J’ay voulu voyager, à la fin le voyage
M’a fait en ma maison mal content retirer.
En mon estude seul j’ay voulu demeurer,
En fin la solitude a causé mon dommage.
J’ay voulu naviguer, en fin le navigage
Entre vie et trespas m’a fait désesperer.
J’ay voulu pour plaisir la terre labourer,
En fin j’ay mesprisé l’estat du labourage.
J’ay voulu pratiquer la science et les ars,
En fin je n’ay rien sceu ; j’ay couru le hasars
Des combas carnaciers, la guerre ore m’offence :
Ô imbecillité de l’esprit curieus
Qui mescontent de tout, de tout est desireus,
Et douteus n’a de rien parfaite connoissance.
Jean-Baptiste Chassignet,
Besançon, c. 1570 - Gray, c.1630.
Le mépris de la vie et consolation contre la mort, 1594.
Peut-être est-il en effet plus sage de ne pas désirer tout connaître… sans doute… mais l'esprit, si imbécilement curieus, n'est-il pas fait pour s'emplir, parfois ou même à l'insu de son plein gré, d'un joyeux savoir ?
Puisque nous sommes, semble-t-il, irrémédiablement douteus et sans parfaite connoissance, il nous sera assurément profitable, la mémoire du précoce anti-nietzschéen Jean-Baptiste Chassignet dut-elle en souffrir, de porter notre danaïdesque curiosité vers trois nouveaux artistes francs-comtois :
– René Perrot, peintre surtout connu pour ses cartons de tapisseries fleurant bon un revigorant et roboratif paganisme.
– Maurice Morel : abbé, peintre abstrait et vice-versa.
– Alexandre Bertrand, un agent d'assurance aux accents daumieriens et parfois toporiens.
« René Perrot, célèbre et inconnu.
Célèbre grâce à ses tapisseries monumentales qui participent à la rénovation de ce mode de décoration.
Inconnu parce que peintre singulier volontairement clandestin.
Ses grandes tentures de laine, par leur sujet et aussi par leur composition et leur écriture, n'ont pas d'équivalent dans l'immense production de la tapisserie contemporaine. »
George Besson,
Les Lettres Françaises,
28 novembre 1963.
« Je fais de la peinture, comme on dit, par une exigence aussi indispensable à ma vie spirituelle que le sommeil et l’exercice le sont à ma vie physique et qui affecte du reste jusqu’à cette dernière. La peinture mobilise mes diverses forces pour la même fin, mais mieux que n’y parviendrait dans mon genre d’esprit la méditation ignatienne. C’est dire que l’art doit avoir pour moi dans mon ordinaire le même désintéressement, la même disponibilité, la même liberté, mais aussi les mêmes conditions que la contemplation. »
Maurice Morel
Alexandre Bertrand, agent principal des assurances-vie l'Union à Besançon (!), n'a jamais connu d'heure de gloire, mais peut-être tout de même un ou deux quarts d'heure warholien dans sa ville natale… Il fait partie de l'immense cohorte des oubliés que la muse a taquinés un peu et puis a laissés sur le bord du chemin. Pourtant quelques coups de chiffon sur son œuvre lui donnent un lustre dont l'éclat suranné ne laisse pas de surprendre et d'amuser un peu un siècle et demi plus tard.
On lira aussi avec un plaisir non dissimulé ses relations de voyages pas très lointains où se mêlent l'émerveillement, la culture et une certaine naïveté (et aussi un coup de crayon très assuré) d'un bourgeois de province.