Giacomotti, dans sa longue et laborieuse vie, a peint beaucoup de femmes qui étaient loin d'être jolies ; il leur a donné de l'expression, du charme, de la physionomie.
[…] on est forcé de constater que Giacomotti a eu, comme quelques peintres du second ordre, un élan non de génie, mais de grand talent. […] Giacomotti savait embellir ses portraits. Il flattait tout le monde, surtout les femmes, mais personne ne lui reprochait ses galanteries. Le modèle se trouvait toujours d'une ressemblance frappante. Les peintres menteurs sont les peintres de femmes.
[…]Il a eu le tort, pour sa réputation et sa situation de fortune, de ne pas refléter les idées de son temps, de ne pas suivre les variations de la société française, de préférer les sujets religieux, la mythologie, l'antiquité grecque ; il aurait pu être un interprète spirituel des scènes de la vie réelle. Il est démodé, sa peinture n'est plus de notre temps, selon certains partisans de l'École moderne.
Alexandre Estignard, Giacomotti, sa vie, ses œuvres, 1911.
Giacomotti, avec un “o”, comme l'écrivait non sans quelque malice La Tribune de l'art à l'occasion de l'unique (et très modeste) rétrospective consacrée à ce peintre (en 2005 au musée municipal d'Étampes, la ville où il est enterré), est une sorte d'archétype, une figure emblématique de la cohorte qu'on dirait presque inépuisable des artistes que le XIXe siècle produisit, honnêtes artisans s'étant frottés au Grand-Art mais que la postérité et la Renommée se sont dépêchées d'oublier.
Si sa peinture peut sans doute être, effectivement et sans trop de remords, oubliée, ou si, du moins, l'on peut survivre sans la connaître, l'école, le courant auquel elle est rattachée laisse, en tant que dernière occurrence picturale de la culture classique, l'arrière-goût un peu suri mais agréable d'une boisson trop longtemps fermentée. Depuis longtemps les oracles s'étaient tus, laissant d'abord la place au dogme avant que celui-ci ne dut la céder à son tour, et pour longtemps semble-t-il, à la Raison triomphante. Mais il y avait encore, étonnamment et jusqu'à l'aube du XXe siècle, des peintres dont l'horizon n'était souvent borné que par l'Olympe ou, à tout le moins, par les récits bibliques.
Félix-Henri Giacomotti, modeste enfant d'immigré italien, pur produit de la méritocratie du second empire et de la IIIe République fit dans ce que l'on n'appelait sans doute pas encore "la société" une ascension que l'on pourrait rapprocher de celle que décrit Balzac dans la nouvelle Pierre Grassou. L'itinéraire à la fois comique et tragique d'un peintre breton (mais franc-comtois convient aussi…) au talent incertain et qu'un bon mariage met à l'abri des vicissitudes de la vie et plus encore mais à qui l'absence de véritable talent laissa de l'amertume et du spleen jusqu'à la fin de sa vie.
Le "parcours" de Giacomotti n'est pourtant pas exactement celui de Pierre Grassou, son talent de dessinateur lui fit ouvrir les portes, alors qu'il n'était encore qu'un modeste apprenti d'un atelier de gravure bisontin, de l'école d'art de Besançon puis de celles, nettement plus prestigieuses, de l'école des beaux-arts de Paris. Premier prix de Rome en 1854 il fut interne de la non moins prestigieuse académie Médicis pendant cinq ans où il fut le condisciple, entre autres, du compositeur Bizet et du sculpteur Carpeaux.
Deux événements, concomitants mais sans relation l'un avec l'autre, du moins a priori, la guerre de 1870 et la naissance de l'impressionnisme concoururent sinon à sa perte du moins à son effacement définitif de la scène artistique nationale où il n'avait d'ailleurs eu, à grand-peine, que de relatifs et modestes succès. Le premier provocant de nombreux déboires financiers et familiaux, le second faisant très sensiblement palir l'étoile des derniers tenants de l'académisme.
Ayant fait son deuil de la carrière qu'il supposait pouvoir espérer il accepta le poste de directeur du musée des Beaux-Arts de Besançon, auquel, jusqu'à la fin de sa vie il ne ménagea ni sa peine ni sa sollicitude même s'il dut faire face, semble-t-il, à de nombreuses bisbilles avec l'édilité locale. Malgré son éloignement de la scène artistique nationale il peignit encore de très nombreux portraits de personnes en vue dans le microcosme franc-comtois ainsi que des toiles religieuses notament celles des églises de Quingey, sa ville natale, Lombard, Buffard et de Mouchard. Le "tryptique" de l'église de Quingey ne manque pas de superbe et mérite que l'on y prête attention.
Son histoire à la fois extraordinaire si l'on se place du côté de l'enchaînement des événements et relativement modeste du point de vue de l'art a été raconté par un érudit franc-comtois, Alexandre Estignard, dans un livre publié en 1911 et aujourd'hui presque introuvable. Nous le reproduisons in extenso à la page Giacomotti de De Artibus Sequanis. Bonne lecture.
DAS
⇒ De Artibus Sequanis, Félix-Henri Giacomotti.
⇒ Jérôme Pontarollo, Félix-Henri Giacomotti.
⇒ Alexandre Estignard, Félix-Henri Giacomotti, sa vie, ses œuvres, éd. Delagrange, Besançon, 1911.
⇒ Jérôme Montcouquiol, Félix Giacomotti (1828-1909), La Tribune de l'Art, jeudi 14 avril 2005.