi. Ce furent des œuvres froides et banales. de l’avis des contemporains. La Liberté (ou République suivant les diverses nominations) s’élevait dans la salle décadaire sur un trop grand socle qui la faisait voir en raccourci ; son poids portait sur la jambe placée en arrière et accentuait cet effet. La maquette possède une musculature étudiée, mais exagérée pour un type féminin. Elle est coiffée du bonnet phrygien et tient sur sa hanche droite un bouclier.
Le Loi (ou la Morale) est également dépourvue d’expression. C’est une femme vêtue d’une robe longue et d’une tunique dont les pans enveloppent ses mains qui tiennent des tablettes. Sur ces tables devait être inscrite la maxime évangélique : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit. »
Les draperies plissées ne sont pas sans élégance. Breton a-t-il cherché à simuler le style égyptien dont parle Callier ? Il serait imprudent de l’a ffirmer. Ces deux derniers ouvrages manquent visiblement d’inspiration. Luc Breton était âgé et de plus les sujets proposés ne le faisaient peut-être pas vibrer. Il lui était enfin difficile de leur appliquer ces formules traditionnelles dont il avait connu tant d’illustrations à Rome.
Manquant de force, d’enthousiasme et de modèle, il ne pouvait que faire œuvre médiocre.
Le plus important de ces monuments est certainement celui que la duchesse de Choiseul et la marquise de Ligniville firent élever à la mémoire de leur père. Détruit à la Révolution, nous pouvons cependant en juger par la description qu’en ont laissée les contemporains, par le maquette et les modèles du Musée, par la gouache de Chazerand qui le représente. Nous ne saurions mieux faire que, d’emprunter ces notes de Gauthier9. « Sur un socle de marbre noir, recouvert de marbre blanc, incrusté de marbre jaune entre deux avant-corps où sont sculptées des amphores à bande vivrée, est placé un sarcophage en pierre rouge de Sampans, du modèle de celui d’Agrippa. Il est appuyé contre la base d’une pyramide de marbre gris bleuté en léger relief sur laquelle s’incruste un médaillon ovale au profil du défunt, en marbre blanc et cerclé de bronze derrière lequel pendent deux guirlandes de cyprès en bronze. Deux génies de marbre blanc groupés sur une draperie entourent le portrait de Charles-Ferdinand de La Baume. Le génie de la Renommée le soutient. Le génie de la Guerre le couronne d’un casque empanaché. De chaque côté du sarcophag se dressent deux allégories en pierre de Tonnerre : le Temps, en passant, abaisse son flambeau de la main gauche et l’éteint sur une corniche antique ; de la main droite, il soulève le couvercle (qui se brise) du sarcophage ; c’est un vieillard ailé ; l’Histoire retient du bras gauche, en l’appuyant sur sa hanche, un bouclier sur lequel elle écrit : “Mémoire de la famille de La Baume”. Elle est couronnée d’immortelles. Derrière elle, est posée à terre un grand anneau orné des signes du zodiaque, livres et rouleaux. Du tombeau entr’ouvert s’échappent des marques d’honneur des La Baume : le timon de Régence, l’ancre de l’Amirauté, le chapeau de Cardinal, le bâton de Maréchal, les colliers du Saint-Esprit et de la Toison d’Or. Deux inscriptions complètent cette commémoration, l’une au-dessus du médaillon : “Virtute vixit, memoria vivet” ; l’autre au-dessous “À Charles Ferdinand de La Baume Montrevel, dernier chef de sa branche, mort le 21 novembre 1736, âgé de 40 ans.” »
Les biographes de Luc Breton n’ont pas manqué de rapprocher ce monument de celui que Pigalle avait érigé en 1777 dans l’église Saint-Thomas, du mausolée du maréchal de Saxe, et la petite ébauche en terre cuite que nous possédons semble accuser encore cette similitude, par la présence de la Mort, squelette recouvert d’un suaire. Cependant, cette figure macabre, Le Bernin, renouant avec la tradition du XVe siècle, l’avait introduite dans ses drames funéraires, sur les tombeaux pontificaux. À sa suite, les Italiens, puis les Français : Slodtz, Roubillac, Pigalle, etc... plus tard, Clodion, Houdon, s’en emparèrent. Comme eux tous, Breton songea d’abord à lui donner un rôle sur le mausolée des La Baume, puis il se rattacha au courant néo-classique qui orientait les artistes vers des goûts d’art plus sévère. La pyramide, devenue le motif architectural traditionnel servant de fond aux monuments funéraires depuis le XVIIe siècle, ne s’opposait pas à l’esprit nouveau. À la Mort, Breton substitua la figure du Temps, moins pittoresque. Elle conserve cependant un peu de dynamisme dans son allure et son geste. L’artiste lui a même prêté l’air inspiré et la barbe noble des prophètes berninesques. Une seule note pittoresque subsiste encore : le couvercle brisé du sarcophage d’où s’échappent les insignes honorifiques. L’anatomie du Temps est un beau morceau d’étude. L’Histoire emprunte son attitude et son drapé à la Victoire de Brescia. La maquette du monument montre une imitation plus serrée du modèle. L’allégorie définitive n’a plus les ailes, ni le geste en extension de la Victoire antique. La draperie l’enveloppe davantage et son visage possède la grâce du XVIIIe siècle.
Son adaptation n’exclut pas son origine ; avec le sarcophage imité du tombeau d’Agrippa, elle ajoute un élément au style « antiquisant » du monument funéraire. La représentation du défunt en médaillon était tout à fait conforme au goût de l’époque. Déjà en Italie, cette formule avait trouvé faveur sur le tombeau de la princesse Odescalchi Chigi à Sainte-Marie-du-Peuple, sur le monument Falconieri à Saint-Jean des Florentins, et en France, elle fut accréditée auprès de nos sculpteurs de cette deuxième moitié du siècle, en concurrence avec le buste et l’urne funéraire. Les Génies potelés qui soutiennent le portrait, accusent encore cette inspiration italienne mais francisée déjà.
Breton exécuta donc, ici, un monument parfaitement adapté à l’esprit de cette période 1775-80 : néo-classique dans son ensemble, mais cédant encore au souvenir baroque dans ses détails. Toutefois, il ne sacrifie pas à la « sensibilité » mise en vogue par Rousseau ou Diderot : c’est encore à la Gloire qu’est dédié le monument.
Celui que la piété filiale des trois frères Toulongeon fit élever à la mémoire de leur mère, fut conçu un peu selon la formule des « monuments de coeur » du XVIIe siècle, l’élément essentiel étant une colonne de granit surmontée d’un chapiteau dorique. Callier le décrit ainsi : « Sur le fût de la colonne est placé le portrait de Madame Toulongeon, entouré de branches d’olivier, et au-dessus du chapiteau sont trois autres médaillons représentant ses trois fils, ornés de branches de chêne et surmontés d’un casque grec. Tous ces ouvrages en bronze, ajoute-t-il, ont été exécutés d’après les modèles de Breton ». Et nous pensons qu’ils le furent de la main de son élève biographe.
Ainsi Breton ne craignit pas de multiplier les médaillons que la vogue répandait communément.
Ce monument Toulongeon, au symbolisme sentimental, eût satisfait Diderot et la colonne dorique à « l’antique » s’adaptait à la fois à la tradition et aux tendances contemporaines. Breton renouvela le thème du tombeau d’Agrippa, dans le monument érigé à Chamars, à la mémoire des citoyens morts pour la Patrie. Il se servit de l’autel de la Pieta, l’éleva sur un piédestal orné d’amphores et l’encadra de la balustrade ; un couvercle arrondi et surmonté de deux couronnes de chêne et de laurier 10 , le compléta. Il portait une inscription (à l’orthographe fantaisiste) indiquant son objet.
Ce tombeau à l’antique, d’où le drame et l’allégorie étaient exclus, fut placé dans un cadre de verdure au fond d’une grande allée, dans le « petit jardin fermé (ou encore, jardin chinois) du Champ de Mars » qui abritait déjà des cyprès et des saules pleureurs. Il y eut à la Commission départementale, au sujet de l’emplacement, une discussion curieuse par les goûts qu’elle exprime. Certain fut choqué de cette recherche de l’effet, du point de vue au bout d’une allée, pour un tel monument. Il préconise au contraire la petite île de Chamars dont la végétation poétique et l’isolement inciteraient au recueillement. Son conseil ne fut pas retenu. L’architecte Colombot 11, manifestement jaloux de Breton, regrette avec amertume qu’on n’ait point fait appel à un architecte pour un tel aménagement. Le tombeau lui semble trop éloigné du centre de la promenade ; il en critique, entre autres, les modestes dimensions. Breton s’en tint à l’emplacement désigné tout d’abord et plaça le tombeau de flanc pour le mettre en valeur et lui donner de l’importance. Le dessin de Chazerand fait valoir ce mariage de l’antique et de la nature déjà romantique.
Quant au monument de Mirabeau à Pontarlier, il consista en une urne de marbre rouge d’un galbe très pur, où étaient ces simples mots : Honoré Riquetti Mirabeau, 1791 ; et d’une plaque de marbre noir portant l’inscription : « Après avoir vécu pour le peuple, il est doux de mourir au milieu du peuple : Mirabeau mourant », par la Société des Amis de la Constitution 1791.
Lorsque l’Intendant Lacoré et sa femme quittèrent la Franche-Comté, au milieu des regrets unanimes, Luc Breton pensa que la reconnaissance publique ne saurait mieux s’exprimer que par deux monuments à leur mémoire, d’autant qu’en 1784, quand il conçut ses projets, Mme de Lacoré venait de mourir.
Ils ne furent érigés sur aucune place publique de Besançon, mais leurs maquettes en terre cuite ornent le grand salon ovale de « l’Intendance » (l’hôtel de la Préfecture, aujourd’hui), et éveillent le souvenir de ses premiers hôtes.
Il semble que Luc Breton ait voulu mettre dans ces monuments tous ses souvenirs romains, s’inspirer, de plus, des œuvres d’art contemporaines, et illustrer par des allégories l’article que faisait paraître le 24 mai 1784 le Journal de Franche-Comté. Les deux ouvrages, en particulier celui de l’Intendant, sont compliqués, lourds et confus. L’Intendant est représenté en Hercule, debout, recouvert à demi par une légère draperie, tenant une massue à la main. L’allégorie de la Justice le soutient d’un bras et de l’autre élevait des balances qui ont disparu. Il pose son pied droit sur une urne d’où l’eau s’échappe, à côté d’une femme assise symbolisant la ville de Dole reconnaissante de la canalisation du Doubs. À sa gauche, un « putto » soutient les armoiries de l’Intendant (chevron, accompagité en chef de deux coqs et d’un lion en pointe). À ses pieds, au premier plan la ville de Besançon, tenant l’écu de ses armoiries, est à genoux et accoudée à une boule terrestre où est écrit le mot « Franche-Comté ».
L’ensemble assez prétentieux, n’est pas racheté par des formes gracieuses. Les allégories sont épaisses et lourdes et restent froides, malgré leurs draperies claquantes et leurs gestes démonstratifs. L’ouvrage est boursouflé. Le projet de monument de Madame de Lacoré possède plus de rythme et de style, bien qu’il soit encore encombré de symboles et d’attributs variés. Adossée contre une Pyramide tronquée, la Renommée — en équilibre fictif — s’appuie sur le blason armorié de l’Intendant que soutient un lion couché. De sa main droite, elle tient la trompette ; de l’autre une couronne de laurier. À ses pieds, à droite, est assise Madame de Lacoré, tenant en mains un stylet, les pieds posés sur des livres. Au premier plan, à côté d’elle pleure le génie du Temps, figure ailée, assise, la tête entre ses mains et les cheveux épars. À gauche, la Franche-Comté essuie ses larmes, tout en soutenant un écusson aux armes de Madame de Lacoré (un pommier arraché au-dessous d’une fasce, chargé de trois fleurs de lys). Les draperies aux plis nerveux animent l’ensemble assez froid. La seule figure intéressante est le génie pleureur qui courbe son torse d’une façon harmonieuse. Le lion, la femme qui pleure, sont peut-être des réminiscences du mausolée du maréchal de Saxe.
Cet étalage des sentiments d’affection et de reconnaissance participait à la sentimentalité démonstrative alors en vogue. Mais les Francs-Comtois ont toujours répugné à l’expression violente de leurs sentiments vrais, et ces projets durent choquer leur réserve naturelle. Il ne semble pas que l’artiste ait trouvé dans ce lyrisme larmoyant le moyen de satisfaire ses impulsions artistiques. Les mouvements d’âme passionnés ou virils lui convenaient davantage.
Nous connaissons par des descriptions12 le projet commémoratif de la création du Canal du Rhône au Rhin. Nous empruntons celle de Luc Breton13 : Au- « dessus d’un rocher escarpé, j’ai placé la figure de la Ville de Besançon présentant le médaillon de Louis XVI. Aux pieds de cette figure est un aigle déployant ses ailes et prêt à prendre son vol. D’une large bouche du canal, taillé dans le milieu du rocher, sort un volume d’eau assez considérable. À droite de cette ouverture est le Rhin tenant un aviron et dans l’attitude d’un fleuve étonné de se voir aux pieds de la Ville de Besançon ; à gauche, le Doubs couronné de roseaux, tenant une simple rame, parait avoir l’air le plus satisfait et soutient la légende Utinam14... Le tout est accompagné de différents attributs... des armes de la Ville et de la Province, groupés en plusieurs endroits pour renforcer l’allégorie et satisfaire davantage le coup d’œil de ce monument ». On reconnaît le thème classique des allégories fluviales chères à Versailles, reprises maintes fois par nos sculpteurs, entre autres par Bouchardon, à la fontaine de Grenelle. Comme ce dernier, Breton place la figure de la Ville au-dessus d’eux. Le médaillon de Louis XVI était la note nouvelle apportée à cette composition.
Les bustes de Luc Breton peuvent se répartir en deux groupes : les bustes nobles et les bustes familiers. Ils sont marqués, en outre, de l’évolution du style de Breton du « baroque » au néo-classique.
Les bustes nobles sont les portraits des grands personnages de la noblesse, de l’Église ou du gouvernement révolutionnaire. En général Luc Breton reste très près du modèle vivant ; les rides, les imperfections naturelles sont impitoyablement indiquées. Mais l’expression est factice, à tous il a donné un air de fierté souligné par un port de tête un peu hautain. Ils sont souvent graves, dignes, toujours imposants. Un manteau ou une écharpe jetée sur une épaule forme à la base du buste deux plis accentués qui l’encadrent.
Le buste du Conseiller Mareschal de Vezet se présente ainsi. Il regarde à droite ; ses cheveux sont relevés sur son front et retombent en boucles sur le cou. Son col déboutonné laisse apercevoir le jabot. Sur le socle, sont inscrits les mots vir probus.
Le médaillon que Breton fit du même personnage, le représente de profil ; il a accentué encore l’air de bravoure, par une certaine fougue des plis, et la nervosité des boucles. Le profil hardi du nez en bec d’aigle, s’enlève avec force sur le fond du bas-relief. Le modelé très vivant laisse voir le jeu des muscles.
Le portrait de Charles-Roger de Bauffremont procède du même principe. Le Prince, légèrement tourné à gauche, est coiffé d’une perruque à rouleaux ; il est revêtu d’une cuirasse. Il porte au loin un regard hautain et ironique. L’expression est sévère et en impose. Mais l’artiste a fixé sans indulgence les plis du cou, la fatigue de la figure et les cheveux raides qui s’échappent de la perruque.
Au contraire, dans le buste du duc de Randan, le sculpteur n’a pas craint, tout en donnant un certain panache à son modèle, de traduire l’expression joyeuse de ce grand seigneur épicurien. Il tourne vivement la tête à droite ; il est revêtu de sa cuirasse et sa poitrine est barrée du grand cordon bleu de l’Ordre du Saint-Esprit.
Le délicieux petit buste de Philippe de Marmier, à 7 ans, est sculpté avec grâce et distinction. Le port de tête est fier et le charme du visage vient des yeux qui semblent sourire, et de la pureté des traits. Le ciseau de l’artiste a obtenu « des délicatesses épidermiques » qui font de ce portrait un ouvrage délicat et soigné. Sa date, 1789, explique aussi ce style épuré.
Henri Ignace de Chaumont, abbé de la Galaizière, aumônier du roi de Pologne, s’apparente encore aux précédents par son réalisme véridique qui n’oublie ni rides, ni verrue, mais aussi par son air altier et grave conforme à la dignité de ce haut personnage. C’est un buste en marbre blanc. Le prélat est revêtu de son camail et porte la croix canoniale. Il est coiffé d’une perruque à rouleaux.
Nous ne connaissons que par leur mention le buste de l’abbé de Breteuil où Breton joua avec la matière pour obtenir des contrastes de « rugueux et de poli » ; ceux du prince de Listenois et de la princesse, de Louis de Bauffremont, etc... Sans doute appartenaient-ils au même genre que ceux qui précèdent.
Dans cette galerie nous n’avons qu’un buste de femme : la Générale d’Arçon où la touche plus délicate donne le fini et le poli au portrait. La tête tournée à droite est couronnée de cheveux relevés en haute coiffure Louis XVI. Très décolletée, elle porte sur ses épaules une mantille retenue à gauche par un ruban. La physionomie est fine et gracieuse, les drapés harmonieux. Son style ressemble à celui de Philippe de Marmier.
Puis voici les bustes de la Révolution, des maires de Besançon, Ordinaire et Melchior Nodier ; avec plus de naturel, les idées nouvelles l’imposaient, ils sont représentés dans « l’héroïsme » de leurs fonctions. La physionomie réfléchie d’Ordinaire, son grand nez aquilin, son sourire ironique se prêtaient volontiers à ce rôle. La coiffure à rouleaux et le costume sont traités avec une simplicité voulue. Il porte l’écharpe distinctive. Ce buste exécuté avec un art sobre et fort, fait honneur à l’artiste.
Melchior Nodier tourne avec vivacité sa tête vers la droite. Le regard perçant, la mobilité et la finesse des traits donnent une acuité particulière à toute sa physionomie. Tout est accent dans ce buste, cheveux flous, draperies plissées, et confère à l’ensemble une vie spontanée. Il appartient déjà au groupe des bustes vivants.
Sans doute en souvenir de Rome où leur amitié était née, Breton préféra pour son ami Wyrsch la représenta-tion à l’antique : la tête dépourvue de sa perruque, le buste nu. Il a un air de fierté qui l’apparente aux bustes nobles, mais qui répondait sans doute plus aux sentiments amicaux du sculpteur qu’à la réalité. Les traits sont énergiquement marqués et la figure construite par larges plans ; le modèle qui était laid, est ici visiblement embelli et ses imperfections très atténuées. Toutefois, le morceau est très intéressant par son style ample et puissant.
Parmi les bustes familiers, le plus expreSsif est certainement celui de l’architecte Nicole. On y retrouve les qualités des meilleurs bustes de l’époque ; vie de la chair par un modelé souple et surtout expression étudiée du regard et du sourire fin et malicieux qui lui confère un caractère intime. L’artiste n’a pas cherché à flatter son modèle, mais l’a transcrit comme il l’aimait et son portrait reflète sa personnalité. Il a posé dans la familiarité d’un entretien ; il porte la perruque à boudins et est revêtu d’une redingote fourrée.
L’avocat Jallout est traité avec une souplesse de modelé remarquable ; chaque touche est restée et l’on voit encore les boulettes de glaise du modeleur affleurer sous l’épiderme. Le regard moqueur, la fine bouche souriante qui creuse des fossettes dans son visage jovial, donne à ce buste une expression extrêmement vivante.
Le buste du Professeur de Droit Seguin de Jallerange, malgré un air de bravoure, manifeste le même désir du sculpteur de saisir sur le vif une attitude ou une expression. Il représente le professeur dans le feu d’un discours ou prêt à la riposte. Il porte la perruque à boucles et à queue ; il est vêtu de la robe à rabat du professeur.
Le Conseiller Doney d’Ornans est également très étudié. Toute sa figure est empreinte de tristesse. L’artiste a souligné les stigmates de fatigue, dans le pli désabusé et accusé de la bouche, les poches sous les yeux. Le regard élevé et lointain donne de la noblesse à cette amertume.
Le portrait du Conseiller aulique Bouthenot transcrit admirablement son intelligence calme et sa volonté contenue. La terre cuite vernissée rend particulièrement bien cette forte figure aux plans nets.
Enfin, réaliste aussi est ce buste du « Vieux Bisontin » dont la ressemblance ne pouvait contenter que ses amis. Le médaillon du docteur Rougnon le représente coiffé d’une perruque et le buste recouvert de sa robe de Professeur de Médecine. La figure, intelligente, énergiquement modelée, s’éclaire d’un sourire.
Et il faut certainement attribuer à Luc Breton le buste de Mirabeau conservé au Musée de Lons-le-Saunier ; c’est un portrait rétrospectif.
Seule effigie de « grand homme », le buste de Cicéron est bien éloigné des bustes classiques que l’on connaît de cet orateur. Breton ne s’est donc pas inspiré d’un modèle romain ; bien qu’il soit vêtu à l’antique, le buste retient plus l’intérêt par l’étude du modèle vivant que Breton fit à son sujet, que par le personnage évoqué. Cependant l’artiste y a joint un certain air de noblesse.
Dans ce genre si répandu à son époque, Luc Breton semble avoir particulièrement réussi, alliant la ressem-blance à l’accent ; s’il cède encore au goût de l’effet, si cher au XVIIe siècle, à la recherche du style, quand il peint les grands seigneurs, il se montre très épris d’individualisme, et par cela, il est bien de son siècle. Dans l’ensemble, les bustes d’hommes prédominent ; ils convenaient mieux au coup de ciseau énergique de Breton, bien qu’il sût à l’occasion montrer sa finesse d’exécution.
À côté de ses ouvrages de statuaire, Luc Breton fit ses preuves dans les travaux de décoration et dans le domaine de l’architecture de jardin. Il avait été à bonne école à Rome, au début de son séjour, et les modèles ne lui manquaient pas.
Dans le château de Champlitte il fut chargé d’aménager « grotte » sous la terrasse du côté des jardins. C’était un thème un peu vieilli déjà, mais qui avait sa raison d’être dans ce château du XVIIe siècle (style Renaissance) rebâti au XVIIIe siècle. Les murs de la grotte étaient revêtus de pierres à refends, deux colonnes à chapiteaux encadraient la porte, à l’intérieur15. D’autre part, sur les rotondes qui terminent les ailes du château, Luc Breton sculpta une frise de feuilles d’acanthes pour rattacher ces bâtiments neufs au style Renaissance de la façade.
À Scey-sur-Saône, au contraire, il put laisser libre cours à son inspiration et sacrifier aux idées néo-classiques déjà répandues en 1775, en élevant le petit « temple grec » de style corinthien dans le parc de Scey-sur-Saône. De proportions élégantes, il a un aspect léger et gracieux. C’était un temple « en ruines » dès son origine, souvenir des paysages d’Hubert Robert, et avant lui, de Panini. Il est difficile, à l’heure présente, de juger de cette première manière, car les outrages du temps se sont ajoutés en nombre aux effets de ruines imaginés par l’artiste. Il est enfin surmonté d’un toit fortement incliné et d’un aspect très régional, mais qui s’accorde assez mal avec le genre antique du monument.
Aucune description ne fait connaître les quatre sphinx qui accompagnaient les statues de Bouchardon en bordure de l’allée d’accès du château. à Rome, les modèles n’avaient pas manqué à Breton pour ne citer que ceux de la villa Borghèse.
Des statues de Balançon, l’inventaire du château ne donne qu’une nomenclature ; statues à l’antique ou allégoriques. Trois sculptures du parc de Jallerange viennent de Balançon. Cette origine est certaine quant au jeune flûteur ; il n’est pas signé ; on peut cependant le rattacher au faire de Breton. Il s’appuie contre un tronc d’arbre que recouvre la peau de bélier qu’il porte en bandoulière. Il tient entre ses deux mains une flûte ; il semble une interprétation du jeune flûteur de la villa Borghèse, mais il tourne la tête à gauche.
Les deux autres statues, Flore et Hercule, viennent-elles bien de Balançon ? En tout cas, elles ne sont pas de Luc Breton, mais s’apparentent au style gracieux, mais un peu mièvre de Jean-Baptiste Bouchardon16. Flore porte des corbeilles de fleurs. Hercule (ou plutôt Bacchus) très mutilé, est accompagné d’enfants. Une restauration permettra sans doute une attribution plus certaine.
À Besançon même, le rôle de décorateur de Breton fut très important, mais il reste encore obscur ou incomplètement connu. Son œuvre capitale dans ce genre fut la Fontaine des Dames, où il incorpora la petite sirène de Lullier dans une composition italienne : elle repose dans une coquille entr’ouverte que soutiennent deux dauphins enlacés. La sirène presse de ses mains ses seins d’où l’eau jaillit. La coquille et les dauphins sont adossés à une niche rectangulaire à fond rustique surmontée d’un écusson aux armes de Besançon. Une guirlande de feuillage enserre la devise Utinam. Dauphins et coquille nous évoquent les fontaines du Bernin. Il existe à Florence une maquette du Cavalier conçue de la même façon que celle de Breton. L’a-t-il connue ? L’ensemble est agréable, bien qu’assez mal adapté aux petites dimensions de la sirène.
Quant aux autres travaux de décoration, sur les façades ou à l’intérieur des hôtels, nous n’avons, pour les juger, que peu de documents.
Le médaillon de Vitruve qui orne le dessus d’une porte dans la maison de l’architecte Bertrand17, est un moulage en plâtre du panneau de bois sculpté. On retrouve, épaissi, le coup de ciseau direct et énergique de Breton.
Des armoiries de l’hôtel de Vezet, détruites à la Révolution, nous connaissons la maquette en terre cuite : « Un écu, surmonté d’une couronne de comte et d’un mortier de président, a pour blason une bande chargée de trois étoiles et accompagnée de deux raisins. Il est entouré des plis d’un manteau de président. » Une autre maquette montre deux blasons surmontés d’un mortier de président au Parlement et accostés de deux amours.
Si l’on veut bien accepter comme plausible l’attribution à Breton des « putti » en stuc qui décoraient la corniche du salon de Mme de Ligniville (hôtel de M. le général de Thuy)18, il faut y voir des réminiscences de décorations italiennes chères à l’artiste comme à sa bienfaitrice.
Enfin, dans l’hôtel Louis XV de M. le comte de Buyer (contigu à l’hôtel de Ligniville), on a la surprise de trouver une cage d’escalier surmontée d’une voûte à caissons de l’époque néo-classique. Sur un palier est une charmante statue d’enfant nu, dont le petit corps musclé et potelé rappelle la science et l’art vigoureux de Breton.
Sans doute eut-il mission d’embellir bien d’autres demeures franc-comtoises. Les hôtels du XVIIIe siècle foisonnent à Besançon et gardent jalousement leurs secrets. Du moins, les quelques témoignages que nous avons pu rassembler, nous permettent-ils d’affirmer l’extrême variété du talent de Luc Breton et son adaptation intelligente.
C’est sur cette idée que nous voulons conclure. De son apprentissage de sculpteur sur bois, il garda le goût de la matière fortement pétrie d’accents, du travail fouillé. Ce lui fut une raison sans doute d’admirer l’art fait de contrastes violents, de saillies vigoureuses, aux difficultés techniques indéniables, qui caractérise Puget et surtout Le Bernin. ll apprit d’eux l’amour de la force, de la fougue et de l’effet et la virtuosité technique.
Les leçons qu’il recueillit à Rome entretinrent la flamme qui alimenta son art. L’obligation où il fut, pendant les premières années, de copier des motifs d’architecture antique, développa ses dons d’observation précise, et obligea son ciseau à une discipline rigoureuse ; la sculpture décorative antique n’eut plus de secret pour lui. C’est là qu’il fit son apprentissage d’architecte décorateur. Plus tard, l’Académie de France devait lui révéler des formules, des recettes, et aussi, une conception particulière de l’œuvre d’art.
Des formules, nous les avons signalées en analysant ses œuvres : compositions centrées, rythme des person-nages ou de leurs draperies, groupement pyramidal, mouvements contrastés, etc... ainsi que les disciplines esthétiques de la Contre-Réforme.
Des recettes : nous lui en connaissons quelques-unes : il commence quelquefois par ébaucher en bas-relief, l’œuvre qu’il veut réaliser en ronde-bosse. Il fit ainsi pour saint Jérôme, pour la Liberté, pour le Monument de Pesmes. Mais le procédé le plus caractéristique est celui qu’il emprunta sans doute à Houdon : pour faire briller les yeux de ses personnages, il laisse en suspension à la paupière supérieure une petite parcelle de glaise, de pierre ou de marbre, où la lumière vient jouer, tache blanche sur le creux ombré des orbites. Il varie ses procédés d’ailleurs : quand il présente l’oeil tourné de biais, il le dessine ; parfois, il le perce en trou de vrille.
Il n’est pas douteux qu’il fut sensible à la réaction néo-classique qui naissait en Italie lors de son séjour. Il fit des efforts pour s’y conformer. Le contact de Houdon lui enseigna mieux qu’un autre la science anato-mique et, d’autre part, l’épurement du style. La première est manifeste dans tous ses ouvrages. Nous avons vu l’importance qu’il lui donna dans son enseignement à l’École des Beaux-Arts. La recherche du style épuré apparaît dans le traitement des draperies, et sa volonté de l’appliquer est frappante quand on compare ses maquettes toujours frissonnantes, nerveuses, à l’œuvre définitive plus apaisée, plus « académique », au modelé plus poli.
De cette formation diverse devait sortir l’œuvre variée de Breton. Dans les plus grandes églises de Besançon, il introduisit l’art de la Contre-Réforme discipliné par les Jésuites, et ses imitateurs le propagèrent. Au XIXe siècle, toutes les églises de Besançon posèrent sur leur autel majeur des anges adorateurs, pastiches de ceux de la Cathédrale. Le modèle se répandit dans la province ; on les trouve à Bolandoz, petit village du Jura, comme à la Collégiale de Dole. À Dole, le sculpteur Besson, conservateur du Musée, en fit une réplique en bois : ses anges badigeonnés de plâtre sont placés sur le tombeau des Carondelet, dans le fond du chœur ; leur race italienne, leur badigeon et leur position peuvent faire commettre à leur endroit des confusions regrettables. La Pietà est vulgarisée en petits modèles en bois recouverts de plâtre eux aussi : on peut en voir à l’église du Sacré-Coeur de Besançon, à la Chapelle des Buis, près de cette ville. Enfin, une réplique du saint Jérôme orne le bureau d’architecture de la Mairie.
D’autre part, il propagea l’art classique en Franche-Comté et l’un des premiers la dota d’exemples précurseurs du style néo-classique : statues antiques, monuments commémoratifs glorieux, temple grec. Il s’adapta aux idées nouvelles et les transcrivit avec son ciseau : sentimentalité à la Rousseau, sensibilité à la Diderot, portraits d’âmes.
Quoique isolé et éloigné des foyers d’art, il a redit le mieux qu’il a pu les échos qu’il avait recueillis et ainsi, a rattaché la Franche-Comté au mouvement d’art contemporain. Alors que les meilleurs sculpteurs de la province, les Rosset, se spécialisaient dans un ou deux genres, crucifix et bustes, et une matière, l’ivoire, Breton s’est intéressé à toutes les formes de son art, architecture décorative, sculpture monumentale, bustes ou simple travail décoratif d’artisanat. Il s’est servi des matériaux les plus divers, le marbre, la pierre, le bronze, le bois, la terre cuite, le plâtre.
Si nous voulons nous risquer à la tâche délicate de le comparer avec les autres sculpteurs de son siècle, nous voyons qu’il prit pour guides, peut-être Bouchardon, certainement Pigalle et Houdon. Sans jamais les atteindre, il leur emprunte bien des caractères ; il a de Bouchardon la solidité, le sérieux et une certaine rusticité ; comme Pigalle, il possède un art complexe, hybride, intermédiaire entre le baroque et le néo-classique, ainsi que le goût de la nature. Cette dernière tendance, cultivée en imitant Houdon, et c’est à lui, nous l’avons vu, qu’il doit son orientation vers la méthode néo-classique.
Certes, jamais il n’eut le souffle de Bouchardon, l’envergure, le rythme de Pigalle, ni son délicieux naturalisme ; jamais il n’eut l’envolée de génie qui fit naître du ciseau de Houdon saint Bruno ou le Voltaire assis. Mais l’admiration qu’il voua à ces maîtres le soutint au-dessus de la moyenne.
Son style ressemble à celui de Laurent Guiard, élève de Bouchardon et son contemporain à l’Académie de France à Rome. Quoique très différent, il vaut bien celui d’Attiret, élève de Pigalle. Il eut plus de puissance que ces deux artistes.
Il nous semble être de la même force que Mouchy, Guillaume II Coustou, Bridan, Vassé, sans avoir leur élégance, peut-être, mais en leur ajoutant la valeur d’une sphère d’activité plus grande. Nous le placerons donc au rang des bons sculpteurs de second ordre du XVIIIe siècle. Certes, il y a parfois dans sa sculpture quelque chose de lourd et de gauche que Paris eût éliminé ; et malgré ses efforts pour satisfaire aux exigences du style contemporain, il resta toujours en deçà des exemples de la capitale. Mais à chaque ouvrage, il apporta le soin d’exécution qu’on n’apprend que dans les grandes écoles, son adresse innée et sa scrupuleuse conscience. S’il ne fut pas un génie inventif, il sut se faire l’apôtre des meilleurs maîtres, les servir avec intelligence, courage et désintéressement, dans l’amour passionné de son art et de son pays.
Notes
1) ↑— Catalogue de vente du baron de Breteuil, 1786.
2) ↑— Renseignements donnés parla. le marquis de Secy.
3) ↑— Inventaires de l’École de dessin. Archives municipales R24. Castan, Histoire et description des Musées de Besançon, p. 151.
4) ↑— Nous citons à la fin de notre étude sur Luc Breton, les ouvrages anonymes mentionnés dans les inventaires de l’École des Beaux-Arts et qui nous paraissent être attribués à Breton.
5) ↑—Callier, Notice sur Luc Breton, bull. Société d’Agriculture, 1800, p. 131 et 132.
6) ↑— E. Male, L’Art religieux de la fin du Moyen-Âge en France, p. 127.
7) ↑— Un peu aussi celle du « Citoyen » de Pigalle.
8) ↑— Modèle du Petit-Palais : H. 0m92 - L. 0m35 ; Moulage : H. 0m95 - L. 0m38. M. Lepauze, ancien conservateur de ce musée, s’intéressait vivement à Luc Breton et a fait mouler plusieurs de ces bustes en 1920. Il a peut-être eu l’occasion de retrouver dans une collection particulière le Saint Sébastien en terre cuite et de l’acheter pour le Petit-Palais ; il y est resté longtemps, dans les réserves, sans attribution d’auteur. Le catalogue de la collection Dutuit porte cette mention : Puget (Pierre, 1490 — S. Sébastien, maquette originale pour la statue en marbre, qui se trouve dans la Chapelle de la famille Carignan, à Gênes - sans signature : H. 0m92 - L. 0m35. Aquis en 1920.
9) ↑— Papiers Gauthier, dossier 29, Archives du Doubs.
10) ↑— Le dessin que nous reproduisons, figure une couronne sur un coussin, mais les pièces d’archives affirment deux Couronne.
11) ↑— Claude Antoine Colombot, élève de Després, fils de Jean Colombot architecte Bisontin.
12) ↑— État de le recette pour la promenade du Grand Chamars à Besançon 1783-4.
13) ↑— Lettre de Luc Breton 17 avril 1786 dans le Journal de Besançon.
14) ↑— Devise de Besançon.
15) ↑— Seuls les chapiteaux affleurent dans cette salle comblée et transformée en cave.
16) ↑—Ce sculpteur avait exécuté en 1733, pour le marquis d’Ormenans, château de Loulans (Haute-Saône}, quatre statues dont une « Flore » et un « Bacchus ». Ces statues auraient-elles été transportées de Loulans à Balançon et de Balançon à Jallerange ?
17) ↑— 122, Grande-Rue. Maison appartenant à M. Rein.
18) ↑—104, Grande-Rue.
Avec l'aimable autorisation de la Société d'Émulation du Doubs,
L'Œuvre de Luc Breton, description et critique, Lucie Cornillot, 1939.