« Il y a pour moi quelque chose d'essentiel à votre présence et à cette note particulière de votre voix qui me fait l'effet d'une goutte de rosée à la pointe d'une herbe. »
André Breton, lettre à Alice Rahon.
« Son sourire et son expression sont éblouissants, éblouissants d'esprit, d'intelligence, de vie. Ses peintures sont entièrement tirées de mondes souterrains, tandis que ses descriptions du Mexique sont violents de couleurs, de drames et de joies. »
Anaïs Nin, à propos de Alice Rahon,
Journal n° 4, 1944-47.
J'ouvre les écluses des ténèbres
fraîches pareilles aux dents du trèfle
que ce corps se repose
comme n'étant pas le mien
La grande moisson des orages est proche
Coupe les pieds du cheval pour qu'il se ressemble
Coupe les ponts pour mieux sauter
Cherche les larmes boiteuses dans une botte de foin
Corps cassé qui a joué au jeu du volant
Alice Rahon, Sablier Couché (extrait),
frontispice par Joan Miró, Ed. Sagesse, 1938
Il est assez peu probable qu'Alice Rahon ne se soit jamais sentie Franc-Comtoise. Un peu Bretonne peut-être. Un peu plus Mexicaine sans doute. Mais Franc-Comtoise rien n'est moins sûr. Le hasard l’a fait naître ici (Chenecey-Buillon dans le Doubs) plutôt qu’ailleurs (Goulven sa vraie-fausse ville natale dans le Finistère), et il semble tout à fait vain de chercher dans son art comme dans sa vie un attachement particulier à son pays natal. Et puis le sentiment d'appartenance territorial, ou à autre chose d'ailleurs, ne semble que très moyennement soluble dans la pensée surréaliste et il est assez peu probable qu'il ne traversât jamais son esprit.
Son chemin tortueux à travers les méandres de l'art et de la vie la conduisit d'abord des communs d’un modeste hôtel parisien, où son père occupait le non moins modeste poste de valet de chambre, à la fréquentation de Pablo Picasso, qui devint un temps son amant, puis d’André Breton ou encore de Man Ray. Elle se marie avec un peintre, Wolfgang Paalen, part ensuite faire le tour du monde (avec un long séjour en Inde) en compagnie d’une amie, la poétesse Valentine Penrose, et fuit avec son mari l'avancée nazie en Europe en partant pour l'Amérique sans se douter alors que son établissement outre-atlantique serait définitif.
Rencontre avec Frida Kahlo, Diego Rivera, Anaïs Nin… Nombreuses expositions personnelles aux États-Unis, au Mexique, au Canada, à Paris. Alice Rahon prend la nationalité mexicaine en 1946, le Mexique la considère d'ailleurs comme un peintre mexicain. Elle garde toujours une certaine notoriété au Mexique puisque l'Instituto Nacional de Bellas Artes de Mexico lui a consacré une rétrospective en… 2017.
Alice Rahon finit ses jours, en 1987, (presque) parfaitement oubliée du pays qui l’a vue naître, dans une maison de retraite de Mexico.
Alice Rahon
– 1904 : Naît à Chenecey-Buillon dans le Doubs ; enfance et jeunesse passées à Paris. Fréquents séjours à Chenecey-Buillon et à Goulven (Finistère).
– Vers 1931 : Elle rencontre le peintre autrichien Wolfgang Paalen, membre du groupe surréaliste, avec lequel elle se lie. Ils fréquentent ensemble le groupe surréaliste. Man Ray photographie Alice Rahon vers cette époque.
– 1932 : Sur les conseils de Juan Miró le couple Paalen visite les grottes d'Altamira près de Santander où ils découvrent des peintures pariétales de plus de 10 000 ans. Ces peintures marqueront durablement Alice Rahon.
– 1934 : Elle épouse Wolfgang Paalen.
– 1935 : Les Paalen rencontrent Paul Eluard. André Breton invite officiellement Alice Rahon à devenir membre du groupe surréaliste. Elle publie son premier recueil de poèmes À même la terre, aux Éditions Surréalistes. Liaison avec Picasso, qui lui dédie un poème. Paalen menace de se suicider. Elle part en voyage aux Indes avec Valentine Penrose. Les deux femmes se lient d'amitié intime et leurs poèmes se feront écho pendant plusieurs années. Rahon écrit Muttra et d'autres poèmes influencés par l'Inde et la culture hindoue.
– 1936 : Elle dessine pour la mode (Elsa Schiaparelli) et ouvre sa propre boutique de chapeaux qu'elle dessine elle-même.
– 1938 : Publie Sablier couché, plaquette de quelques poèmes aux Éditions Sagesse, avec une gravure de Miró.
– 1939 : Les Paalen émigrent au Mexique, par la côte Ouest des États-Unis et du Canada, où ils admirent et étudient l'art amérindien.
– 1940 : Installés à Mexico (invités par Frida Khalo), les Paalen participent à L'Exposition internationale du surréalisme à la Galeria de Arte mexicano (organisée par Paalen et César Moro, peintre péruvien).
– 1941 : Publie son dernier recueil de poèmes, Noir Animal, aux éditions Dolores La Rue. Désormais, elle se consacre presque entièrement à la peinture, n'écrivant que rarement. Elle adopte le nom d'Alice Rahon.
– 1942 : Elle fonde la revue d'avant-garde d'art et de littérature, Dyn, dont les six numéros paraîtront de 1942 à 1945 et à laquelle Alice Rahon contribuera avec diverses illustrations et quelques textes, dont le remarquable Poème-tableau (Dyn I, 1942), composé d'une gouache, Le Sourire de la Mort (1939) et du petit poème : Le sourire de la mort couché sur le chemin inattendu comme le visage du retour.
– 1944 : Première exposition personnelle à la Galeria del Arte Mexicano.
– Vers 1945 : Divorce. Expositions individuelles : New York, Art of this Century Gallery, Washington DC, Caresse Grosby Gallery, Los Angeles, Stendhal Galleries, Passadena Museum of California Art, Mexico, Galeria de Arte Mexicano. Rencontre avec Anaïs Nin avec qui elle entretiendra une sincère amitié.
– 1946 : Elle acquiert la nationalité mexicaine
– 1947 : Remariage avec Edward Fitzgerald, qui a réalisé des décors pour Buñuel. Ils font ensemble un court métrage de marionnettes, intitulé Le Magicien. Exposition à la Barbara Byrnes Gallery de Los Angeles. Longs séjours à Acapulco dans la maison d'Anaïs Nin.
– 1948 : Exposition à New York à la Willard Gallery
– 1951 : Autoportrait en Alice au pays des merveilles. Expo : New York, Willard Gallery, Mexico, Galeria del Arte Mexicano..
– 1953 : Exposition au San Francisco Art Institute.
– 1954 : Exposition Paintings 1947-1953 à la Paul Kantor Gallery, Los Angeles.
– 1955 : Exposition : New York à la Willard Gallery, unique exposition en France à la galerie La Cour d'Ingres.
– 1956-60 : Expositions à Mexico dans plusieurs galeries. Wolfgang Paalen se suicide en 1959.
– Années 50-60 : Série de tableaux-hommages à ses amis : 1956-1966 La Ballade de Frida Kahlo, 1960 : Le Pays de Paalen, le poème au même titre (1959), paraîtra dans Pleine Marge n° 4, 1986), 1967 : Homme traversé par une rivière/hommage à André Breton.
– Vers 1960 : Rahon et Fitzgerald divorcent.
– Vers 1968-1970 : Elle se retire définitivement dans sa maison de San Angel. Expositions en Floride (1961, Worth Avenue Gallery), Mexico (Galerie Antonio Souza), Mexico, Houston et Beyrouth (1962). Alice Rahon exposera dans de nombreuses galeries mexicaines jusqu'en 1975.
– Vers 1975 : Elle cesse de peindre. Un de ses tous derniers tableaux s'intitule Une géante nommée Solitude.
– 1986 : Grande exposition rétrospective à Mexico au Pallacio de Bellas Artes.
– 1987 : Meurt à Mexico le 3 octobre.
– 1994 : Mexico, Alice Rahon homaje, Galeria Oscar Roman.
– 2017 : Rétrospective Alice Rahon, Juin 2017, INBA - Instituto Nacional de Bellas Artes Mexico / Mexique.
⇒ De Artibus Sequanis, Alice Rahon.
⇒ Nombreuses photos d'Alice Rahon sur le site consacré à Wolfgang Paalen.
⇒ Excellent dossier sur Alice Rahon dans la collection Phares, éditions TFV- Aube Elléouët-Breton, à qui cette courte biographie doit l'essentiel.