« J'aime les biographies. Elles ordonnent les vies. La vie d'un artiste mort est d'une clarté merveilleuse alors qu'il a pu vivre dans une grande confusion, sans conscience de l'ordonnance de son œuvre et de lui-même. Cet amoncellement de désordre qui fait l'ordre d'une vie apparaît dans une biographie avec une clarté décourageante. »
Jean Messagier, Journal, 1969.
« Comme ce savant qui passa sa vie à enlever au caoutchouc sa propriété d'élasticité, il faut se servir des choses par détournement, par surprise et ne pas les employer à ce à quoi elles sont destinées.
C'est alors que la ligne droite peut devenir une courbe.
Un plan, un volume.
L'eau, un solide.
L'or, la rosée.
Le gel, un radis.
Deux fiancés, deux œufs sur le plat.
La Franche-Comté, Bornéo. »
Jean Messagier, Journal, 1979.
« Ce qui m'intéresse c'est le rapport entre le Machu-Picchu et les œufs sur le plat. »
Jean Messagier,
Les Peintres de notre temps, INA, 1978.
Le musée des beaux-arts de Dole présente une rétrospective du peintre montbéliardais Jean Messagier. Cette fois encore on sent l'enthousiasme, l'empathie, l'attachement et l'intelligence mise en œuvre par la direction de ce musée pour présenter aux visiteurs les œuvres d'un artiste régional. Nous avions déjà eu ce sentiment pour de précédentes expositions consacrées à Jules Adler et Auguste Pointelin, il est encore une fois confirmé.
Si l'on ne connaît pas Messagier et son œuvre, terrienne, aqueuse, hénaurme et protéïforme, une des premières impressions qui vient au visiteur de cette rétrospective est la sorte d'adéquation presque troublante entre le physique du peintre et son œuvre et la concordance des temps entre cette dernière et son époque. Tout semble aller de soi comme dans un conte où les histoires sont toujours "plus que crues" malgré (ou grâce à) l'incohérence, le désordre voire l'absurdité des propos. Le physique rabelaisien amuse et rassure, la jovialité des traits, la bonhomie des expressions tout concourt à la joyeuseté, à la fraîcheur qui dissimulent à peine, ce n'est pas un ésotérique, l'attachement de l'artiste à la Nature, aux radis, aux laitues, aux mille-feuilles et aux œufs au plat… Deus sive Natura.
C'est une époque aussi, proche mais déjà lointaine, qui oppose encore le faire au concept et propose une lecture plus poétique que militante et intellectuelle du monde, celui des gelées du matin, de Mister Magoo, de Bornéo et des pâquerettes. Les titres prêtent souvent à sourire, des madeleines un peu surréalistes et gentiment provocantes qui pourraient sans doute fatiguer quelque peu dans une bouche trop intello-chiante mais qui, ici, ravit toujours son monde.
Jean Messagier repose au cimetière de Valentigney dans le Doubs sous l'épitaphe qu'il s'était choisie : "Ci-git Jean Messagier, Docteur ès printemps".
Jean Messagier, Paris, 1920 - Montbéliard, 1999.
13 juillet 1920 : Naissance à Paris. Ses parents sont originaires de Franche-Comté. La Franche-Comté deviendra la région privilégiée de sa création artistique.
1942 : Entre à l'École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. Suit également les cours de poétique de Paul Valéry au Collège de France.
1944 : En 1944, Jean Messagier réalise ses premières gravures et épouse la céramiste Marcelle Baumann qu’il fréquente aux Arts Déco. Ils ont en commun la Franche-Comté, puisque cette dernière est l’une des filles de Walter Baumann, directeur de la chaiserie de Colombier-Fontaine.
1947 : En 1947, Messagier réalise ses premières sculptures, voyage en Italie et Algérie. Sa première exposition personnelle a lieu à la galerie Arc-en-Ciel, Paris.
1952 : Rencontre le critique Charles Estienne qui l'invite à participer à l'exposition Peintres de la nouvelle école de Paris. Aménagement du nouvel atelier du Moulin, précédemment dans la pièce du haut de l’ancien moulin puis définitivement dans un bâtiment en bois indépendant. Messagier est membre fondateur du Salon d’Octobre qui se réunira deux fois, en 1952 et en 1953.
1953-54 : Les années 1953 et 1954 "marquent un tournant décisif dans l'itinéraire de Messagier", selon Bruno-Pascal Lajoinie, "les formes allusives et en état de dissolution qu'il affectionnait jusque-là font place à de vastes étendues indéterminées, le plus souvent monochromes, où se lit l'attachement indéfectible qu'il porte à la nature, à l'air et à la lumière.
1955 : Exposition personnelle au cercle Volney où il rencontre Jacques Putman qui lui présentera Bram Van Velde.
1958 : Exposition Messagier, Alechinsky, Bram Van Velde à la galerie Michel Warren, Paris.
1960 : Exposition à New York organisée par Michel Warren.
1962 : En 1962, Pierre Alechinsky et Jean Messagier, qui se connaissent depuis 1953, réalisent une toile à 4 mains rehaussée de phrases du critique Charles Estienne. Il représente la France à la Biennale de Venise aux côtés de Alfred Manessier, Serge Poliakoff, André Marfaing et James Guitet.
1965 : Il est l'un des cinq peintres représentant la France à la biennale de São Paulo.
1968 : Refuse une rétrospective au musée de Grenoble en signe de solidarité avec les événements de mai. Mai 1968 introduit une nouvelle rupture dans son œuvre, il revient partiellement à la représentation.
1969-77 : Il participe aux carnavals de Montbéliard, il invente le ZNUP, architecture de thermoformages investie par les habitants de la ZUP de la Petite Hollande de Montbéliard. Pétiton contre la pollution du Doubs. Il contribue grandement aux « fêtes du futur » de la Saline royale d'Arc-et-Senans durant les années 1970 et propose au Grand Palais à Paris en 1972 lors du festival d'automne son Grand palais des conversations de framboises et des collines respirantes.
1979 : salle permanente Messagier maintenant II au musée de Montbéliard.
1997 : Œuvre gravée et lithographiée, musée de Gravelines. Jean Messagier ou le réalisme éclaté, musée Courbet, Ornans.
1999 : Jean Messagier meurt le 10 septembre 1999 à Montbéliard.
2019 : Tous les sexes du printemps Jean Messagier (1920-1999), rétrospective au musée des beaux-arts de Dole jusqu'au 15 septembre.
⇒ De Artibus Sequanis, Jean Messagier.
⇒ Catalogue Jean Messagier, Tous les sexes du printemps, musée des beaux-arts de Dole, Fabelio, 2019.
⇒ Émission Peintres de notre temps, nov. 1978 Jean Messagier, INA.
⇒ Richard Leudier et Alain Jouffroy, Jean Messagier, Cercle d'Art, Paris, 2007.
⇒ Francette Messagier, Jean Messagier- Traces, Néo éditions, Besançon, 2006.
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