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L'ATELIER DU PEINTRE

Allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique et morale


1855. Musée d'Orsay, Paris




Le dossier de « L'Atelier » de Courbet

Hélène Toussaint, Catalogue de l'exposition « Courbet , 30 septembre 1977 - 2 janvier 1978.

 

 

Fiche signalétique

 

Peinture sur toile.

Hauteur: 3,59 m.

Largeur: 5,98 m.

Daté et signé en bas à gauche: .55 G. Courbet. La date et les initiales sont tracées à la peinture brun-rouge, la suite à la peinture noire. Le tableau était

d'abord signé des initiales seules, complétées ultérieurement. Le point brun-rouge suivant le C est encore visible sous le O.

Inventaire n° : RF 2257.

 

 

Historique

 

En se référant à la correspondance de Courbet on déduit que l'Atelier est entrepris à Ornans en octobre 18541.

Le Jury de l'Exposition Universelle de 1855 refuse le tableau. Courbet le présente dans son exposition particulière installée dans un baraquement construit à cet effet à proximité de l'Exposition.

La toile est gardée roulée, puis exposée à deux reprises par Courbet: en 1865, à la Société des Beaux-Arts de Bordeaux ; en 1873, au Cercle Artistique de Vienne (Autriche).

Juliette Courbet, la plus jeune sœur du peintre, hérite de l'Atelier ; elle le met en vente le 9 décembre 1881, à l'Hôtel Drouot (n° 8) ; il est adjugé 21 000 F au marchand de tableaux Haro; à la vente Haro, le 2 avril 1897 (n° 108), il est acquis par M. Victor Desfossés; il est racheté par Mme Desfossés à la vente posthume de son mari, le 26 avril 1899 (n° 20) ; il sert de toile de fond de scène dans le théâtre d'amateur de l'hôtel Desfossés, 6, rue Galilée ; il est cédé par Mme Desfossés au marchand de tableaux Barbazanges, en 1919; le Louvre entre en pourparlers pour l'acheter mais, malgré une large participation des Amis du Louvre, ne dispose pas de la somme demandée, 900 000 F; une souscription publique est ouverte qui est close deux mois plus tard.

L'Atelier entre au Louvre le 13 février 1920.

 

 

Expositions

 

1855, Paris, 7, avenue Montaigne, Exhibition et vente de 40 tableaux et 4 dessins de l'œuvre de M. Gustave Courbet, n° 1 ; 1865, Bordeaux, Société des Beaux-Arts, n° 176 ; 1873, Vienne (Autriche), Cercle Artistique, n° 24 ; 1881, Paris, Foyer du Théâtre de la Gaieté ; 1882, Paris, École des Beaux-Arts, Exposition des œuvres de G. Courbet, n° 3 ; 1919, Paris, Galerie Barbazanges ; 1947, Paris, Orangerie des Tuileries, Cinquantenaire des Amis du Louvre, n° 57 ; 1968-1969, Paris, Petit Palais, Baudelaire, n° 226 ; 1977, Paris, Galeries nationales du Grand Palais, Courbet.

 

 

Indications bibliographiques

 

Les innombrables monographies relatives à Courbet traitent toutes de l'Atelier de même que les ouvrages consacrés au Réalisme. Il est impossible de les citer tous. Nous devons nous limiter à indiquer quelques-uns des écrits, parmi les plus importants, qui étudient spécialement le tableau.

Nous voulons rendre hommage à ces travaux qui enrichissent la connaissance de Courbet par la grande diversité de leurs jugements. Nous renvoyons à eux pour compléter utilement notre analyse et suppléer à sa brièveté sur les plans historique et bibliographique.

 

René Huyghe, Germain Bazin, Hélène Adhémar, Courbet, l'atelier du peintre, Allégorie réelle, 1855, Paris, 1944.

Bert Schug, Gustave Courbet, Das Atelier, Stuttgart, 1962.

Werner Hofmann in Das irdische Paradies, Munich, 1961, réédité en 1976 ; traduit de l'allemand par Ch. Woerler in « Les Amis de Gustave Courbet », bulletin n° 33-34, 1965, pp. 1-8.

Alan Bowness, Courbet's Atelier du peintre, conférence prononcée en 1967 ; éditée en 1972, University of Newcastle upon Tyne.

Linda Nochlin in The invention of the Avant-Garde : France, 1830-80 in "Arts News Annual", vol. XXXIV, 1968, pp. 13-16.

Benedict Nicolson, Courbet, The studio of the painter, Londres, 1973.

Max Kozloff, Courbet's l'Atelier : an interpretation in "Art and Litterature", 3, pp. 17-34.

Pierre Georgel in Les transformations de la peinture vers 1848, 1855, 1863 in « Revue de l'art», n° 27, 1975, pp. 69-72.





Un tableau qui a fait couler beaucoup d'encre

 

Dès le premier regard on peut comprendre que Courbet, en peignant l'Atelier, a exécuté une œuvre chargée d'intentions. Son sous-titre, Allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique et morale, vient corroborer ce sentiment. Il n'est pas surprenant qu'un tel tableau à programme ait suscité une vaste littérature. Nous indiquons les études historiques et critiques, parmi les plus importantes, qui lui ont été vouées. En procédant à leur compilation nous sommes amenés à exprimer certaines observations. Les études historiques, si complètes soient-elles, ont passé sous silence, avec ou sans préméditation, des aspects de l'œuvre qui sont essentiels à sa compréhension. Les études critiques, quant à elles, laissent parfois entrevoir un esprit tendancieux concédant plus de place à la subjectivité qu'à la véracité en usant des convictions socialistes de Courbet pour les développements qui doivent retenir davantage l’attention de l’historien de la critique que celle de l’historien d’art. Essayons de regarder cette immense composition avec un œil neuf, comme si elle venait de nous être révélée, en nous aidant de la description que le peintre, lui- même, a voulu en donner.

 

 

Une explication officielle

 

Il est indispensable de transcrire la lettre que Courbet adresse à Champfleury à une date que les déductions permettent de placer en automne 1854. Pour la première fois ce document est reproduit intégralement.2


Mon cher ami,


« Malgré que je tourne à l'hypocondrie, me voilà lancé dans un immense tableau, 20 pieds de long, 12 de haut, peut-être plus grand que l'Enterrement ce qui fera voir que je ne suis pas encore mort. »

Malgré que je tourne à l'hypocondrie, me voilà lancé dans un immense tableau, 20 pieds de long, 12 de haut, peut-être plus grand que l'Enterrement ce qui fera voir que je ne suis pas encore mort, et le réalisme non plus, puisque réalisme il y a. C'est l'histoire morale et physique de mon atelier, première partie ; ce sont les gens qui me servent, me soutiennent dans mon idée, qui participent à mon action. Ce sont les gens qui vivent de la vie, qui vivent de la mort. C'est la société dans son haut, dans son bas, dans son milieu. En un mot c'est ma manière de voir la société dans ses intérêts et ses passions. C'est le monde qui vient se faire peindre chez moi. Vous voyez ce tableau est sans titre. Je vais tâcher de vous en donner une idée plus exacte en vous le décrivant sèchement. La scène se passe dans mon atelier à Paris. Le tableau est divisé en deux parties. Je suis au milieu peignant. À droite, tous les actionnaires, c'est-à-dire les amis, les travail- leurs les amateurs du monde de l'art. À gauche, l'autre monde de la vie triviale, le peuple, la misère, la pauvreté, la richesse, les exploités, les exploiteurs les gens qui vivent de la mort. Dans le fond, contre la muraille, sont pendus les tableaux du Retour de la foire, les Baigneuses et le tableau que je peins est un tableau d'ânier qui pince le cul à une fille qu'il rencontre et des ânes chargés de sacs dans un paysage avec un moulin. Je vais vous énumérer les personnages en commençant par l'extrême gauche. Au bord de la toile se trouve un juif que j'ai vu en Angleterre traversant l'activité fébrile des rues de Londres en portant religieusement une cassette sur son bras droit et la couvrant de la main gauche il semblait dire « c'est moi qui tient le bout bout ». Il avait une figure d'ivoire, une longue barbe, un turban puis une longue robe noire qui traînait à terre. Derrière lui est un curé d'une figure triomphante avec une trogne rouge. Devant eux est un pauvre vieux tout grelu, un ancien républicain de 93 (ce ministre de l'Intérieur qui, par exemple, avait fait partie de l'Assemblée quand on a condamné à mort Louis XVI, celui qui suivait encore l'an passé les cours de la Sorbonne), homme de 90 ans, une besace à la main, vêtu de vieille toile blanche rapiécée, chapeau brancard, il regarde à ses pieds des défroques romantiques (il fait pitié au juif). Ensuite un chasseur, un faucheur, un Hercule, une queue-rouge, un marchand d'habits-galons, une femme d'ouvrier, un ouvrier, un croque- mort, une tête de mort dans un journal, une Irlandaise allaitant un enfant. un mannequin. L'Irlandaise est encore un produit anglais. J'ai rencontré cette femme dans une rue de Londres, elle avait pour tout vêtement un chapeau en paille noire, un voile vert troué, un châle noir effrangé sous lequel elle portait un enfant nu sous le bras. Le marchand d'habits préside à tout cela, il déploie ses oripeaux à tout ce monde qui prête la plus grande attention, chacun à sa manière. Derrière lui est une guitare, un chapeau à plume au premier plan.


Gustave Courbet, lettre à Champfleury
Dernière page de la lettre de Courbet à Champfleury



Seconde partie. Puis vient la toile sur mon chevalet et moi peignant avec le côté assyrien de la tête. Derrière ma chaise est un modèle de femme nue. Elle est appuyée sur le dossier de ma chaise me regardant peindre un instant ; ses habits sont à terre en avant du tableau, puis un chat blanc près de ma chaise. À la suite de cette femme vient Promayet avec son violon sous le bras comme il est sur le portrait qu'il m'envoie. Par derrière lui est Bruyas, Cuenot, Buchon, Proudhon (je voudrais bien avoir aussi le philosophe Proudhon qui est de notre manière de voir, s'il voulait poser, j'en serais content. Si vous le voyez demandez-lui si je puis compter sur lui). Puis vient votre tour en avant du tableau. Vous êtes assis sur un tabouret, les jambes croisées et un chapeau sur vos genoux. À côté de vous, plus au premier plan encore est une femme du monde avec son mari, habillée en grand luxe. Puis à l'extrême droite, assis sur une table d'une jamhe seulement, est Baudelaire qui lit dans un grand livre à côté de lui est une négresse qui se regarde dans une glace avec beaucoup coquetterie. Au fond du tableau, on aperçoit dans l'embrasure d'une fenétre deux amoureux qui disent des mots d'amour, l'un est assis sur un hamac. Au-dessus de la fenétre de grandes draperies de serge verte. Il y a encore contre le mur quelques plâtres, un rayon sur lequel il y a une fillette, une lampe, des pots, puis des toiles retournées, puis un paravent, puis plus rien qu'un grand mur nu.

Je vous ai fort mal expliqué tout cela, je m'y suis pris au rebours. J'aurais dû commencer par Baudelaire, mais c'est trop long pour recommencer. Vous comprendrez comme vous pourrez. Les gens qui veulent juger aurons [sic] de l'ouvrage. Ils s'en tireront comme ils pourront. Car il y a des gens qui se réveillent la nuit en criant et en hurlant : je veux juger, il faut que je juge ! Figurez-vous, mon cher, qu'ayant ce tableau dans la téte j'ai été surpris par une jaunisse affreuse qui m'a duré plus d'un mois. Moi qui suis toujours pressé quand je me résigne à faire un tableau. Je vous laisse à penser dans quelle inquiétude j'étais. Perdre un mois moi qui n'avais pas un jour à perdre. Enfin, je crois que j'y arriverai, j'ai encore deux jours par personnage, sans compter les accessoires, malgré cela il faut qu'il soit fait. J'enverrai 14 tableaux à l'exposition, presque rien que des nouveaux, exceptés l'Enterrement, les Casseurs de pierres et mon Portrait à la pipe que Bruyas vient de m'acheter 2 000 F. Il m'a acheté aussi la Fileuse, 2 500 F. J'ai eu de la chance, je vais payer ce que je dois et faire face à l'exposition. Je ne sais comment j'aurais fait tout cela, il ne faut jamais désespérer. J'ai un tableau de mœurs de campagne qui est fait de cribleuses de blé qui entre dans la série des Demoiselles de village, tableau étrange aussi. J'ai l'esprit fort triste, l'âme très vide, le foie et le cœur dévorés d'amertume. À Ornans je fréquente un café de braconniers et des gens du Gai Savoir. Je baise une servante. Tout cela ne m'égaye pas. Vous savez que ma femme est mariée, je n'ai plus ni femme, ni enfant. Il paraît que la misère l'a forcée à cette extrémité. C'est ainsi que la société avale son monde. Il y avait 14 ans que nous étions ensemble. Il paraît que Promayet est très malheureux aussi. Tâchez de lui aider à trouver quelque chose. La fierté et l'honnêteté nous tuera tous. Dans ce moment-ci je ne puis rien faire, il faut absolument que je sois en mesure pour l'exposition. Dites à (illisible) que je n'ai pas reçu les toiles. Je vous embrasse de cœur.


Gustave Courbet


Cuenot vous dit bien des choses, mes parents aussi. On parle beaucoup de vous à propos de votre portrait. Bien des choses à Promayet, au père Andler et la mère. Dites à Promayet que j'ai écrit à Bruyas pour la Fileuse et qu'on ne manquera pas de lui envoyer. Dites-lui que Cuenot lui répondra. Je ne vous dis que cela pour ce coup-ci. Écrivez-moi, je vous en dirai encore. Mettez-moi au courant.


Nous apprendrons plus loin que cette lettre est sans doute « fabriquée » pour une parade nécessaire, voire même imposée, mais elle mérite que l'on s'y arrête car, si les mots choisis sont à double entente, ils portent une signification dès le premier degré.

Donc Courbet répartit les individus en deux groupes. Tel saint Michel pesant les âmes, il place à gauche les réprouvés (réprouvés par lui-même ou par la société, nous verrons qu'il est parfois difficile de discerner quelle est sa propre réprobation); il place à droite ceux qui pensent comme lui, ceux qui ont accès à la lumière. En ce qui le concerne il s'installe au centre de ce partage, absorbé par son action de peintre. Il ne joue pas le rôle du dormeur éveillé qui vient restituer son rêve. Parfaitement étranger au monde qui l'entoure, il se détourne des élus et se dissimule des damnés par la toile en chantier. Seul, le braconnier, assis au premier plan, se trouve dans son champ visuel.

Parcourons ce triptyque de gauche à droite en suivant l'ordre établi par la description du peintre. Le premier personnage rencontré est le Juif, accusé de cupidité qui « tient le bon bout ». Que signifie-t-il ? Faut-il entendre ici un son d'antisémitisme ? C'est probable. L'hostilité à l'égard des Juifs se fait sentir dans l'Europe de l'ouest peu avant le milieu du xixe siècle. Il n'est plus question de l'antagonisme des temps passés arguant de prétextes confessionnels mais qui avoue son caractère social. En France, il atteindra son paroxysme au moment de l'Affaire Dreyfus. Alors qu'à la fin du siècle ce néo-antisémitisme trouvera sa plus large audience dans les milieux extrémistes de la droite, il est né au sein du Socialisme. Le fouriériste militant Alphonse Toussenel, éveille les premières haines, en 1845, par un pamphlet d'une incroyable violence, Les Juifs rois de l'époque, réimprimé en 1847, puis plusieurs fois encore. Il y traite les communautés juives de « hordes de lépreux », de « peuple de Satan ». Des familles israélites, souvent pauvres, subissent de graves sévices de la part des révoltés de 1848 en Alsace et en Lorraine3. Courbet est un des amis de Toussenel avec qui il partage la table d'hôtes du Père Laveur. Pourquoi tente-t-il de flétrir la richesse d'un Juif quand les hommes d'argent, les banquiers Bruyas et Mosselman, trouvent place dans la droite du tableau parmi les élus ? Observons que dès 1855, il affiche des sentiments qui ne détonnent pas chez un futur ami de Rochefort.

Une telle attitude est jugée avec défaveur par le Gouvernement qui soutient une autre politique. Le très officiel et opportuniste Robert-Fleury envoie, au moment même, à l'Exposition Universelle, une vaste toile, Pillage d'une maison dans la Judecca de Venise au Moyen Age, où l'on assiste au sac d'une habitation juive. Un noble vieillard, de jeunes mères éplorées sont en proie à la canaille vénitienne peinte avec les hideux visages de tortionnaires du Christ dans une scène de Passion. Ce tableau d'une pieuse imagerie est acheté par l'État pour le Musée du Luxembourg.4

Puis vient le curé, une figure triomphante avec une trogne rouge . Nous avons dit à propos de l'Enterrement à Ornans5 l'attitude sympathisante manifestée par Courbet en 1849 vis-à-vis de la religion et de l'Église. Elle est celle des Socialistes du temps aux yeux de qui le prestige du clergé est encore grandi par le sacrifice de Mgr Affre sur les barricades6. À cette époque sauf chez quelques communistes matérialistes le Socialisme est très largement pénétré de messianisme chrétien 7. C'est commettre une erreur historique que de méconnaître cette circonstance. Dans les sept années qui suivent la Révolution de 1848 on assiste, dans les parties de gauche, à une évolution qui tend vers un rafraîchissement. Nous sommes encore loin, cependant, de l'anticléricalisme outrancier qu'exprimera Courbet, en 1862, en peignant le Retour de la conférence8 montrant des abbés pris d'ébriété ou la toile, délibérément insultante, Les frais du culte ou La mort de Jeannot9 mettant en scène un prêtre dérobant la bourse d'un moribond misérable. Jules Troubat constate ce revirement: ... (chez Courbet) le mysticisme fit place, de longues années après, à des théories philosophiques qui lui venaient de toutes les mains. Son cerveau subissait toutes les influences 10. En 1855, l'ironie incontestable qui empreint la représentation du « curé » de l'Atelier s'adresse davantage au clergé influent qui a soutenu efficacement le Coup d'État de 1851, sa figure est triomphante , qu'à la personne du prêtre lui-même.

Un personnage ambigu apparaît ensuite. Il est le seul, dans cette partie du tableau, dont Courbet ait révélé l'identité par quelques périphrases. Nous nous en réservons l'éclaircissement pour le deuxième volet de notre démonstration ; il y trouvera mieux sa place. Considérons-le, un instant encore, comme le malheureux Républicain de 93, habillé en mendiant, la besace au côté, pour qui l'amertume et la désillusion sont les derniers partages. Il observe avec tristesse les défroques romantiques en les assimilant, sans doute, à ses espoirs déçus. Deux hommes de 93 participent également au rassemblement de l'Enterrement, vêtus d'habits démodés mais encore évocateurs de gloire. Ici la « veste est rapiécée  ; ce ne sont plus que les nippes d'un pauvre hère bafoué par les événements.

Le Républicain est suivi d'un chasseur. Doit-on sa présence à ce qu'il vit de la mort  ? Grand chasseur lui-même, Courbet ne peut se montrer bien sévère à son égard. Il est flanqué d'un personnage non expliqué dont la toque et la barbe ne peuvent indiquer un paysan français comme cela a été suggéré.

La figuration du peuple trivial » est complétée par un faucheur, un Hercule, une queue-rouge, des ouvriers.

En ces années les cultivateurs connaissent des temps difficiles dus à de mauvaises récoltes et à des conjonctures sociales peu aptes à pallier leur malaise. Le mécontentement gronde dans les campagnes. Courbet ne paraît pas s'en soucier. Si ce paysan est là à titre revendicatif, il est bien le seul de tout l'œuvre du peintre. Ses villageois sont des gens heureux, qu'il les montre revenant de la foire, assoupis dans les champs ou auprès d'un rouet. Les quelques toiles qui leur consacre sont des peintures de fête et de détente. Si d'aventure il s'inspire du labeur de la ferme, par exemple dans les Cribleuses de blé11, il peint une forte femme, fière et dressée, qui se joue de son travail, que rien ne saurait abattre. La vision du paysan chez Courbet est une vision romantique s'approchant de celle de George Sand et toute autre que celle d'un Millet. Bien que nous déniions à ce dernier des intentions de manifeste, il est indéniable qu'il souhaite montrer l'effort de l'homme courbé vers la terre ou ployant sous le faix, dont le faciès est parfois abêti, tel celui des Paysans de Balzac. Il est vrai que Courbet, propriétaire terrien, aurait mauvaise grâce à accabler des travailleurs de qui il tient sa fortune.

L'Hercule et la queue-rouge, assis devant le faucheur, sont là pour attester la commisération que le xixe siècle adresse aux saltimbanques. Ils ne sont plus les joyeux bateleurs d'autrefois mais de pauvres paillasses dont le destin n'est que misère et dérision. Ces deux banquistes sont uniques dans l'œuvre de Courbet qui, contrairement à ses contemporains, ne s'intéresse pas au monde du spectacle. Il est vrai que le clinquant des scènes d'Opéra qui séduisent Delacroix ne peuvent le tenter, mais le théâtre de Daumier, vu par un vil réaliste et cruel, n'est pas non plus son fait. Quand par exception Courbet représente des Lutteurs (1853)12 il ne traite pas le sujet comme Daumier (vers 1860)13. Pour lui il s'agit d'un combat, pour Daumier ce sont des gens de cirque vus par un moraliste. Si nous avons appris que Courbet ne dédaigne pas le symbole, nous constatons qu'il redoute aussi bien l'illusion que l'abstraction.

Aux pieds du pitre et de l'Hercule de foire se tient le marchand d'habits-galons. Il subsiste un quiproquo à l'égard de cet homme. Il n'est pas un colporteur offrant sa pacotille, comparable au Lheureux de Madame Bovary, mais un «chand-d'habits-galons» dont le cri retentissait encore dans les rues parisiennes au début de notre siècle. C'est un fripier, son homologue en littérature est le Rémonencq du Cousin Pons. Il propose un vieux tapis et des oripeaux : un dolman aux passementeries dorées gît à son côté. Il « vit de la mort en ce sens qu'il revend à bon prix des loques à des miséreux. Courbet ne tend pas à stigmatiser le commerce mais les louches tractations des bas-fonds. « L'honnête commerçant » est présent dans le tableau, mais dans la partie droite. C'est son ami Cuenot, le chapelier enrichi d'Ornans.


« Ce qui inspire son génie sensuel c'est l'oisiveté, le plaisir, le luxe, la sérénité de la nature. »

Derrière ce groupe, on aperçoit une femme d'ouvrier portant un bébé et un ouvrier les bras croisés, gréviste ou chômeur. Cet «ouvrier» est une des premières images du prolétaire dans la peinture française après les ouvrages de François Bonhommé, alors que la génération succédant à celle de Courbet puisera nombre de thèmes dans l'univers usinier. Si l'on excepte le Rétameur (vers 1845)14 et les Rémouleurs (1848)15 sujets de petits métiers souvent empruntés à cette époque par des artistes plus amateurs de pittoresque, en suiveurs des Hollandais et des Flamands, que soucieux de la condition du travailleur, Courbet ne représente jamais d'ouvrier à la peine hormis les Casseurs de pierres (1849)16. Il écrit à leur propos: Il est rare de rencontrer l'expression plus complète de la misère. (Riat, p. 73.) Le seul témoignage de l'abandon social qu'il découvre est chez cet homme, encore à demi paysan, dont le labeur s'effectue en plein-air à l'écart de toute surveillance contraignante et qui, de nos jours, est devenu l'exemple du bonheur dans une scie populaire : Je suis le cantonnier. Heu - reux ! » Ornans est loin, évidemment, des terrils et des manufactures mais Courbet parcourt les provinces du nord et les faubourgs des villes. Jamais il ne s'arrête à montrer le mineur de fond, le puddleur rôti aux brasiers des hauts-fourneaux, l'enfant-canut des métiers lyonnais. Il ne se préoccupe pas dans son œuvre des damnés de la terre. Il laisse à Daumier qui parle moins haut mais plus sincèrement les wagons de 3e classe et la détresse des taudis. Il faut regretter cette indifférence. Quels tableaux aurait pu donner le peintre d'histoire de l'Enterrement à Ornans ou des Pompiers courant à un incendie17 s'il avait interprété l'épopée industrielle de son temps en peignant la grandeur terrible de sa puissance, de ses misères et de ses abnégations. Mais pour lui le grand air est celui des forêts et des plages et pas celui des corons ; les atmosphères confinées sont celles des alcôves et pas celles des tissages. Si courbet a bien exécuté quelques toiles incontestablement chargées d'intentions, il est exagéré de le qualifier de peintre politiquement engagé. S'il professe des convictions qui se veulent avancées, il ne prend pas sa peinture comme tribune à des revendications sociales. Quand en 1868 il écrit à Bruyas: «J e vais faire à Ornans des tableaux socialistes »18, on perçoit la malice de sa phrase. Ce qui inspire son génie sensuel c'est l'oisiveté, le plaisir, le luxe, la sérénité de la nature.

Devant l'ouvrier est assis le croquemort. On pense devoir sa présence en cette compagnie à sa qualité de fonctionnaire de la mort. Solidement installé, ricanant sournoisement il attend l'heure de la mise en bière.

Affalée au pied du chevalet une pauvresse en guenilles allaite un nourrisson. Courbet la dit Irlandaise. Pourquoi requiert-il Outre-Manche les éléments les plus affligeants de sa démonstration ? La rapacité du possédant, la misère dans son abîme. Il allègue un séjour à Londres qui n'a laissé aucune trace. Ses historiens l'ont nié à l'exception de B. Nicholson19. Reconnaissons qu'un voyage en Angleterre ne constitue pas un tel exploit qu'il faille en informer les gazettes. De plus Courbet va visiter son fils à Dieppe et la traversée n'est pas longue. En tout état de cause la question est secondaire. Nous dirons plus loin ce qu'il faut en penser à propos du Juif et il n'est pas surprenant que le peintre choisisse une Irlandaise pour symboliser la déchéance humaine. C'est parmi le peuple d'Irlande, ravagé par la Famine des pommes de terre, que la seconde partie du xixe siècle puise les exemples les plus percutants de la dégradation sociale. J. Lindsay20 rappelle à ce sujet Les promenades dans Londres publié par Flora Tristan en 1840. Elle y dépeint le dénuement d'une Irlandaise qui semble la description même de la figure de l'Atelier.

Notons que cette épave manque son but d'appel à la pitié par l'exagération même de sa détresse. Le réalisme dans son excès rejoint le romantisme et le romanesque. Plus tard, Courbet pour le mendiant de l'Aumône (1868)21 restituera une sorte de Robert Macaire en peinture qui entraîne le sentiment amusé, voire la pointe d'envie, que fait naître la vue d'un clochard, ce prince de la liberté. Nos peintres ainsi que les peintres britanniques amoindrissent parfois l'effet de leurs manifestes en tombant dans les pièges de l'outrance et dans le mélodrame. C'est le cas pour Jules Breton dans deux grandes toiles détruites que nous ne connaissons plus que par la reproduction, Misère et désespoir (1849) et La Faim (1850)22, qui mettent en scène des miséreux représentés en grandeur naturelle. C'est aussi le cas pour Tassaert dans une échelle plus réduite. En ces temps où le paupérisme est à l'ordre du jour ce sont les Belges qui brossent les images les plus poignantes dans leur retenue. La désespérance émanant de peintures telles que le Matin à Bruxelles (1847) par Joseph Stevens, un des incunables des scènes de genre réalistes en Europe, ou surtout, Le banc des pauvres (1854) de Charles De Groux23 ; savent provoquer une compassion plus véridique.

Derrière le paysage que peint Courbet est pendu un mannequin. Il est cité sans commentaire par l'artiste qui ne se montre pas plus loquace au sujet du crâne à demi enveloppé dans un journal. On aperçoit le premier mot de la manchette qui révèle le titre du Journal des Débats . À la suite de Silvestre les historiens suggèrent que cette nature morte se réfère aux propos du pessimiste Proudhon accusant la presse d'être le cimetière des idées . Quant au mannequin, on lui a attribué, sans doute à tort, une intention de dérision en y comprenant la stigmatisation de l'académisme.

Avant de nous éloigner de la gauche du tableau observons un personnage que Courbet ne mentionne pas dans sa lettre, celui qui est assis en compagnie de chiens. Baptisons-le «Braconnier» en attendant mieux. C'est ainsi que Champfleury le désigne dans sa critique du 2 septembre 1855 (in L'artiste ). Le silence du peintre à son sujet amène les historiens à invoquer un ajout ultérieur. Il l'est en effet, la radiographie en témoigne (cf. infra), mais de peu de temps seulement si l'on se fie à la correspondance de Courbet. Une lettre à Bruyas, de novembre 1854, annonce trente personnages; quelques semaines plus tard le nombre s'élève à trente-trois24. Le compte y est. L'augmentation du nombre des figures doit comprendre aussi l'homme à la toque et (cf. radiographie, infra), le petit paysan, qui ne sont cités ni l'un ni l'autre. Le personnage assis est la clé de la composition formelle du tableau dans cette partie et dans son état actuel. Il ne gêne en rien le Républicain pour voir les défroques romantiques  ; le regard de celui-ci se faufile parfaitement entre l'épaule du braconnier et le dos du marchand d'habits. Enfin, la critique s'y intéresse dès les premiers temps et la caricature par Quillenbois, que nous étudierons plus loin, le reproduit généreusement.

Nous en arrivons à la partie centrale de cette allégorie où préside le peintre lui-même. Il travaille à un paysage de sa Comté natale, ayant abandonné l'idée première du meunier en galante compagnie conduisant des ânes. L'allusion était-elle d'une clarté trop lumineuse et l'anecdote trop grivoise, inutile et déplacée dans le contexte de l'œuvre ? Courbet se représente encadré par un modèle nu et par un jeune enfant. Nous y reviendrons. Passons maintenant à la droite du tableau. Les « amis » y sont réunis.

Nous rencontrons tout d'abord le violoniste Alphonse Promayet, fils de l'organiste d'Ornans, compagnon d'enfance de Courbet qui l'a peint à plusieurs reprises. Nous considérons qu'il est le modèle du Guitarrero (1845)25, regardé jusqu'à aujourd'hui comme un autoportrait; il figure dans l’Après-dinée à Ornans (1849)26 et dans l'Enterrement (1849); il inspire un dessin du Louvre27; son portrait est au Metropolitan Museum de New York.


Courbet à Bruyas : « Vous occupez une place magnifique... Vous êtes triomphant et commandeur. »

Devant Promayet est Alfred Bruyas, fils d'un banquier de Montpellier, lié avec Courbet depuis 1853, année où il pose pour lui la première fois28 ; il est un des héros du chef-d'œuvre, La Rencontre (1854)29. Collectionneur avisé et mécène, Bruyas réunit un des ensembles de peintures de son temps des plus éclectiques qui de nos jours appartient au Musée de sa ville natale. Courbet qui use pour le flatter des plus pesantes louanges lui écrit à propos de l'Atelier : « Vous occupez une place magnifique... Vous êtes triomphant et commandeur. »30

Puis vient un trio serré comprenant Proudhon, Cuenot et Buchon, autres compatriotes de Courbet. Le philosophe socialiste Proudhon habite Paris depuis 1847. Son amitié pour le peintre ne se démentira jamais. Il exerce sur lui une influence bénéfique et à cet égard est mort trop tôt. De plus il lui offre la chaleur de son foyer familial qui est évoqué dans le beau Portrait de Proudhon et ses enfants (1865)31, Urbain Cuenot, autre ami d'enfance, est le fils d'un commerçant d'Ornans. En célibataire fortuné il est associé aux frasques de Courbet, à ses voyages, à ses chasses et très probablement aussi à son activité politique si l'on en juge par des lettres à Buchon en exil. On retrouve ses traits dans l'Après-dinée à Ornans dont il est l'hôte. Ses portraits par Courbet sont à la Pensylvania Academy de Philadelphie et au Musée d'Ornans.

Max Buchon, fils d'un officier, est un ancien camarade de collège du peintre et son lointain cousin. Il est originaire de Salins-du-Jura [sic]. Il s'occupe de littérature et joue un rôle non négligeable dans le mouvement réaliste en collationnant et publiant des contes et des chansons de son pays, mettant ainsi en évidence une tradition paysanne tendant à disparaître. Résolument anti-Bonapartiste, il s'exile après le Coup d'État. En 1855, il vit à Berne où il est l'âme d'un cercle d'opposition au gouvernement impérial. Courbet va le visiter et entretient avec lui une correspondance dont il serait intéressant de connaître la clé. Certaine lettre appartenant au Metropolitan Museum de New York32 dans laquelle Courbet semble établir un palmarès de ses conquêtes féminines, n'est probablement qu'un message cryptique destiné à berner la censure vigilante. Le Musée d'Alger conserve son portrait (avant 1849) il apparaît aussi dans l'Enterrement.

Champfleury est assis trônant. À tout seigneur, tout honneur. L'écrivain sert le peintre comme le peintre sert l'écrivain. Ils s'épaulent mutuellement en une amitié complice qui connaitra des passes difficiles pour, en définitive, sombrer vers 1865. Le Réalisme est leur enfant commun. Champfleury publie des romans, un peu injustement oubliés, qui veulent ambitieusement dépeindre certains aspects de la société. Les demoiselles Tourangeau (1864) mettront en scène la famille Courbet choisie comme « famille type » (!) de la province française. À l'égal de Buchon, son ami, il est un des premiers à se faire le conservateur des traditions populaires et c'est pour cette action qu'il mérite de survivre. On dit qu'il est l'auteur du fameux Manifeste du Réalisme signé par Courbet en exergue à la liste des tableaux qu'il présente, en 1855, dans le pavillon construit spécialement à la porte de l'Exposition Universelle et où est exposé l'Atelier. Son effigie, ici, lui déplaît. Il déplore sa ressemblance avec un Général des Jésuites 33.

L'identité du couple d'amateurs mondains n'est pas révélée par Courbet bien qu'il tienne la place majeure de ce volet du triptyque. Nous nous réservons d'en parler dans la seconde partie de notre analyse ainsi que du petit garçon dessinant non-mentionné dans la lettre à Champfleury. Son auteur observe le même silence pour le couple d'amoureux dont l'homme est assis sur un hamac rouge accroché à la paroi du fond. Ces jeunes gens apportent une bouffée de fraicheur ainsi que les deux enfants dans l'atmosphère un peu étouffante.

Reste Baudelaire qui boude à l'extrême droite de la composition. Une sympathie rapproche Courbet et Baudelaire pendant plusieurs années. En 1855 elle est très attiédie. On conçoit que buveur de bière et « mangeur d'opium » soient peu faits pour s'entendre. Le peintre a déjà exécuté un portrait du poète (1847)34. Il le montre ici, en visite, son chapeau posé sur la table. À son côté on aperçoit l'ombre de Jeanne Duval transparaissant sous le repeint qui la dissimule. Baudelaire entretient avec la mûlatresse une liaison scandée d'orages qui durera toute sa vie. Ne pouvant accepter l'étalage de sa vie privée, il demande que la « Muse noire » disparaisse. La suppression doit intervenir en cours d'exposition car Edouard Houssaye, dans sa critique du 15 avril 1855 (in L'Artiste), écrit en oubliant quelque peu ses notions d'ethnographie : M. Baudelaire accoudé sur une femme de race jaune. L'a-parte de l'écrivain n'est pas un effet du hasard. Courbet sait bien que Baudelaire n'est pas des leurs et se montre hostile au Réalisme, taxé de laudateur du laid. Nous connaissons maintenant le projet d'article, non publié de son vivant, qu'écrit le critique-poète à l'occasion de « l'Exhibition » de Courbet, Puisque Réalisme il y a35. À l'invite de ralliement, il répond: « Je serais d'ailleurs, j'en avertis le parti, un triste cadeau. Je manque totalement de conviction, d'obéissance et de bêtise. » Aragon36, soupçonne que l'on cherche à l'attirer au Socialisme. C'est une méprise. C'est en faveur de croyances d'ordre esthétique que l'avance est formulée. De toute manière, il exprime par son texte son irritation de participer à cette assemblée compromettante au moment même où paraissent les premières Fleurs du Mal dans la Revue des Deux Mondes, Claude Pichois estime qu'il payera sa présence ici lors du procès de ses poèmes en 1857.37

Les toiles annoncées par Courbet, Le Retour de la foire (1850)38 et les Baigneuses (1853)39, n'apparaissent pas dans le tableau. La caricature de Quillenbois les passent déjà sous silence. Ont-elles été supprimées avant l'exposition ou jamais peintes? L'immense paysage mural, difficilement lisible aujourd'hui, est venu sans doute plus tard, peut-être avant l'envoi de la peinture à Bordeaux en 1865, ou à Vienne (Autriche) en 1873. Nous soumettrons quelques hypothèses en étudiant plus loin les modifications révélées par les examens radiographiques.

L'étagère et les objets la garnissant énumérés à Champfleury : lampe, pots, fillette (c'est-à-dire une bouteille), ont également disparu. La lampe, pourtant, apparaît encore dans le dessin du caricaturiste. Seul subsiste maintenant un médaillon de plâtre montrant le profil-perdu d'une femme que nous identifierons plus loin.

caricature de l'atelier de Courbet par Quillenbois, 1855
 Caricature de l'Atelier de Courbet par Quillenbois, L'Illustration, le 21 juillet 1855

 

 

Une caricature révélatrice

 

Dès le Salon de 1851, Courbet excite la verve des caricaturistes. Les charges sont souvent amicales et agents de popularité, celles de Daumier par exemple ; d'autres sont plus malignes40.

Le moment est venu de reproduire la caricature de l'Atelier par l'humoriste Quillenbois (pseudonyme du comte de Sarcus) parue dans L'Illustration, le 21 juillet 1855. Elle est d'un appoint utile à la thèse que nous allons soutenir en soulignant et en complétant certains aspects du tableau.

 

 

Une « Allégorie réelle »

 

Littré enseigne que le mot « Allégorie » signifie: Dire autre chose que ce que l'on paraît que ce que l'on parait dire. C'est une sorte de métaphore continuée, une espèce de discours, d'abord présenté sous un sens propre et qui ne sert de comparaison que pour donner un autre sens qu'on n'exprime point. Nous avons suggéré que la lettre de Courbet à Champfleury est « fabriquée ». On s'aperçoit qu'elle sert à camoufler le vrai sens du tableau et qu'elle est utilisable pour apaiser des inquiétudes, dénier des affirmations périlleuses. Sa physionomie même est suspecte. Sans lieu, ni date, elle témoigne d'une concertation très réfléchie sous un laisser-aller apparent. Peut-être n'en existe-t-il pas qu'un seul exemplaire. Celui que le Louvre possède, incontestablement autographe, est d'une parfaite fraîcheur de conservation, alors que cette missive doit être destinée à circuler et qu'elle circule. Le fait que Baudelaire y puise le titre de son projet d'article, Puisque Réalisme il y a, atteste qu'elle connaît une certaine publicité. À quel besoin Courbet répondrait-il en adressant une lettre fallacieuse à un ami qu'il ne peut tromper. Il faut qu'elle soit promise à une divulgation qui est sa raison d'être.

 

 

« C'est le monde qui vient se faire peindre chez moi »

 

Tachons de percer le mystère et reprenons notre parcours en scrutant, un par un les acteurs de cette monumentale charade. Nous allons constater que sous des déguisements appropriés, Courbet met en scène des hommes individuallisés ou incarnant un groupement nationaliste ou idéologique.

Achille Fould, atelier, Courbet
Achille Fould, caricature de Daumier
 Achille Fould en 1849,
caricature par Daumier.

 

 

Le Juif, Achille Fould (1800-1867)

 

Nous invitons à reconnaître Achille Fould dans ce personnage porteur d'une cassette. Né dans une riche famille israélite, saint-simonien de conviction, banquier avisé de profession, il est Représentant du peuple en 1848. Une amitié le lie à Louis-Napoléon, peut-être à la faveur du saint-simonisme. Le Prince-Président reconnaissant de l'appui pécuniaire que Fould lui apporte au moment de sa campagne électorale, lui offre le Ministère des Finances. Il garde le portefeuille quelque temps sous l'Empire, puis devient Ministre d'Etat. Sa caricature par Daumier (Delteil, n° 1873) montre ce même visage aristocratique, au long nez, aux larges arcades sourcilières. Sa barbe à l'émir y est pourtant moins envahissante mais mieux vaut que le portrait ne soit pas trop criant de ressemblance. L'allusion à la cassette londonienne peut s'expliquer. On sait la participation financière de l'amie anglaise de Louis-Napoléon, Miss Howard, pour son élection. De plus, on a dit que Palmerston y a, lui aussi, prêté une main secourable par l'assistance de la cavalerie de saint George.


Courbet, Louis Veuillot
Courbet, Louis Veuillot
Louis Veuillot par Nadar.
Courbet, Louis Veuillot
Caricature de Gill, c. 1878.

 

 

Le curé , Louis Veuillot (1813-1883)

 

Veuillot, journaliste catholique sera le porte-bannière des ultra-montains. Sa virulence contre les catholiques libéraux lui vaut un blâme de Mgr Sibour, Archevêque de Paris. Il déteste tout ce qui les concerne et notamment l'entourage de Courbet. On se souvient que celui-ci a illustré le second et dernier numéro de la feuille socialo-chrétienne, « Le salut public », rédigée par Baudelaire, Champfleury et Toubin, en 1848. Si on vénère ses vrais opposants, on hait les faux-frères aux opinions parallèles. Veuillot poursuivra toujours le peintre de sa vindicte même quand Courbet aura perdu tout contact avec la religion. Il l'accablera assez lâchement au moment de son procès de Communard vaincu. Il dira: Courbet fait puer le châssis, comme Carpeaux fait puer le marbre. Il se conforme assez docilement aux volontés impériales en ces années. Victor Hugo s'exclame depuis Bruxelles à propos de la presse esclave: ... (les journalistes) écrivent la chaîne au cou, le boulet au pied, le talent entre deux factionnaires, l'indépendance baillonnée, l'honnêteté gardée à vue et Veuillot criant : Je suis libre ! (Napoléon le Petit, 1852). Il attise les sarcasmes des caricaturistes et devient un personnage burlesque de l'époque. Daumier, Cham, Gill le chargent à l'envi. Il est habitué à se reconnaître déguisé en prêtre, en moine, ou encore coiffé d'une auréole ou d'un éteignoir par allusion au bonnet conique surmonté d'un pompon que portent les ecclésiastiques.

 

 


Courbet, Lazare Carnot
Courbet, Lazare Carnot
Courbet, Lazare Carnot
Lazare Carnot en costume
de membre du
Directoire Exécutif, 1796.
Courbet, Lazare Carnot
Lazare Carnot, médaillon de
David d'Angers, musée du Louvre.

 

 

Le Républicain,

Lazare Carnot (1753-1823)

 

Ce personnage est celui pour lequel Courbet livre dans sa lettre des lumières très éclairantes. Le seul Conventionnel qui accéda au rang de Ministre de l'Intérieur fut Lazare Carnot. Néanmoins, le peintre brouille quelque peu la piste car il n'a pas vécu quatrevingt-dix ans. Il le « prolonge » dans sa définition par son fils Hippolyte, Ministre de l'Instruction Publique en 1848, d'où l'allusion à la Sorbonne. Sa figuration est la plus amusante de toute la comédie. Sa veste, en effet, était fort « rapiécée ». Énumérons en peu de mots les avatars de son existence. Militaire de carrière, il adhéra à la Révolution dès 1789. Il était Conventionnel quand on lui décerna le titre d'Organisateur de la Victoire. Il vota la mort de Louis XVI. Membre du Directoire, il fut accusé de collusion avec les Royalistes par les autres Directeurs. Barras le fit arrêter en 1797. Il s'évada et, sous le nom de Jacquier, vécut en Bavière parmi les Émigrés qui le prenaient pour un des leurs41. Ancien protecteur de Bonaparte pendant la Campagne d'Italie il fut rappelé par lui après le 18 brumaire. Il reçut le portefeuille de la Guerre. Puis, il vota contre l'Empire pour se rallier à nouveau à Napoléon Ier au moment des Cent Jours. C'est alors qu'il fut Ministre de l'Intérieur. La Restauration le condamna comme régicide ; il mourut en terre d'exil. Hélas, Courbet ne peut pas prévoir sa dernière conversion post-mortem. Sa dépouille qui subit l'opprobre de la proscription, en Prusse, sera rapatriée en 1885 pour connaître les honneurs du Panthéon. Le peintre fait une plaisanterie sur le chapeau brancard. C'est une coiffure portée Outre-Rhin ; les Émigrés l'empruntaient parfois. Or, en remarque que ce feutre au large bord relevé à la verticale sur la nuque, semble une contre-façon du chapeau de Directeur, relevé en éventail sur le front, si on le pose à l'envers. Oui, le Grand Carnot rapiécait sa veste et retournait son chapeau ! Pourquoi est-il là ? Peut-être à titre de portrait de famille. Son spectre rappelle la fidélité, un peu intermittente, que les « vrais Républicains, ceux de 93 », avaient déjà vouée à « l'Oncle ».

Pour le peindre, Courbet utilise le médaillon posthume sculpté par son ami, David d'Angers.

 

 


Courbet, Emile de Girardin
Courbet, Emile de Girardin
Émile de Girardin, c. 1860.
Ingres, Le Bertin
Ingres, Portrait de M. Bertin, 1832.
Ingres, Le Bertin
MM. Victor Hugo et Émile Girardin
cherchent à élever le prince Louis
sur un pavois,
ça n'est pas très solide !
,
Honoré Daumier,
Sce. Gallica/BNF.

 

 

Le Croque-Mort,

Émile de Girardin (1806-1883)

 

C'est au Portrait de M. Bertin par Ingres43 que Courbet s'est adressé pour la pose de son croque-mort. Bertin, dit l'Ainé, directeur du Journal des Débats, avait été un des journalistes les plus marquants de son temps. Il est resté, cependant, le symbole de la Presse palinodique et gouvernementale. Courbet a pu voir le Portrait exposé au Bazar Bonne-Nouvelle en 1846 ; de plus il est divulgué, la même année par la gravure d'Henriquel-Dupont. Il se trouve présenté, au moment même, à l'Exposition Universelle de 1855.

Nous proposons de reconnaître dans Bertin parodié, le journaliste le plus en vue du moment, Émile de Girardin, malgré des paupières pudiquement baissées, cachant un strabisme convergent. Girardin est le fondateur du journalisme moderne, en créateur des feuilles d'information populaires à prix modique. L'opportunisme est sa caractéristique.

Républicain convaincu, il est pourtant de ceux qui soutiennent l'élection avec habileté. Une caricature fameuse de Daumier le montre hissant Louis-Napoléon sur un pavoi avec l'aide de Victor Hugo (Delteil, n° 1756). Il porte ici des vêtements funèbres, un voile de crèpe à son chapeau, non parce qu'il devient veuf, en ce moment même, de Delphine Gay, mais parce qu'il est l'« assassin » du républicain Armand Carrel, blessé mortellement par lui dans leur duel de 1836. Notons qu'il ne se mêle pas au groupe se serrant derrière le braconnier, il garde ses distances. Son sourire sardonique informe qu'on lui fait confiance et que l'on sait déjà que sa girouette saura virer sans grincer quand le vent tournera44.

 

 


Courbet, Victor Fialin de Persigny
Courbet, Victor Fialin de Persigny
Victor Fialin de Persigny.

 

 

Le marchand d'habits-galons, Persigny (1808-1872)

 

Nous pensons que le marchand d'habits peut être identifié avec celui qui est surnommé le commis-voyageur des Idées napoléoniennes publiées par le Prince en 1839, Persigny. Victor Fialin, dit comte de Persigny, puis duc (pourquoi pas !) débute dans la vie comme hussard. Il est alors royaliste car, pour mener à bien une carrière militaire sous la Restauration, cela ne peut pas nuire. Il se découvre de sincères opinions républicaines pendant la Révolution de 1830 ; mais gagné de vitesse par la Monarchie de juillet, il est mis en congé. Quand les intentions de Louis-Napoléon se dessinent il joue sa carte et gagnera. Il est un des principaux artisans du Coup d'État. Reconnaissant, Napoléon III en fait son Ministre de l'Intérieur. Il est figuré dans l'Atelier offrant sa marchandise. Le dolman, à terre de son côté, évoque son ancienne arme. Courbet dit à son sujet : Il préside à tout cela... tout ce monde qui prête la plus grande attention, chacun à sa manière. Nous allons voir qui sont ces auditeurs attentifs et qui sont ceux qui représentent ce monde.

 

 


Courbet, Hercule, la Turquie

 

 

L'Hercule : la Turquie

 

Nous proposons de reconnaître dans cet Hercule, fort comme un Turc (les jeux de mots les plus simples sont les meilleurs) dont les oreilles sont ornées de pendentifs scintillants en forme de croissants, la Turquie. En 1855, nous sommes en pleine Guerre de Crimée. La France, alliée de l'Angleterre, vole au secours des Turcs contre les Russes. De là le geste de Persigny offrant ses fournitures et l'intérêt du client.

 

 


Courbet, Queue-rouge, la Chine
Pisanello, Asiatique, Sant-Anastasia, Vérone
Pisanello, Asiatique,
Santa-Anastasia, Vérone.
Pisanello, Asiatique, Louvre
Pisanello, Asiatique,
musée du Louvre.

 

 

La Queue-rouge : la Chine

 

En 1849 la France acquiert une concession à Changhai. Le commerce extérieur connaît un élargissement de ses débouchés vers l'Extrême-Orient. Persigny est là proposant sa marchandise. Une queue-rouge est un pitre dont le costume comporte une longue natte de cheveux comme en portent les Chinois. On doit souligner la parenté de cette figure avec celle de l'Asiatique de la fresque par Pisanello de Santa Anastasia de Vérône. Courbet en voit-il une reproduction ou encore, peut-il connaître le dessin préparatoire que le Louvre achète cette même année sous le nom de Léonard de Vinci, déjà reconnu comme une étude d'Oriental ?

 

 


Courbet, Garibaldi, Atelier
Garibaldi, Nadar
Giuseppe Garibaldi,
par Nadar, 1870.
Courbet, chasseur d'Amancey
Gustave Courbet,
Le chasseur Maréchal d'Amancey,
Le Caire, Musée Mahmoud Khalil.





 

 

Le chasseur : l'Italie du Risorgimento

sous les traits de Garibaldi (1807-1882)

 

Observons que cet homme en armes porte le foulard strié de rouge des troupes garibaldiennes. La crosse de son fusil est décorée d'un G. Il semble que ces raisons soient suffisantes pour y trouver une personnification des défenseurs de l'Unité Italienne. On sait le rôle que jouera la France pour son établissement. On n'est pas surpris qu'un de ses combattants tende une oreille attentive aux propos d'un des ministres les plus influents.

Courbet a déjà exécuté un portrait d'où la figure du chasseur est issue. Il est connu sous le nom de Portrait du chasseur Maréchal Amancey (une localité près d'Ornans)45. A-t-il été utilisé pour la similitude de ses traits avec ceux de Garibaldi ? Courbet n'a probablement jamais vu le patriote italien, comme il a pu rencontrer, Mazzini, le fondateur de la Giovine Italia, venu à Paris en 1848 et qui séjourne souvent en Suisse. Mais Mazzini montre un visage plus fin et n'est pas militaire.

Nous voudrions soumettre une suggestion à propos de ce Portrait du chasseur Maréchal qui apparaît au public sous ce nom à l'exposition particulière de Courbet de 1867. Cet homme a-t-il jamais existé ? Le peintre ne s'amuse-t-il pas à un jeu de mots ? Garibaldi ayant été surnommé « Maréchal des chasseurs ».

 

 


Courbet, Lajos Kossuth, Atelier
Lajos Kossuth
Lajos Kossuth,
AugustPrinzhofer, (artist),
Johann Rauh, (lithographer).

 

 

L'homme à la toque :

la Hongrie insurrectionnelle

sous les traits de Kossuth (1802-1894)

 

Courbet ne parle pas de ce personnage dans sa lettre à Champfleury. La radiographie révèle qu'il a pris la place du faucheur, légèrement déplacé vers la droite. Peut-être le peintre l'avait-il oublié et il est nécessaire à sa démonstration. La toque de fourrure n'est pas de celles qui sont en usage dans nos contrées. Elle est évocatrice de l'Europe Centrale et nous proposons de reconnaître ici la personnification de la Hongrie. On sait la répercussion de la Révolution française de 1848 dans ce pays. Là comme ailleurs elle galvanise le sentiment de nationalisme du peuple comme de tous ceux qui sont la domination de l'Autriche et de la Russie. Les patriotes hongrois, sous l'égide de Kossuth, tentent dans un violent sursaut de se libérer de leur asservissement. Ils rencontrent l'échec Mais en 1852, Kossuth conclut un pacte avec la Giovine Italia d'où le geste amical qui unit l'homme à la toque avec le chasseur; à ce pacte viennent s'associer les patriotes polonais. La triple alliance est symbolisée par ces trois hommes blottis côte à côte. Ils mettent leur espoir dans une politique française qui leur viendrait en aide.

 

 


Courbet, Thaddeus Kosciuszko, Atelier
Thaddeus Kosciuszko
Lajos Kossuth,
Pierre Jean David d'Angers (1788–1856).
MET, NYC

 

 

Le faucheur :

la Pologne révoltée

sous les traits de Kosciuszko (1746-1817)

 

Les Français d'aujourd'hui ne se souviennent pas toujours de ce qu'étaient les Faucheurs. Pour un homme de 1855, le terme est sans ambigüité : il désigne les héros polonais de l'insurrection contre les Russes qui, par leur invraisemblable courage, avec un armement rudimentaire, conquièrent l'admiration de l'Europe. Les premiers Faucheurs furent enrégimentés par Kosciuszko et remportèrent la victoire de Raclawice (1794), sur les Russes avec une faux pour seule arme. En 1830 ils ne participèrent pas aux événements mais en 1848 ils sont au premier rang de la révolte. Leurs cohortes comprennent non seulement des paysans mais des ouvriers, des bourgeois, des étudiants.

Pour incarner le Faucheur, Courbet fait appel aux traits de Kosciuzko, mort en 1817, mais demeuré le symbole du patriotisme polonais. On reconnaît le visage glabre, le nez pointu, le menton fin du héros. Ici, encore, il se sert sans doute d'une sculpture de David d'Angers46.

 

 


Courbet, Alexandre Hertzen, Atelier
Herzen Alexander
Alexandre Herzen,
Levitski, 1865.

 

 

L'ouvrier :

le socialisme russe

sous les traits de Hertzen (1812-1870)

 

L'homme qui se croise les bras en se détournant de ses voisins est vêtu d'une houppelande bordée à l'encolure et aux poignets d'un galon vert émeraude. Pas plus ce manteau rappelant les froidures de l'est que cette casquette élargie ne constituent l'habillement d'un français du temps. De plus est-il bien un ouvrier ? Rapprochons ce portrait d'une photographie d'Alexandre Hertzen. Nous retrouvons les mêmes yeux enfoncés, le nez légèrement épaté, la barbiche. Courbet connaît bien le révolutionnaire russe qui travaille avec Proudhon jusqu'en 1851, année où il est expulsé de France par le Prince-Président.

Il se détourne. Malgré une communauté de pensée avec les trois nationalistes précédemment cités il ne peut, pour des raisons de patriotisme se joindre à eux. Pas plus qu'il ne peut manifester de l'intérêt pour les boniments du commis-voyageur représentant d'un pays en guerre contre le sien. Un Russe, même proscrit, ne se dissocie pas de sa patrie. Dès le début de la Guerre de Crimée les relations d'Hertzen et de Proudhon se distendent.

Il est une figure que nous ne savons pas identifier, celle de la « femme d'ouvrier ». Observons qu'elle paraît faire corps avec l'homme en casquette et que pourtant ils sont presque dos à dos. Courbet laisse ainsi supposer que les deux personnages se trouvent dans une situation analogue sans qu'ils soient unis pour autant.

Nous soumettons une hypothèse en suggérant d'y reconnaître la Grèce qui tente de s'allier à la Russie au commencement de la Guerre d'Orient. La France met fin à cette vélléité en occupant le Pirée, en 1854.

Nous ne reviendrons sur la femme misérable personnifiant la cause irlandaise. Courbet nous en a révélé le secret.

Une absence doit être remarquée dans cette assemblée : celle du Socialisme allemand que pourrait incarner Karl Marx. Ceci n'est en rien surprenant. Marx est l'ennemi pour ceux qui gravitent autour de Proudhon. Il traite le sociologue français de petit bourgeois. Il répond à sa Philosophie de la misère (1847) par La misère de la philosophie. Le Socialisme français du milieu du siècle répugne à la doctrine marxiste qui préconise la révolution violente, l'État substitué à l'individu, qui est entachée d'athéisme7.

Courbet, Grèce, Atelier
misère irlandaise

 

Il est une figure que nous ne savons pas identifier, celle de la « femme d'ouvrier ». Observons qu'elle paraît faire corps avec l'homme en casquette et que pourtant ils sont presque dos à dos. Courbet laisse ainsi supposer que les deux personnages se trouvent dans une situation analogue sans qu'ils soient unis pour autant.

Nous soumettons une hypothèse en suggérant d'y reconnaître la Grèce qui tente de s'allier à la Russie au commencement de la Guerre d'Orient. La France met fin à cette vélléité en occupant le Pirée, en 1854.

Nous ne reviendrons sur la femme misérable personnifiant la cause irlandaise. Courbet nous en a révélé le secret.

Une absence doit être remarquée dans cette assemblée : celle du Socialisme allemand que pourrait incarner Karl Marx. Ceci n'est en rien surprenant. Marx est l'ennemi pour ceux qui gravitent autour de Proudhon. Il traite le sociologue français de petit bourgeois. Il répond à sa Philosophie de la misère (1847) par La misère de la philosophie. Le Socialisme français du milieu du siècle répugne à la doctrine marxiste qui préconise la révolution violente, l'État substitué à l'individu, qui est entachée d'athéisme7.

 

 


Courbet, Napoléon III, Atelier
Winterhalter, NapoléonIII
Franz Xaver Winterhalter (1805–1873),
Portrait de Napoleon III,
Musée napoléonien de Rome

 

 

Le Braconnier :

Napoléon III (1802-1894)

 

Arrivons à ce mystérieux personnage, assis au premier plan à gauche dont on a douté qu'il ait été prévu dans la composition originale de l'Allégorie. Courbet ne le cite pas dans sa lettre à Champfleury, de plus les examens radiographiques attestent qu'il vient en surpeint sur le Républicain. De toutes façons, il est introduit très tôt puisque le peintre annonce « trente-trois personnages grands comme nature » à Bruyas bien avant de quitter Ornans pour aller terminer le tableau à Paris (Borel, p. 61). Il est difficile d'imaginer qu'il n'est pas prévu dès le début de la gestation de l'œuvre pour deux raisons. D'abord, il est indispensable sur le plan de la composition dont il est la clé dans cette partie du tableau ; ensuite, il est une des raisons morales de l’Allégorie. Quand, dans sa première lettre à Bruyas, Courbet n'annonce que trente personnages la cause en est qu'il en existe trois auxquels il ne pense que plus tard. Ce sont : l'Homme à la toque qui occupe la place primitive du Faucheur, les radiographies nous l'apprennent, ensuite, les deux enfants, le paysan blond et le petit dessinateur brun. Si Courbet ne parle pas de cette figure c'est sans doute parce qu'il ne sait pas comment la désigner, tout au moins par écrit. L'appellation de Braconnier utilisée par la critique dès 1855 est peut-être soufflée par le peintre lui-même. Le terme comporte trois significations. Il désigne : etymologiquement, celui qui s'occupe des chiens de vènerie, les braques, par extension et abusivement, celui qui chasse hors-saison ou sur les terres d'autrui, argotiquement au xixe siècle, un fêtard, un noceur. Dans toutes ces acceptions il peut convenir à Napoléon III qui porte aux chiens une affection légendaire, que Courbet considère comme ayant confisqué la République à son profit et qui, enfin, détient une solide réputation de joyeux viveur. Le visage de ce Braconnier paraît bien avoir été inspiré par le souverain dont on retrouve l'oeil narquois, la pommette ronde, la moustache effilée et l'impériale, les cheveux sur la tempe. Tous ces traits autorisent l'identification. Mais au moment où le tableau paraît, personne ne peut la révéler sans commettre un crime de lèse-majesté.

On doit se rappeler que tout ce qui se rapporte à l'Empereur et à sa famille est passé au crible impitoyable des Services de Police. À aucune autre époque de son histoire, la France n'a connu une telle contrainte de la censure. Combien de journalistes se sont réveillés en prison pour des allusions non pas séditieuses, même pas partisanes, mais seulement subjectives. La caricature qui prend toutes les libertés aux dépens de Louis-Napoléon sous le Gouvernement Provisoire et sous sa Présidence, doit se taire. On peut constater, bien sûr, que le Ratapoil de Daumier, personnification de l'agent bonapartiste, transforme au fil du temps une silhouette qui s'approche de plus en plus de celle de l'Empereur ; bien sûr les farces les plus lourdes, généralement imprimées à Bruxelles, se colportent sous le manteau mais, dans la caricature politique tolérée le symbole supplée à la charge ouverte. C'est ainsi que la botte est l'emblème significatif de Napoléon III. On voit des Arlequins bottés, des clowns bottés, des ânes bottés, des renards bottés et à la fin de l'Empire, il arrive qu'une botte seule le personnifie47. D'où, sans doute, les somptueuses bottes cuissardes de cet élégant braconnier. Enfin, il faut remarquer la nature morte gisant à ses pieds, ces « défroques romantiques » qui comportent un chapeau à plume, un masque, une guitare, une dague reposant sur un lambeau de tapis rouge et bleu. On y a reconnu les symboles du drame hugolien ou plus modestement de celui du Boulevard du Crime. Mais ce chapeau emplumé est aussi celui que portent les patriotes italiens, Garibaldi en est coiffé. Ce masque convient bien à celui qui s'affilie aux sociétés secrètes. Cette panoplie vient à point pour rappeler au « despote » sa jeunesse de Carbonaro quand il défendait la cause de la République dans les Ventes italiennes.

Observons que le peintre place directement en face de ce braconnier l'épave humaine qui symbolise la misère. N'est-ce pas là une délicate attention destinée à rappeler à l'ancien prisonnier de Ham l'ouvrage le plus célèbre qu'il publie durant sa détention ? De l'extinction du paupérisme (1844). Tout au long de son gouvernement, qu'il soit présidentiel ou impérial, les démocrates ne cessent d'évoquer sournoisement le libelle socialiste qui lui avait rallié un nombre important des adeptes de la gauche.

Quillenbois, quant à lui, ne se risque pas à une représentation trop fidèle. Dans son dessin le visage du braconnier est dissimule par une barbe-tache d'encre. Il le montre renversant du pied un vase d'usage intime. Est-ce une allusion délicate et de bon goût au Coup d'État? Cela témoignerait des opi nions anti-républicaines du caricaturiste ou mieux encore, de son esprit courtisan.

 

 


Courbet, Napoléon III, Atelier
Clesinger, femme piquée par un serpent
Clésinger, Femme piquée par un serpent, Musée d'Orsay

 

 

Les inconnus du monde de l'art

 

Franchissons le portrait si complaisant que Courbet peint de lui-même et passons de l'autre côté du tableau. Nous ne redirons rien des « amis » si abondamment nommés. Il subsiste cependant quelques inconnues à la démonstration.

Par un bel euphémisme Courbet désigne les « amateurs du monde de l'art » comme « une femme du monde et son mari ». On a proposé de reconnaître dans ces visiteurs de marque, M. et Mme Sabatier, hôtes du peintre dans leur château de la Tour de Farges, près de Lunel. Mme Sabatier est la cantatrice Caroline Ungher (1805-1870). Elle et son mari témoignent de l'amitié à Courbet. Ils présentent à ses yeux le triple avantage d'être connaisseurs, socialistes et très riches. Nous ne pouvons accepter cette suggestion. Le rapprochement du Portrait de Caroline Ungher Sabatier par Ricard48 nie tout rapport entre elle et l'élégante représentée dans l'Atelier. Pas plus que ce que l'on voit du « mari » ne s'apparente au Portrait de Francois Sabatier, dessiné par Courbet49. Nous reconnaissons une autre Mme Sabatier, différemment célèbre, celle que le xixe siècle appelle la Présidente et qu'Edmond de Goncourt décrira ainsi, « Cette belle femme à l'antique, un peu canaille, elle me représente une vivandière des faunes » (Journal, 16 avril 1864). On est surpris que l'égérie de Théophile Gautier, Flaubert, Meissonier, Clésinger, et de tant d'autres, n'ait pas été reconnue plus tôt, alors qu'elle a tant de fois servi de modèle. La comparaison du portrait peint ici avec la Femme au chien, qu'elle pose pour Ricard50 et avec son buste par Clésinger51 nous paraît convaincante.

 

Alfred de Mosselman, Alfred De Dreux
Alfred De Dreux,
Alfred de Mosselman (détail),
Musée du Petit-Palais
Courbet, médaillon, Atelier

 

Aglaé Joséphine Savatier, née en 1822 des relations du vicomte d'Abancourt et d'une lingère, estime plus euphonique de se faire appeler Apollonie Sabatier. Elle occupe une place enviée dans la galanterie. Tout le Paris qui pense, écrit, peint, sculpte, fréquente son salon de la rue Frochot, Clésinger l'a immor talisée dans sa statue la Femme piquée par un serpent du Salon de 184751. Son protecteur est Alfred Mosselmann, un belge aristocrate, richissime et très légalement marié par ailleurs. Il est le frère de la baronne Le Hon, femme de l'ambassadeur de Belgique, dont la liaison avec Morny est quasiment conjugale. Mosselman et Mme Sabatier forment un couple semi-officiel. Baudelaire écrivant à Apollonie en 1857, n'omet pas d'adresser des « amitiés à M. Mosselman »52. C'est ce succédané d'époux qui l'accompagne ici, dissimulant son visage pour tenter de sauvegarder un anonymat que tout le monde peut percer. On voit au Petit Palais un Portrait d'Alfred Mosselman par Alfred De Dreux où il est représenté avec sa femme et leurs fils. On y observe le même port de tête, la même coupe de favoris. En réalité, il est blond, mais Courbet est tenu à quelques feintes pour faire face à des accusations gênantes.

Le caricaturiste Quillenbois place une cigarette entre les lèvres de cette femme du monde, il n'est pas abusé, c'est une « femme qui fume ». Silvestre, dans sa critique, fait suivre les mots femme du monde d'un généreux point d'exclamation; lui aussi a compris.

Il est plaisant que le peintre asseye hypocritement Baudelaire dans le dos de la dame de ses pensées. Depuis trois ans celui-ci l'accable de poèmes anonymes dont il ne lui révélera la paternité qu'en 1857, au moment de leurs furtives amours. Elle en sait, bien entendu, l'auteur et les montre à la ronde, Dans À celle qui est trop gaie nous lisons cette strophe :

 

Les retentissantes couleurs

Dont tu parsèmes tes toilettes

Jettent dans l'âme des poètes

L'image d'un ballet de fleurs.

 

où en trouver, mieux qu'ici, une plus belle illustration ?

 

Gustave Courbet, cribleuse de blé, enfant
Émile-Désiré Courbet ?
Les Cribleuses de blé (Nantes)
Courbet, enfant, Atelier
Émile-Désiré Courbet ? L'Atelier




 

Pas une fois le nom de Courbet n'est prononcé dans les « souvenirs » de la belle Présidente53. Jamais il n'est cité dans sa coterie. Les catalogues de ventes des collections Mosselman et Sabatier ne comportent aucune œuvre de Courbet. Pourquoi tient-elle une place d'honneur dans le tableau ? Est-ce une avance du peintre pour participer à ses fameux dîners ? Est-ce une taquinerie ou, au contraire, cherche-t-il à satisfaire quelqu'un ?

Le médaillon de plâtre mérite que l'on s'attarde un instant. Il montre le profil d'une femme qui se retrouve dans plusieurs peintures et dessins par Courbet54. Nous en déduisons la confirmation qu'il est bien celui de Virginie Binet, cette maîtresse aimée et fugitive, à qui le peintre fait allusion dans sa lettre à Champfleury. Son regret est ainsi exprimé de façon touchante, comme aux temps passés, où l'on introduisait l'effigie des disparus dans les portraits collectifs. Virginie est la mère de ce petit garçon, né en 1847, à qui Courbet apprend à peindre. Dans son orgueil paternel il confie: « Je n'ai plus rien à lui enseigner ! »55. Nous proposons de retrouver ce fils dans l'enfant, vautré à terre, grifonnant un bonhomme, non mentionné dans la lettre. Le tableau, ne l'oublions pas, est le résumé de sept années de « l'histoire artistique et morale » de l'atelier de Courbet.

 

 

« Devinera qui pourra »

 

Comment se fait-il que depuis plus de cent-vingt ans que l'Atelier est peint, personne encore ne se soit avisé de ce qu'il représente ? Comment se fait-il que les contemporains n'en soufflent mot ?

Il est plus difficile de répondre à la première interrogation qu'à la seconde. Les contemporains en glosent certainement mais les paroles s'envolent et les écrits, en la circonstance, sont impossibles.

Nous avons dit la servitude de la presse sous le Second Empire: « Le journaliste s'il veut vivre en paix, sans ennemis, sans jaloux, doit s'abstenir de parler des morts, encore moins des vivants et, comme dirait Figaro, de toucher ni à la vie publique, ni à la vie privée, ne parler ni des Cours, ni des tribunaux, ni des pauvres, ni des riches, ni des parvenus, ni des sots… »56

D'aucun ne se risquerait à suggérer noir sur blanc que l'Atelier comporte des images significatives. En outre, le tableau est relativement peu vu du vivant de Courbet. Il ne le remontre pas à son exposition particulière de l'Alma en 1867, alors qu'il présente de nouveau l'Enterrement. Il est exposé à Bordeaux en 1865, puis à Vienne en 1873, mais cela est loin et le « sujet » perd de son intérêt.

Pourtant on lit dans la préface de la vente Courbet de 1881, sous la signature de Castagnary : « L'Atelier du peintre contient tout un côté d'actualité qui nous échappe par la mort de presque tous les assistants. » N'est-ce pas une phrase assez édifiante dans sa discrétion ?

Mais il est un écrit de Courbet beaucoup plus révélateur que l'on n'a pas encore rapproché du tableau. À l'extrême fin de 1854 ou au début de 1855, le peintre demande à son ami Français d'intervenir auprès du Jury de l'Exposition Universelle pour qu'une prolongation du délai de dépôt des œuvres lui soit accordée. Il allègue une jaunisse qui l'a immobilisé deux mois. Sa lettre comporte les mots suivants: « Tu voudrais peut-être savoir le sujet de mon tableau ? C'est si long à expliquer que je veux te le laisser deviner quand tu le verras. C'est l'histoire de mon atelier, ce qui s'y passe moralement et physiquement. C'est passablement mystérieux. Devinera qui pourra ! »57

Enfin, il est sans doute encore une raison à la conspiration du silence qui engloutit dans l'oubli la signification de l'Atelier. Peut-être est-ce la seule vraie. Le tableau est porteur d'un sens ésotérique accessible aux initiés.

 

 




 

 

Atelier = At

 

Malgré la bienveillante collaboration des bibliothécaires et des archivistes de la Bibliothèque Nationale, de la Grande Loge de France et du Grand Orient de France, il nous est impossible, dans l'état actuel des connaissances, de prouver l'appartenance de Courbet à la Franc-Maçonnerie. Ni la date, ni le lieu de son initiation n'ont été découverts. Pourtant, par bien de ses attitudes, par ses écrits et par plusieurs de ses peintures, il laisse entendre qu'il est initié. Nous devons, néanmoins, faire état du témoignage oral du petit-fils d'un ami très intime du peintre. Il nous assure que sa famille a toujours considéré Courbet comme appartenant à la Maçonnerie. Il ne peut pas nous apporter de preuves formelles, son grand-père n'étant pas initié lui-même.

Roger Bonniot58 cite un poème obscur, une « Ode à la lune », de la composition du peintre, qui serait dépourvue de signification si l'on n'y comprenait un symbolisme maçonnique et que cette lune n'est autre qu'une Reine de la nuit. Nous ne considérons pas que l'Autoportrait de 1845 dit le Sculpteur59, par par lequel Courbet se représente tenant en mains les attributs de l'Apprenti-Maçon, le maillet et le ciseau, atteste sûrement son adhésion à l'Ordre. Il peut s'agir d'une rencontre fortuite ou, encore, le peintre peut s'inspirer d'une gravure maçonnique sans en comprendre le sens ou, à l'inverse, l'utiliser sciemment car il s'est avéré que l'occultisme maçonnique exerce son influence sur la pensée romantique, même chez les profanes. La circonstance est fréquente en littérature60. Cette influence peut également pénétrer les arts plastiques ; eux aussi peuvent être marqués par les attraits mystérieux des Sociétés secrètes.

Cependant, au travers de l'Atelier, la question se pose avec plus d'acuité. Le tableau ne peut être lu complètement sans le décryptage d'un symbolisme ésotérique particulièrement riche et savant qui n'est pénétrable que par un initié parfaitement instruit. Pour quelle raison un Franc-Maçon aurait-il dicté à Courbet un symbolisme aussi secret pour une œuvre autobiographique, si le peintre n'était pas directement concerné ? Cela serait incompréhensible.

Cette inconnue chez Courbet n'est pas unique dans l'histoire du xixe siècle. Les auteurs se heurtent à la même difficulté à propos de Balzac, dont on connaît le Portrait en tenue d'initiation, qui a écrit Séraphita (1833), ce conte initiatique que seul un écrivain très informé de la Maçonnerie peut imaginer, et pourtant aucun document ne vient attester son initiation.

Il ne nous appartient pas de déchiffrer intégralement l'Atelier dans sa signification cachée. Roger Cotte accepte d'en donner une explication circonstanciée par ailleurs61, mais il nous paraît d'un intérêt primordial d'indiquer sommairement quelques-uns des symboles contenus. Ils témoignent qu'au-delà des intentions satiriques se rapportant à l'actualité, Courbet introduit une portée morale et intellectuelle qu'il ne faut pas négliger.

Tout d'abord, nous devons rappeler que dans le language maçonnique « Atelier » est synonyme de « Loge ». Or, la peinture ne représente pas l'atelier de l'artiste tel que les mémorialistes le dépeignent. Mais elle peut être comprise comme la figuration allusive d'une Loge par sa composition tripartite dans laquelle on peut reconnaître en face du spectateur le mur de l'Orient (primitivement y était figuré une lampe indispensable que Courbet supprimera par la suite), à droite le mur du Midi comporte la fenêtre par laquelle arrive la lumière, à gauche le mur du Nord, celui qui est occulté dans une Loge, correspond ici à la partie sombre de l'Atelier.

Dans le mobilier essentiel d'une Loge doivent se trouver les deux Colonnes du Temple : la colonne J (Jachin ou Jakin) et la colonne B (Boaz). À ces colonnes est attribué un sexe symbolique. La première est la colonne masculine représentée ici par le Mannequin-Soleil, rouge, couleur de virilité et de résurrection. Cette symbolisation est confirmée par la présence du crâne signifiant le renoncement à la vie profane (dépouillement du « vieil homme »). La colonne B (lettre féminine en hébreu) est personnifiée par le modèle nu. La femme est assimilée à la lune. Ici, elle reçoit la lumière, la réfléchit, mais ne rayonne pas de son propre éclat. Entre ces deux colonnes, se tient un enfant debout. Il relève d'un symbolisme maçonnique élémentaire, il est l'Enfant Alchimique, fruit de l'union du Roi (J) et de la Reine (B). En Maçonnerie, il symbolise au premier degré le Franc-Maçon, enfant de la Veuve, mais sans doute également des notions plus profondes, mal expliquées par les symbolistes modernes. Mozart et ses librettistes semblent lui attribuer la valeur d'un symbole androgyne. Boucher a représenté des enfants sur la gravure utilisée par les Ateliers de la Grande Loge de France comme diplôme, en usage encore de nos jours.

Le chat, que le peintre représente avec son génie d'animalier, dans sa souplesse féline et lascive, apporte le complément indispensable au groupe allégorique composé du mannequin-soleil, de la femme-lune, de l'enfant alchimique, primitivement surmontés de la lampe, au milieu duquel Courbet vient se loger. Sa présence perpétue une très ancienne symbolique qui oppose la « bête », incarnant les appétits charnels, sinon la luxure, à la lumière, symbole de la transcendance. Roger Cotte attire notre attention sur un des plus célèbres exemples de cette symbolique qui est contenu dans le Portrait des Arnolfini par Jan van Eyck (Londres, National Gallery). Le petit chien du premier plan constituant l'antithèse du lustre qui éclaire les époux. Ni ange, ni bête, l'homme se situe au cœur de cet antagonisme.

Soulignons, à cette occasion, que dans l'Atelier aussi, Courbet cède à son goût facétieux. L'amas des vêtements que le modèle a dépouillés, reconstitue par l'arrangement de ses plis un animal fabuleux, tapi au sol, la tête entre les pattes qui nargue le chat. Dans la premier état du tableau le couple des colonnes masculines et féminines trouvait deux contrepoints. D'abord celui de la juxtaposition, sur le mur du fond, de la lampe source de lumière, et du médaillon portant un profil de femme, en l'occurence celui de Virginie Binet, maîtresse de Courbet, répétant par sa forme circulaire le symbolisme lunaire. Par la disparition de la lampe ce contrepoint est détruit, mais il subsiste un autre écho, celui du couple d'amoureux.

Là encore, la femme se détache en pleine lumière sur la masse obscure de l'homme. Ce couple doit retenir notre attention ; sa présence vient corroborer le caractère maçonnique de l'œuvre. L'amour, cette force qui unit les cœurs, assure la solidité de l'édifice maçonnique dont les matériaux sont des êtres vivants retenus uniquement par la profonde affection qu'ils éprouvent les uns pour les autres, il s'agit bien entendu, d'un amour fraternel (Dictionnaire de la Maçonnerie). L'amour fraternel intervenant en maçonnerie à la manière d'un principe vital, générateur d'ordre, d'harmonie et de stabilité... (Oswald Wirth). Or, on s'avise que ce couple d'amoureux d'où émane une tendresse profonde plutôt qu'un sentiment passionné, est composé d'une silhouette sombre dont le visage n'est que suggéré qui est l'homme ; il n'est en fait qu'une entité. La femme, au contraire, est un portrait. Courbet pour incarner la femme de l'amour fraternel, peint le portrait de sa sœur Juliette. Nous reconnaissons ses traits, son visage anguleux, son menton en galoche et déjà, elle est coiffée comme elle le sera vingt ans plus tard pour son Portrait exécuté à la Tour de Peilz62. Ce sont les mêmes cheveux tirés, séparés par une raie médiane, un maigre chignon d'où s'échappent quelques mèches folles. Ce symbolisme est assez beau, qui place l'incarnation de l'amour fraternel devant la fenêtre de manière que la lumière éclairant l'Atelier passe par son intermédiaire.

Le peintre dit que l'Atelier détermine « une phase de sept années ». Ceci nous reporte à 1847 puisque le tableau est entrepris en 1854. Cette date est-elle importante pour lui ? Ou faut-il comprendre, ce qui serait plus vraisemblable, que la durée commence à la Révolution de 1848, l'œuvre étant destinée à l'Exposition de 1855. De toute manière, le nombre 7 est considéré comme bénéfique par les Francs-Maçons (de là l'origine du septennat du Président de la République Française). En choisissant ce nombre et en le soulignant, Courbet rend un nouvel hommage au symbolisme maçonnique.

Courbet écrit à Bruyas en novembre 1854, à propos de l'Atelier : J'intitulerai cela « Première série »…63. Est-ce que par cette phrase obscure, il n'informe pas son ami de son dessein secret ? Les Loges de Première séries ou Loges bleues constituent la série initiale des trois grades symboliques, Apprentis, Compagnons et Maîtres. Le mot « série » est devenu « partie » dans la lettre à Champfleury que nous citons. Est-ce un lapsus calami ou Courbet renonce-t-il à employer un terme incompréhensible par un non-initié ?

S'il est vrai que Courbet veut suggérer une Loge dans son tableau, il ne représente pas une Tenue, c'est-à-dire une réunion de Francs-Maçons car la plupart des participants de la scène de la partie droite du tableau ne sont pas initiés, ou ne le sont pas encore, ou ne le seront jamais. Il n'en va pas de même dans la partie gauche, où la majorité des figurants, tels que nous les avons reconnus, est constituée par des Maçons convaincus. Dans la partie droite, Proudhon est le plus remarquable d'entre-eux. Son initiation à Besançon, en 1847, est demeurée historique par la profondeur des problèmes qu'il a soulevés à cette occasion. Bruyas est représenté, comme dans la Rencontre29 avec les gants blancs portés par les Francs-Maçons durant les Tenues, qu'il tient à la main. Courbet lui écrit à propos de son attitude, «Vous êtes Commandeur »64. Est-ce une allusion à un haut grade dans la Franc-Maçonnerie ? Champfleury, quant à lui, ne sera initié qu'en 1865.

Gustave courbet, L'Atelier, composition

Il est enfin une circonstance qui retient notre attention. Tous les tableaux de Courbet sont composés de la manière la plus simple, apprise au cours de sa formation classique. Ses compositions sont fondées sur deux carrés qui se chevauchent. Pour l'Atelier cette structure traditionnelle est abandonnée. L'architecture de la composition est établie sur dix triangles équilatéraux. On le sait cette figure géométrique est celle que la Maçonnerie considère comme la plus parfaite. Nous suggérons de voir là une intention très concertée.

Pourquoi et quand Courbet supprimet-il la lampe scellée au mur introduite dans la première composition ? Non seulement elle est annoncée dans la lettre à Champfleury, mais la caricature par Quillenbois la reproduit. Aurait-il voulu par cette exclusion, signifier que pour lui la « Lumière » était éteinte ? La vie du peintre est jalonnée de brouilles et de ruptures dues à ses maladresses et ses inconséquences. Courbet se voit-il radié de l'Ordre, à la suite de quoi un voile pudique aurait été jeté sur son ancienne appartenance ? Peut-être après sa condamnation, car si le pardon est intervenu plus tard, la Franc-Maçonnerie ne se montre pas tendre au lendemain de la Commune pour ceux qui y sont engagés. Le Grand Maître Babaud-Laribière promulgue une circulaire le 1er août 1871 où se trouvent ces mots : «... il n'y a aucune solidarité possible entre ses doctrines (de la Franc-Maçonnerie) et celles de la Commune et si quelques hommes indignes du nom de Maçons ont pu tenter de transformer notre bannière pacifique en drapeau de guerre civile, le Grand Orient les répudie comme ayant manqué à leurs devoirs les plus sacrés »65.

Nous pouvons donc constater que Courbet, considéré par beaucoup comme un être inculte, imperméable à toute vie spirituelle, est sans doute plus ouvert qu'on ne le dit à une recherche intellectuelle et morale et qu'il sait manifester des appétits très éloignés de la réalité prosaïque.

 

 




 

 

Que signifie cet apologue…

 

Courbet, en peignant l'Atelier a-t-il fait acte de pessimisme en groupant dans la partie gauche les renégats de la République ? Ou de cynisme en montrant que le meilleur chemin pour parvenir au pouvoir autoritaire est celui qui passe par des voies démocratiques ? Est-ce une œuvre d'espoir ou de désillusion ? Est-ce une bouffonnerie ou une tragédie ? Est-ce l'enfer ou le paradis ? L'homme se veut-il celui de tous les pardons ou de tous les scepticismes ?

Nous lisons dans la lettre à Champfleury: « Les gens qui veulent juger auront de l'ouvrage... Car il y a des gens qui se réveillent la nuit en criant et en hurlant: Je veux juger, il faut que je juge ».

 

 




 

 

« …et qui en est l'auteur » ?

 

Qui est le metteur en scène de ce tableau-vivant, passe-temps favori des mondains de l'époque ? Tous s'accordent à dénier à Courbet la moindre culture, la moindre curiosité intellectuelle. Il ne paraît pas posséder une connaissance suffisante de l'Histoire, ni des contingences politiques pour savoir agencer une machine aussi bien construite. Mais qui en est le mécanicien ?

Champfleury? Nous en doutons. Il semble qu'il aurait trouvé d'autres mots pour sa critique, un pathos assez maladroit dans sa spéciosité, qu'il termine ainsi: « (L'Atelier) gagnera sans doute à être revu plus tranquillement dans d'autres moments »66. Cela laisse prévoir des confidences ultérieures ; elles ne viennent jamais. Quand il reparle de l'œuvre, en 1881, il dit seulement que Courbet « s'y est montré sur la pente fâcheuse de la symbolisation »67. Il apparaît qu'après 1871 ceux qui avaient vécu dans l'intimité du peintre et qui trouvent encore des mots affectueux pour cet homme que les infortunes politiques ont broyé, évitent d'éveiller des souvenirs qui sembleraient dérisoires. Il y a là une pudeur louable à ce silence.

À qui encore pourrait-on attribuer l'invention de l'œuvre ? Toutes les hypothèses sont permises.

On a suggéré que Proudhon est l'initiateur des Pompiers courant à un incendie, première immense satire politique de Courbet17 Peut-on penser à lui pour l'Atelier ? Ses écrits ne permettent pas de supposer qu'il est animé d'un grand sens de l'humour. Ce ne peut être Bruyas. Le ton des lettres du peintre serait autre. Pourquoi ne serait-ce pas, tout simplement les amis d'Ornans qui auraient charmé les soirées un peu uniformes de la petite ville en imaginant une peinture qui, en définitive, est une page historique.

 

 




 

 

Que peut en penser la censure ?

 

Dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne savons rien des réactions provoquées en haut lieu par l'Atelier. Si ce n'est bien sûr, son refus à l'Exposition Universelle. Le silence observé par la critique sur la signification réelle de l'œuvre peut être motivé par la crainte de trop parler mais aussi par la méfiance que doit inspirer le peintre. En l'occurence il a tout de l'agent provocateur. Voilà un homme qui va partout clamant sa réprobation contre l'Empire et qui s'arroge tous les droits. Il agit impunément comme il l'entend. Il obtient de la Préfecture l'autorisation de construire une baraque dans laquelle le tableau est exhibé comme une curiosité. On déduit qu'il est très fort. Ajoutons qu'il est très protégé.

On connaît l'appui que lui apporte directement Morny qui écrit en marge de son dossier de police, « Tapageur mais pas à craindre ». Il est patent que l'Empereur, lui-même, le considère avec une bienveillance amusée. Il est sans doute le premier à rire de la plaisanterie qui, au reste, n'a rien de désobligeant pour lui. La peinture le montre en maître de l'Europe, souverain défenseur des Nationalités et on sait le prix qu'il attache à ce titre. Un peu d'opposition est le charme du pouvoir. De plus il est incontestable que Napoléon III est des monarques les plus sensibles à l'humour que la France ait connus. Il se plaît à cette boutade : « Mais qui est Bonapartiste à la Cour ? Ma femme est légitimiste, mon frère est Orléaniste, moi je suis Socialiste. Ah si il y en a bien un, mais il est idiot ! ».

L'Empereur est sans doute moins choqué que son entourage. Un Nieuwerkerke par exemple. À son propos nous devons rappeler une circonstance qui n'est peut-être pas étrangère à la création de l'Atelier. Nous la connaissons car Courbet en a donné une relation à Bruyas dans une lettre célèbre68. Lettre qui a été datée de 1854 jusqu'à ce que Georges Grimmer, avec bien des raisons, ne la repousse à 185369. Les peintres Chenavard et Français organisent un déjeuner les réunissant avec Courbet autour de Nieuwerkerke. Le Surintendant des Beaux-Arts demande que le peintre d'Ornans cesse de « faire sa mauvaise tête » (se souvient-il des Pompiers ? 17) et qu'il lui soumette l'esquisse d'un grand tableau qui serait l'œuvre majeure de l'Exposition Universelle que l'on prépare. En échange de quoi, le Gouvernement saurait exprimer sa reconnaissance. On imagine comment Courbet reçoit une telle offre. Il n'est pas dit que l'Atelier ne soit justement sa réponse à Nieuwerkerke. Ce serait une raison supplémentaire pour que la toile plaise à l'Empereur souvent impatienté par le Surintendant qui bénéficie des faveurs de sa cousine, la princesse Mathilde.

 

 




 

 

Un titre bien choisi

 

Courbet écrit : « la scène se passe dans mon atelier à Paris ». C'est en 1849 qu'il s'installe rue Hautefeuille. Dans les vestiges de l'ancien Collège des Prémontrés, le libraire-imprimeur Panckouche a aménagé des ateliers de peintres. Celui que loue Courbet, au premier étage, est situé près du portail de l'église désaffectée dans laquelle un café, la Rotonde, vient se loger. Il n'habitera plus d'autre atelier à Paris. C'est là qu'après la Commune, meubles et tableaux seront mis sous scellés, puis saisis à la suite de la condamnation du « Communeux » pour être vendus à l'encan par les Domaines en 1877. Cette partie de la rue Hautefeuille disparaîtra lors du percement du boulevard Saint-Germain.

Schanne décrit l'aménagement de l'atelier dans ses souvenirs70, mais le tableau ne révèle rien du mobilier sommaire dépeint, hormis le hamac. En fait, Courbet donne une représentation abstraite et ne désire pas, comme tant d'artistes l'ont fait au cours des siècles, perpétuer fidèlement le souvenir de son lieu de travail. De même que l'image qu'il offre de lui-même présente un caractère assez artificiel. Il n'est pas dans le feu de l'action mais semble ajouter négligemment une touche à une œuvre déjà terminée. Sa toilette est des plus soignée, alors que tous ses visiteurs déplorent le laisser-aller de ses accoutrements. Lui qui, si souvent se prend pour modèle, ne se montre jamais le pinceau à la main excepté dans un dessin, l'Artiste à son chevalet (1848), où il est en tenue d'intérieur plus que négligée71.

 

Ingres, apothéose d'Homère  Fantin-Latour, Hommage à Delacroix  Fantin-Latour, L'Atelier des Batignolles
Ingres, L'Apothéose d'Homère, musée du Louvre
Fantin-Latour, Hommage à Delacroix, musée d'Orsay
Fantin-Latour, L'Atelier des Batignolles, musée d'Orsay

 

Jeannine Baticle a étudié les diverses variations sur le thème, « l'atelier du peintre », fréquent dans l'histoire de la peinture72. Nous constatons que le tableau de Courbet ne s'apparente à aucune œuvre antérieure véridique. Son caractère symbolique, ses allusions à un monde étranger à l'art, l'écartent de tout rapprochement avec des représentations fidèles du peintre au travail entouré des objets nécessaires à sa tâche. En revanche, sa sincérité et son actualité l'éloignent de la fiction pure. J. Lindsay73 suggère une filiation entre l'Apothéose d'Homère par Ingres74 et l'Atelier en y voyant la transposition réaliste d'un antécédant classique honni. Il est évident qu'il ne s'agit pas ici d'une déification avec tout ce que cela comporte d'emphase et de distanciation. Le spectateur est invité à participer à ce songe. Il lui semble qu'il peut pénétrer de plain-pied dans le tableau et venir s'immobiliser aux côtés de ses protagonistes figurés en grandeur naturelle.

Si l'Atelier est le fruit d'une génération spontanée, il ne connaît pas non plus de descendance immédiate. On ne doit pas l'assimiler aux peintures qui lui succèdent directement d'un caractère tout autre.

Les tableaux de Fantin-Latour, que ce soit l'Hommage à Delacroix (1864)75, dans lequel Baudelaire et Champfleury se retrouvent assis côte à côte, que ce soit l'Atelier des Batignolles (1870)75, où les amis de Manet viennent le regarder peindre, révèlent une atmosphère opposée. Dans ces deux œuvres la sympathie joint les adeptes d'une même doctrine et d'une même esthétique. Dans l'Atelier sont réunis des personnages hétéroclites que tout divise : le rang, la fortune ou l'infortune, la fonction, les obessions, le destin. Aucun lien ne les unit, ils sont juxtaposés.



 

Thomas Couture, Les Romains de la décadencence, musée d'Orsay.
Thomas Couture, Les Romains de la décadencence, musée d'Orsay.

Il est pourtant une œuvre antérieure de quelques années avec laquelle un parallèle peut s'établir par une parenté d'intention, Les Romains de la décadence, apparue au Salon de 1847. Dans cette immense toile Couture, qui s'est représenté en marge de la scène, à gauche de la composition, flétrit des aspects de la société de son temps sous couvert de peinture d'Histoire. Des vers empruntés à Juvénal disent le programme de l'entreprise : «… plus cruel que la guerre, le vice s'est abattu sur Rome et venge l'univers vaincu ». Couture se défend de faire œuvre de censeur politique76, mais les contemporains ne s'y trompent pas et, de plus, notent avec justesse le souci de désacralisation par le Réalisme de personnages et d'un matériel chers à l'école classique. Claude Vignon applaudit, ce ne sont plus des Romains de convention mais « une antiquité vivante »77. Eugène Loudun, au contraire, s'exclame que Couture « a dans l'âme le sentiment de la tourbe révolutionnaire » ; il qualifie de « Socialistes » les deux philosophes qui, isolés dans la partie droite du tableau, condamnent l'orgie78.

Avec l'Atelier un pas est franchi. Courbet, quant à lui, méprise le stratagème ou, tout ou moins, le faux-fuyant par lequel il se faufile serpente à découvert. Mais cherche-t-il à sanctionner ? Ce n'est pas évident. Sa satire est d'un ton dépourvu d'acrimonie et semble davantage le constat d'un état de fait qu'une prise de position catégorique. Il laisse le soin de juger et bien assis dans son indifférence ne fait pas mine de vouloir s'immiscer dans la polémique. Il semble dire « Ainsi va la vie » .

On perçoit dans cette œuvre le chemin parcouru par Courbet depuis l'Enterrement à Ornans dans lequel un village entier est groupé sous l'égide de son maire et de son pasteur dans une union sacrée des classes sociales, des opinions, des croyances, offrant une image de la société qui est celle des aspirations des Quarante-huitards. Le temps a passé et le peintre a mûri. Il amplifie sa démonstration ; le maire s'est métamorphosé en souverain, la bourgade a englobé le monde. Dans ce grâcieux persiflage Courbet témoigne qu'il a accompli un retour sur ses illusions, qu'il est démystifié et a compris une leçon de l'Histoire.

Oui, le titre d'Allégorie réelle est subtilement choisi et comme il est curieux d'observer, que par son équivoque, il présage à des expressions de l'art actuel que Courbet ne peut pas, ne voudrait pas, prophétiser. Pierre Georgel a développé dans son étude de « l'atelier » dans la peinture moderne les intentions d'artistes qui, usant de ce truchement, mêlant trompe-l'œil et abstraction, tendent à jouer les démystificateurs, les négateurs, en créant une sorte « d'anti-épopée sarcastique »72. Les motivations de Courbet ne sont pas celles de nos contemporains, certes, mais reconnaissons qu'il y a là une rencontre inattendue.

 

 




 

 

Sources iconographiques

 

Dans quel genre de peinture faut-il donc classer l'Atelier ? Comme son titre l'indique dans les « Allégories » et dans celles qui constituent un « Hommage ». Le tableau, en effet, est un hommage à Courbet et même un auto-hommage, ce qui est inusité.

L'estampe au xviie siècle est féconde en pages montrant ainsi soit un monarque, soit un seigneur, un artiste ou un savant, au centre d'une composition, accompagné de part et d'autre de groupes de personnages, véridiques ou mythiques, incarnant sa Cour, sa clientèle, ses admirateurs, ses emblèmes et ses attributs. La peinture fait penser à une composition de cette espèce.

 

Lepautre, Hommage à Louis XIV.      Allégorie des ateliers de Clésinger et de Roqueplan
Lepautre, Hommage à Louis XIV, BNF.
Allégorie des ateliers de Clésinger et de Roqueplan, Magasin pittoresque, novembre 1849

 

Nous montrons une gravure par Lepautre, Hommage à Louis XIV, pour concrétiser notre démonstration. En aucune manière, nous ne prétendons qu'elle soit l'exemple choisi malgré tant de points communs. Nous pourrions citer des dizaines de gravures de cette sorte et aucune, sans doute, ne correspondrait exactement à l'Atelier. Ces allégories sont, le plus souvent, des frontispices de livres ou de thèses.

Courbet peut aussi s'inspirer d'une gravure parue dans le Magasin pittoresque, en novembre 1849, qui réunit en une composition allégorique l'atelier de Clésinger et celui de Roqueplan. Mme Sabatier, la Présidente, y est représentée, debout derrière le peintre, dans l'attitude que le modèle nu prend dans le tableau de Courbet.

Plus haut nous avons cité deux figures qui trouvent leur origine chez Pisanello et Ingres, le Chinois et le journaliste. Il s'agit là d'emprunts de forme, pour livrer une clé par association d'idées, et non pas pour leur valeur exemplaire. Le mannequin paraît être la conjugaison de deux œuvres par Ribera, un Christ descendu de la Croix79 et le Martyre de saint Barthélémy qui est gravé. Linda Nochlin80 rapproche l'Irlandaise de deux figures comparables contenues dans des œuvres anglaises, La famine irlandaise (1849-1850) par George Watts81 et les Mendiants irlandais (1850) par Walter Deverell82. Il est peu probable que Courbet ait connaissance de ces peintures. Mais toutes puisent à la même source. L'Irlandaise de Courbet ne s'écarte en rien de la « Paupertas » traditionnelle, telle que les peintres et les sculpteurs la représentent depuis le Moyen Age : une femme affalée, couverte de haillons, allaitant un nourrisson.

L'œuvre personnelle de Courbet lui fournit la plupart des portraits de son tableau. C'est ainsi qu'il se représente lui-même par une réplique de son Autoportrait au col rayé83, peint pour Bruyas en 1854. Ce dernier, dans le livre qu'il consacre à sa collection, reprend pour illustrer le portrait un texte de Silvestre: « Que c'est bien là Courbet !... trop bruyant et rieur, riant à se tordre, riant de rien, riant de tout, même à la procession, riant aux éclats »84. Ces lignes rappelant une jovialité que le peintre ne manifeste pas dans le cas présent, n'ont-elles pas été écrites parce que l'Autoportrait au col rayé est justement évocateur d'une plaisante supercherie ?

 

Wiertz, faim, folie, crime.      Danloux, la pitié      Ribera, Trinité      Ribera, martyre de saint Barthélémy
A. Wiertz, Faim, folie, crime, musée Wientz, Bruxelles / H.-P. Danloux, La Pitié, musée du Louvre / J. de Ribera, La Trinité, musée du Prado / Gravure d'après le Martyre de saint Barthélémy de J. de Ribera

 

Courbet a peint un portrait de la majeure partie des figurants de la droite de l'Atelier qui est fidèlement repris. C'est le cas pour Promayet85, Cuenot86, Buchon87, Champfleury88, Baudelaire89. Pour Bruyas il conjugue deux portraits : celui de la Rencontre29 et un profil exécuté à Montpellier en 185490. Proudhon qui renacle à poser, est peint d'après la lithographie de Charles Bazin.

Vallou de Villeneuve, étude de nu.      Gustave Courbet, l'Atelier, Nu
Vallou de Villeneuve, étude de nu    /    Gustave Courbet, le modèle nu de l'Atelier

 

 

Le modèle nu, debout derrière le peintre, est inspiré par une photographie. Dans une lettre à Bruyas91, Courbet demande qu'il lui renvoie une « photographie de femme nue » utile à son travail. On soupçonne qu'il s'agit d'une photographie par Vallou de Villeneuve bien que la photographie en diffère sensiblement92. Courbet écrit qu'il va exécuter les nus à Paris (la femme et le mannequin) où les modèles sont probablement plus faciles à engager qu'à Ornans.

Courbet écrit à Bruyas93 avoir établi une esquisse préalable à son tableau. Cette esquisse existait encore à Ornans en 1870, dit Léger94. Nous en avons perdu le trace. D'autre part, on voit dans le livre d'Estignard95 la reproduction d'un dessin, en estampe, sans localisation, montrant l'Atelier partiellement exécuté. Est-ce un ouvrage préparatoire ou, au contraire, un souvenir ? Autant de questions auxquelles il est impossible d'apporter une réponse satisfaisante.

 

 




 

 

La place de l'Atelier dans l'œuvre de Courbet

 

L'Atelier est la troisième composition de grandes dimensions que peint Courbet. Il succède à l'Enterrement et aux Pompiers courant à un incendie. À deux autres reprises seulement il couvrira de vastes toiles, pour le Rut du printemps96 et l'Hallali du cerf97. Il est le dernier tableau important qui puisse être qualifié de peinture à thèse.

On a dit que cette œuvre, survenant à mi-course dans la carrière du peintre, marque un tournant. Ce n'est pas exact car il n'y a pas de « tournant » chez lui. Il multiplie des manières auxquelles il revient sans cesse. Il produit simultanément des peintures relevant d'esthétiques différentes : Les demoiselles de village98 et les Pompiers sont exécutés la même année, en 1851 ; Les lévriers du comte de Choiseul99 et Plaisir-Fontaine100 tous deux en 1866. Il n'y a pas de phases chez Courbet, pas d'évolution se développant sur une large courbe, mais une vire-volte constante qui est la raison de l'éternelle jeunesse de son génie. L'Atelier est un condensé de ses diverses tentations qui s'y trouvent juxtaposées. Delacroix reproche au paysage que l'artiste est en train de peindre de « faire amphibologie » que « le ciel à l'air d'un vrai ciel au milieu du tableau »101. Il exprime là une vérité première et dévoile l'intention même du peintre. Le nu, à ce compte, n'est pas mieux incorporé. Dans l'Atelier aucun lien moral ne réunit les personnages qui s'abstraient les uns les autres par leur attitude et leur habillement. Nous ne parlons pas de la mascarade de la partie gauche, mais à droite, Promayet en robe de chambre voisine avec Bruyas en tenue de promenade. De même, les différents éléments de l'œuvre possèdent chacun un traitement qui leur est propre. La prouesse du peintre est d'avoir donné une unité à ce monde hétérogène par des lignes strictes et par une lumière habilement concertée.

Arrêtons-nous un instant sur le mystère des peintures de Courbet qui tient pour beaucoup à leur éclairage. Dans l'Atelier on ne perçoit pas sa source. Il est tantôt clarté diffuse, tantôt zones artificiellement obscures. Nous touchons là un des secrets de Courbet « peintre irréaliste ». Ici, comme dans les Cribleuses de blé, les ombres portées sur le mur du fond, ces hautes bandes qui scandent la paroi, sont plus claires que les ombres propres en un phénomène contre-nature. Ce n'est pas étrange puisque dans l'Atelier nous vivons un rêve. Ce tableau, par sa définition même, concrétise un des aspects les plus prenants, par sa poésie, des œuvres de Courbet qui touchent à l'onirisme. Les songes apportent une succession d'images photographiques et pas un film animé. Courbet dans sa vision stabilise le mouvement. Lui, le peintre le plus puissant de sa génération, un héritier de Gros et de Géricault (il s'en vante) paraît pourtant, dans sa modernité, marquer un recul. Alors qu'il surgit à un moment où s'accélère encore la dynamique recréée par ses grands ancêtres, chez lui le geste et le temps semblent suspendus et l'on mesure la distance qui le sépare à ce titre de Daumier et même de Millet.

C'est à ce caractère de pérénité que l'on doit l'atmosphère paisible qui empreinte l'œuvre de Courbet. Cet homme tonitruant est le peintre du silence. Aux fanfares de Delacroix il oppose une torpeur bienfaisante et cela en dépit de couleurs vives et parfois heurtées, à cause de la parfaite simplification de ses structures. Jamais il n'oubliera sa première formation reçue d'un pâle élève de David, Flajoulot, son maître de Besançon. Les plus réalistes de ses peintures sont toujours organisées par de longues lignes sévères apprises du Classicisme. Tout comme celles que nous montre cet Atelier qui rassemble les ferveurs, les aspirations, le lyrisme de Courbet dans ce magistral hommage qu'il se rend à lui-même, dans ce « tableau le plus surprenant que l'on puisse imaginer »102.

 

 




 

 

Critiques et jugements

 

Dans son ouvrage103, Hélène Adhémar établit une revue très complète de la critique journalistique se rapportant à l'Atelier dès son apparition. Tous les chroniqueurs d'art patentés blâment le tableau à l'unisson. En fait, les brocards visent plus particulièrement le caractère « réaliste » de l'œuvre que son thème bien que l'on accuse le peintre de « tomber dans cette métaphysique et de s'embrouiller dans ces logomachies » (A.J. du Pays, in L'illustration, 28 juillet). Ils condamnent la vulgarité des types appartenant à « un monde de lépreux », de « toutes ces guenilles ramassées par les chiffon niers », disent que « la laideur, l'ignoble, caractérisent la plupart de ces figures », des « monstres échappés de la Cour des Miracles ». On s'exclame : « Comment le peintre a-t-il eu le courage de placer cette vermine près de lui et d'un de ses amis (?) en costume de chasseur ? » (Pays, in L'illustration, 28 juillet 1855).

Certains pourtant, reconnaissent la qualité de la peinture. Charles Perrier découvre « dans ce dernier coup de canon de M. Courbet » des « morceaux grassement et solidement peints » (in L'Artiste, 14 octobre), pendant que Paul Mantz ne tarit pas d'éloges pour la richesse de la couleur : « Il n'y a pas à l'Académie un seul peintre qui sache combiner un tel assortiment de tons » (in Revue française, 1855, II, p. 365).

Mais de toutes ces louanges, celles de Delacroix nous sont les plus précieuses. Ne serait-ce que par leur sincérité et leur désintéressement puisqu'elles sont confiées à son Journal : « 3 août... En sortant je vais voir l'exposition de Courbet qu'il a réduite à dix sous. J'y reste seul près d'une heure et je découvre un chefd'œuvre dans son tableau réfusé ; je ne pouvais m'arracher de cette revue. Il y a des progrès énormes et cependant cela m'a fait admirer son Enterrement... Les plans sont bien entendus, il y a de l'air et des parties d'une exécution considérable : les hanches, les cuisses du modèle et sa gorge ; la femme du devant qui a un châle. La seule faute est que le tableau qu'il peint fait amphibologie : il a l'air d'un « vrai ciel » au milieu du tableau. On a refusé là un des ouvrages les plus singuliers de ce temps ; mais ce n'est pas un gaillard à se décourager pour si peu ».

Plus tard Nadar, sur le ton de la plaisanterie, complimentera Courbet d'avoir écrit une page historique en représentant les hommes de son temps : « Un Amand-Alexis Monteil du xxe siècle te demanderas des notes pour une nouvelle Histoire des Français de toutes les conditions...» (in Journal amusant, 11 décembre 1858). Monteil (1769-1850), bien oublié de nos jours, est encore en pleine vogue à cette époque. Son Histoire vient d'être rééditée avec une préface de Jules Janin.

On peut s'étonner que les biographes de Courbet qui l'ont bien connu, passent l'Atelier sous silence. Francis Wey104, Gros-Kost105, Jules Troubat(voir note 10), n'en disent pas un mot alors qu'ils s'étendent longuement sur des œuvres moins remarquables. Proudhon106, si prolixe pour expliquer les intentions secrètes de peintures qui visiblement ne requièrent pas tant de littérature, écrit seulement: « Il fait un tableau personnel dans son Allégorie réelle qui ne vaut pas mieux que ses Filles de Loth »107. Il est regrettable que le philosophe préfère se taire sur un sujet dont le développement nous eut fort intéressé.

L'Atelier souffre de mauvaises conditions de conservation dès sa réalisation. Il reste roulé de 1855 à 1881, hormis les brefs laps de temps durant lesquels Courbet l'envoie à de lointaines expositions où il subit les hasards de longs voyages. La hâte de l'exécution est également préjudiciable à son comportement. Courbet écrit à Bruyas : « Tout compté j'ai deux jours par personnage »108. On constate aujourd'hui quelques accidents et d'inévitables reprises de restauration. De plus les parties d'ombre se sont foncées.

Malgré ces inconvénients, le tableau demeure une des œuvres maîtresses de l'artiste. Dans cette somme magistrale il se montre parmi les meilleurs portraitistes, paysagistes, peintre animalier et de nature morte, grand ordonnancier. Tous les critiques font appel à propos de cette peinture aux maîtres à qui Courbet demande son métier, Rembrandt, Hals, Vélasquez, Giorgione, Gros sont cités. Pourtant rien ici n'évoque le pastiche. Il est impossible de relever l'influence de tel ou tel maître dans tel ou tel morceau. Tout est création originale.

Dans la salle du Louvre où l'Atelier vient succéder aux Pestiférés de Jaffa (1804), à Eylau (1808) de Gros, au Radeau de la Méduse (1819) de Géricault, aux Massacres de Scio (1824), à Sardanapale (1827), et aux Croisés à Constantinople (1840) de Delacroix, en unissant les accents de son romantisme et de son réalisme à ceux de ces prédécesseurs, il atteste qu'en 1855, la grande peinture d'histoire de Courbet jette des rayons qui n'ont pas moins d'éclat que celle de ses devanciers.




Notes


1) — Lettres à Bruyas, conservées à la Bibliothèque Doucet, Institut d'art, Paris; publiées par Pierre Borel, Genève 1951.

2) — L. a s., appartenant au Musée du Louvre; don de M. et Mme Decloux, petits-enfants de Victor Desfossés, en 1974; no d'inventaire, 89083.

3) Histoire des juifs en France sous la direction de Bernhard Blumenkranz, Toulouse, 1972, p. 312.

4) — Déposé au Musée des Augustins de Toulouse en 1891.

5) — Musée du Louvre – Exposition Courbet, 1977, n° 21.

6) — Pierre Chevallier, Histoire de la Franc-Maçonnerie française, Paris, 1974, 2 vol.; II, p. 334.

7) Histoire générale du Socialisme, sous la direction de Jacques Droz, Paris, 1972, 2 vol.; I, p. 401.

8) — Tableau détruit aux alentours de 1900 par respect pour la religion.

9) — Collection particulière; tableau peint en 1868, exposé au Salon de Gand, la même année.

10) — Jules Troubat, Une amitié à la d'Arthez, Champfleury, Courbet, Max Buchon, Paris, 1900; p. 117.

11) — Musée des Beaux-Arts de Nantes – Exposition Courbet, 1977, no 43.

12) — Musée de Budapest.

13) — Copenhague, Ordrupgaardsamlingen.

14) — Italie, collection particulière.

15) — U.S.A., The Colombus Gallery of Fine Arts.

16) — Autrefois au Musée de Dresde, détruit pendant la Seconde guerre mondiale.

17) — Paris, Musée du Petit Palais – Exposition Courbet, 1977, no 27.

18) Lettres de Gustave Courbet à Alfred Bruyas, publiées par Pierre Borel, Genève, 1951; p. 130.

19) — Benedict Nicolson, Courbet The Studio of the painter, Londres, 1973, p. 31.

20) — Jack Lindsay, Gustave Courbet, his life and art, Londres, 1973, p. 129.

21) — Glasgow, Art Gallery and Museum.

22) — Autrefois au Musée des Beaux-Arts d'Arras, détruit.

23) — Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles.

24) — Borel (op. cit.) pp. 51, 61.

25) — U.S.A., collection particulière.

26) — Musée de Lille – Exposition Courbet, 1977, no 18.

27) — Exposition Courbet, 1977, n° 137.

28) — Montpellier, Musée Fabre, Exposition Courbet, 1977, no 33.

29) — Montpellier, Musée Fabre, Exposition Courbet, 1977, no 36.

30) — Borel (op. cit.), p. 61.

31) — Paris, Musée du Petit Palais, Exposition Courbet, 1977, n° 83.

32) Lettres inédites de Courbet in Les amis de Gustave Courbet, Bulletin n° 4, 1948, p. 22.

33) — Jules Troubat (op. cit.), p. 107.

34) — Montpellier, Musée Fabre – Exposition Courbet, 1977, no 15.

35) — Baudelaire, Œuvres complètes, Texte établi, présenté et annoté par Claude Pichois, Paris, 1976, 2 vol.; II, pp. 57-59.

36) — Louis Aragon, L'exemple de Courbet, Paris, 1952, p. 24.

37) Album Baudelaire, iconographie réunie et commentée par Claude Pichois, Paris, 1974, p. 135.

38) — Besançon, Musée des Beaux-Arts – Exposition Courbet, 1977, n° 42.

39) — Montpellier, Musée Fabre – Exposition Courbet, 1977, no 32.

40) — Charles Léger, Courbet selon les caricatures et les images, Paris, 1920.

41) Mémoires sur Carnot par son fils, Paris, 1863, II, pp. 186-189.

42) — Musée du Louvre, avant 1838.

43) — Musée du Louvre, 1832.

44) — Roger Bellet, Presse et journalisme sous le Second Empire, Paris, 1967, p. 132.

45) — Collection particulière.

46) — Statuette, situation inconnue de nous, un tirage est conservée à la Bibliothèque Polonaise de Paris.

47) — Caricature de Gill in L'Eclipse, 26 décembre 1869.

48) — Montpellier, Musée Fabre.

49) — Montpellier, Musée Fabre – Exposition Courbet, 1977, n° 140.

50) Album Baudelaire (op. cit.), fig. 136.

51) — Musée du Louvre.

52) Album Baudelaire (op. cit.), fig. 216.

53) — André Billy, La Présidente et ses amis, Paris, 1945.

54) Les amants dans la campagne (1845, Musée de Lyon et Petit Palais – Exposition Courbet, 1977, nos 11, 12) ; Femme endormie près d'un ruisseau (1845, Winterthur, Collection Oskar Reinhart et Detroit, Institute of Art); La blonde endormie (1849, coll. part. – Exposition Courbet, 1977, no 20); La liseuse endormie (dessin, Louvre – 1849 – Exposition Courbet, 1977, no 138).

55) — Robert Fernier, Courbet avait un fils in Les amis de Gustave Courbet, Bulletin n° 10, 1951, pp. 1-7.

56) — Le Carillon Stéphanois, 21 octobre 1856 ; cf. Roger Bellet (op. cit.) p. 9.

57) — Publié in L'Art, juillet 1883, p. 44.

58) — Roger Bonniot, Gustave Courbet en Saintonge, Paris, 1973, p. 71.

59) — U.S.A., collection particulière – Exposition Courbet, 1977, no 9.

60) — Auguste Viatte, Les sources occultes du Romantisme, Paris, 1927, réédité en 1969, 2 vol.

61) — À paraître in La Revue du Louvre et des Musées de France.

62) — Musée de Sao Paulo.

63) — Borel (op. cit.), p. 51.

64) — Borel (op. cit.), p. 61.

65) — Chevalier (op. cit.), II, pp. 524-525.

66) Du Réalisme. Lettre à Mme Sand in L'Artiste, 2 septembre 1855; repr. in Champfleury, le Réalisme, textes choisis et présentés par Geneviève et Jean Lacambre, Paris, 1973, p. 177.

67) Les chefs-d'æuvre du Luxembourg, Paris, 1881, p. 116.

68) — Borel (op. cit.), pp. 63-76.

69) Courbet et Chenavard in Les Amis de Gustave Courbet, Bulletin n° 9, 1951, pp. 4-6.

70) Les souvenirs de Schaunard, Paris, 1886, pp. 292293.

71) — Cambridge, U.S.A., Fogg Art Museum, Harvard University; cf. Marie-Thérèse de Forges, Autoportraits de Courbet in La Revue du Louvre et des Musées de France, 1972. n° 6, p. 456 ; id., Autoportraits de Courbet, 6e Dossier du Département des Peintures, Musée du Louvre, 1973 pp. 35-36.

72) — Jeannine Baticle et Pierre Georgel, Les techniques de la peinture. L'atelier, 12° Dossier du Département des peintures, Musée du Louvre, 1976.

73) — Lindsay (op. cit.), p. 130.

74) — Musée du Louvre, 1827.

75) — Musée du Louvre, Galerie du Jeu de Paume.

76) — L.a.s. de juin 1847; vente d'autographes de la collection Benjamin Fillon, 15 juillet 1879.

77) — Exposition Universelle de 1855, p. 209.

78) — Le Salon de 1855, pp. 15-16.

79) — Madrid, Ribera par Elizabeth Du Gué Trapier, New York, 1952, fig. 27.

80) Realism, Harmondsworth, 1971, p. 122, fig. 66, p. 259.

81) — Watts Gallery.

82) — Johannesburg, Art Gallery.

83) — Montpellier, Musée Fabre – Exposition Courbet, 1977, n° 37.

84) — Alfred Bruyas, La galerie Bruyas, Paris, 1876, p. 182.

85) — New York, Metropolitan Museum ; dessin au Louvre – Exposition Courbet, 1977, n° 137.

86) — Philadelphie, The Pensylvania Academy of the Fine Arts; et Ornans, Musée Gustave Courbet.

87) — Alger, Musée des Beaux-Arts. Nous avons dénié que le tableau du Musée Jenish de Vevey, connu comme Portrait de Buchon, soit le sien, cf. Exposition Courbet, Rome-Milan, 1969-1970, n° 29.

88) — Musée du Louvre – Exposition Courbet, 1977, n° 34.

89) — Montpellier, Musée Fabre – Exposition Courbet, 1977, n° 15.

90) — Montpellier, Musée Fabre.

91) — Borel (op. cit.), p. 52.

92) — Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes. Date du dépôt légal, 1853.

93) — Borel (op. cit.), p. 50.

94) — Charles Léger, Courbet, Paris, 1929, p. 172.

95) — Alexandre Estignard, G. Courbet, sa vie et ses œuvres, Besançon, 1897, p. 100.

96) — Musée du Louvre – Exposition Courbet, 1977, no 61.

97) — Besançon, Musée des Beaux-Arts.

98) — New York, Metropolitan Museum.

99) — Saint-Louis, U.S.A., Art Museum – Exposition Courbet, 1977, n° 98.

100) — Musée du Louvre – Exposition Courbet, 1977, n° 97.

101) — Journal, 3 août 1855.

102) — Borel (op. cit.), p. 50.

103) Courbet, l'Atelier du peintre, Allégorie réelle, 1855 par René Huyghe, Germain Bazin, Hélène Jean Adhémar, Paris, 1944.

104) Mémoires inédits de Francis Wey, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes, Manuscrit et fac-similé.

105) Courbet, Souvenirs intimes, Paris, 1880.

106) Du principe de l'art et de sa destination sociale, ouvrage posthume, paru en 1865; nous nous référons à l'édition Marcel Rivière, Paris, 1939, p. 223.

107) — Tableau de jeunesse de Courbet, Japon, collection particulière.

108) — Borel (op. cit.), p. 51.