James Tissot

Nantes, 1836 - Chenecey-Buillon, 1902


Un peintre que l'on pourrait peut-être qualifier de «proustien», né de parents francs-comtois partis chercher fortune à Nantes, sa ville natale, et qui courut ensuite le monde et la haute société avant d'être illuminé par un tableau qu'il étudiait dans l'église Saint-Sulpice et d'embrasser, à la fin de sa vie, la religion chrétienne.

Il reviendra en Franche-Comté finir ses jours dans le château familial de Buillon.


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James Tissot

James Tissot, Wikipedia


La famille de James Tissot est originaire de Franche-Comté (villages de Maîche et Trévillers, près de la frontière suisse) mais son père soucieux de réussite commerciale s'est installé à Nantes comme drapier : il fait suffisamment fortune pour acheter et aménager dans sa région d'origine le château de Buillon, au bord de la Loue, dans le département du Doubs, à l'emplacement de l'ancienne abbaye cistercienne. Fils de ce marchand de drap prospère et d’une modiste, Jacques-Joseph Tissot naît à Nantes le 15 octobre 1836 : il gardera des activités de ses parents le goût des tissus et de la mode dont il fera son thème de prédilection comme il aimera peindre des scènes de port (The Captain and the Mate, 1873 - The Captain's Daughter, 1873, Southampton City Art Gallery (UK) - Ball on Shipboard, c. 1874, Tate Britain, London - The Gallery of H.M.S. 'Calcutta' (Portsmouth), ca. 1877, Tate Gallery, Londres…). Sa famille très catholique l'envoie au collège des Jésuites de Vannes, de la même promotion qu'Auguste de Villiers de L'Isle-Adam (1856), et accepte à regret sa vocation d'artiste.
En 1856, il gagne Paris pour suivre les cours de Hippolyte Flandrin et de Louis Lamothe à l'École des beaux-arts : il devient alors l'ami de Edgar Degas et James Abbott McNeill Whistler.
En 1859, Tissot (qui a pris par anglophilie le prénom de James), expose pour la première fois au Salon de Paris, deux portraits de femmes et trois scènes en costume médiéval inspirées par Faust comme La Rencontre de Faust et de Marguerite, 1860 (musée d'Orsay) où apparaît l'influence du peintre belge Henri Leys qu'il a rencontré à Anvers en 1859. Dans les années 1860, James Tissot se spécialise dans les portraits de femmes, le plus souvent représentées en costume moderne, exemples de ce goût d'homme raffiné qui lui permet de devenir le portraitiste de la société élégante de son temps, comme l'illustre le Portrait du marquis et de la marquise de Miramon (1865) ou Le Cercle de la rue Royale (1868). En 1860, il voyage en Italie et découvre Londres en 1862.
Comme ses contemporains Alfred Stevens, George Hendrik Breitner, ou Claude Monet, James Tissot explore aussi le « japonisme », qu'il est le premier à prendre pour sujet en peinture en 1864 avec Whistler. La Japonaise au bain, l'un des trois tableaux japonisants qu'il réalise cette même année, « nu à la fois élégant et provocant » conservé au musée des beaux-arts de Dijon, en est un bon exemple, qui inclut divers objets et costumes japonais, comme dans le portrait de l'artiste peint par Degas à cette époque, où un tableau japonais est accroché sur le mur.
En 1864, Tissot expose à nouveau au Salon à Paris, où il rencontre un certain succès avec deux portraits : Les Deux sœurs (1863, musée d'Orsay) et le Portrait de Mlle L. L. (1864, musée d'Orsay). Il expose également en 1864 certaines de ses toiles à la Royal Academy de Londres et collabore comme caricaturiste à Vanity Fair à partir de 1869. En 1870, James Tissot participe à la guerre franco-prussienne dans les Tirailleurs de la Seine puis à la défense de Paris durant la Commune (il a laissé un dessin représentant les Éclaireurs de la Seine). Peut-être à la suite de cet engagement ou simplement par opportunité, il quitte Paris pour Londres en 1871 et emménage dans une imposante villa à Saint John's Wood. Ayant déjà travaillé pour le magazine Vanity Fair comme caricaturiste sous le pseudonyme de « Coïdé » et exposé à la Royal Academy en 1864, James Tissot dispose de solides relations sociales et artistiques dès son arrivée en Angleterre et développe rapidement sa réputation de peintre de l'élégance féminine avec une certaine théâtralisation du monde et un jeu sur les apparences qu'on retrouvera chez Marcel Proust. Il rencontre cependant quelques réticences comme celle de John Ruskin qui décrit les œuvres de Tissot comme de « simples photographies en couleurs de la société vulgaire. » En 1874, il refuse de participer à l'exposition des Impressionnistes mais conserve de bons rapports avec les peintres français : il reçoit Berthe Morisot à Londres en 1874 et visite Venise avec Édouard Manet la même année, il continue également à fréquenter régulièrement Whistler.
En 1875, Tissot rencontre une Irlandaise divorcée, Kathleen Kelly, épouse Newton, qui devient sa compagne et lui sert fréquemment de modèle : il la peint en particulier dans le jardin de son élégante maison ou dans le salon japonais qu'il a fait aménager avec soin. Elle vivra à ses côtés jusqu'à sa mort due à la tuberculose le 9 novembre 1882 : très affaiblie par la maladie, elle se suicide. Cette liaison hors mariage, choquante pour la société victorienne, entraînera pour le peintre une vie sociale moins intense mais animée par les échanges avec des artistes plutôt bohèmes. Kathleen a eu deux enfants, élevés par sa sœur, dont le second né en 1876, l'année où elle vient habiter la villa de Saint John's Wood, pourrait être le fils de l'artiste. Cette large décennie londonienne fait de James Tissot l'un des peintres admirés de la haute société anglaise dont il est l'un des plus célèbres portraitistes avec Lawrence Alma-Tadema : il conserve en Angleterre une grande réputation pour ses « social conversation pieces » qui constituent des documents sur l'époque et qui ont été également diffusées par la gravure. En 1880, nostalgique de ses amis parisiens, il réalise la Suite de l'enfant prodigue, constituée de quatre tableaux : Le départ, En pays étranger (Japon), Le retour et Le Veau gras, déposée au Musée des beaux-arts de Nantes, qui reprend le thème de sa série de deux tableaux de 1862-1863, conservée au Petit Palais à Paris, en le transposant non plus à l'époque médiévale mais à l'époque moderne.
Le 31 juillet 1880, Tissot est l'un des membres fondateurs de la Royal Society of Painter-Etchers, une société promouvant l'art de la gravure dans une société anglaise qui ne le considère que comme un artisanat de reproduction, la Royal Academy n'acceptant pas les graveurs (sauf s'ils sont aussi peintres ou sculpteurs).
En 1898, il est à New-york où on le rencontre en compagnie d'Antonio de La Gandara au Waldorf Astoria. Les deux peintres, curieux de japonisme, se fréquentaient régulièrement chez Robert de Montesquiou à Versailles mais aussi dans les exercices de table tournante chez M. Fleury ou dans le salon de Madeleine Lemaire.
Une semaine après la mort de sa compagne en 1882, James Tissot quitte Londres et n'y reviendra jamais. Il retourne à Paris et renoue rapidement avec la notoriété : il monte en particulier une exposition de ses portraits au Palais de l'Industrie en 1883 et une grande exposition lui est consacrée en 1885 à la Galerie Sedelmeyer. Intitulée Quinze tableaux sur la femme à Paris, cette exposition présente, contrairement à la période londonienne centrée sur la « gentry », des portraits de femmes de conditions sociales plus variées dans leur contexte, avec une influence des estampes japonaises dans les cadrages et les perspectives comme La demoiselle de magasin (The Shop Girl), (1882-1885).
En 1888, alors qu'il étudie une toile dans l'église Saint-Sulpice de Paris pour saisir l'atmosphère de celle-ci, James Tissot a une révélation religieuse qui le conduit à consacrer la fin de sa vie à l'illustration de la Bible. Dans ce but, il voyage (en 1886, 1889 et 1896) au Moyen-Orient, en Palestine et à Jérusalem en particulier, pour découvrir les paysages et les habitants dont il crayonne les portraits. Ses séries de 365 gouaches illustrant la vie du Christ ont été accueillies avec enthousiasme lors des expositions de Paris (1894-1895), Londres (1896) et New York (1898-1899), avant d'être acquises par le Brooklyn Museum en 1900. Ces œuvres sont diffusées avec grand succès en français en 1896-1897 et en anglais en 1897-1898. James Tissot passe les dernières années de sa vie à travailler sur des sujets de l'Ancien Testament : les tableaux dont la série est inachevée sont aujourd'hui regroupés au Jewish Museum de New York. Ils ont été exposés partiellement à Paris en 1901 et édités sous forme de gravures en 1904. Le peintre a décoré également la chapelle des Dominicains du faubourg Saint-Honoré à Paris, inaugurée le 3 décembre 1897, en y peignant, entre autres, L'Annonciation et a réalisé quelques objets décoratifs en émail cloisonné comme La Fortune, modèle de couronnement de fontaine (1878-1882) (Paris, musée des Arts décoratifs).
Il s'intéresse aussi à l'occultisme, fort en vogue à l'époque, et fait des expériences avec un médium anglais, réputé à l'époque, William Eglington, rencontré en 1885, dont il reproduit une séance de "matérialisation" dans un tableau, Apparition Médianimique.
James Tissot finit sa vie dans le château familial de Buillon dans le Doubs : il y meurt le 8 août 1902. Sa notoriété est plus grande en Angleterre ou en Amérique qu'en France et l'on a pu dire qu'il était plus présent dans les histoires du costume que dans les histoires de la peinture, mais on redécouvre en France l'art de la mise en scène qu'il démontre dans ses tableaux et une subjectivité décelable derrière les sujets mondains et les peintures de genre qui retient l'attention. Ainsi une exposition James Tissot a été organisée au Petit Palais, à Paris, du 5 avril au 30 juin 1985, et une autre au musée des beaux-arts de Nantes en 2006 intitulée James Tissot et ses maîtres. On peut voir une preuve de l'intérêt nouveau pour James Tissot dans l'acquisition par le musée d'Orsay à Paris en avril 2011, pour 4 millions d'euros, de son célèbre Le Cercle de la rue Royale, grand portrait de groupe réalisé en 1868 qui dépeint les figures de membres éminents du club aristocratique où l'on reconnaît le Baron Rodolphe Hottinguer à qui échut le tableau, le prince de Polignac, le général marquis de Gallifet, qui rétablit l'ordre de manière sanglante lors de la Commune de Paris ou Charles Haas qui servit de modèle au Charles Swann de Marcel Proust.



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James Tissot par Marion Doublet

in : James Tissot, "les petitsmaitres.com", à propos de l'exposition "James Tissot"
qui a eu lieu du 26 septembre 2015 au 21 février 2016 au Chiostro del Bramante à Rome


Redécouvert dans les années 1970, le peintre français James Tissot (1836-1902) a fait l’objet de plusieurs expositions à Paris (Petit Palais, 1985), Québec (Victorian Life Modern Love, Yale Center for British Art, New Haven Connecticut – Musée du Québec, 1999), Nantes (James Tissot et ses Maîtres, Musée des Beaux-arts de Nantes, 2005) et New-York (The Life of Christ, Brooklyn Museum of Art, 2009. Du 26 septembre 2015 au 21 février 2016, c’est le Chiostro del Bramante à Rome qui cherche à résoudre l’énigme de ce peintre inclassable à travers l’exposition de 80 tableaux essentiellement issus de collections publiques britanniques et françaises.
Français mais anglophile (il change même son prénom pour l’angliciser dès 1859), impressionniste et préraphaélite, conservateur et libéral, James Tissot est un personnage difficile à cerner y compris pour ses contemporains. Ses premiers travaux, d’inspiration religieuse ou médiévale, sont largement inspirés par l’œuvre néoclassique de ses maîtres, Hippolyte Flandrin (1809-1864) et Louis Lamothe (1822-1869), dont il suit les cours à l’École des Beaux-Arts. Pour ses premières expositions au Salon, il présente à plusieurs reprises des scènes en costume médiéval autour du mythe de Faust, comme La Rencontre de Faust et de Marguerite (1860, Paris, Musée d’Orsay), sous l’influence du peintre belge Henri Leys (1815-1869). Excellent dans les portraits mondains (Portrait de Mlle L.L., 1864, Paris, Musée d’Orsay), Tissot va progressivement passer de la peinture historique aux scènes contemporaines.
Ce sont les femmes qu’il met en scène dans les bals et autres festivités du Paris du Second Empire, mais aussi dans leur solitude, faisant preuve pour l’époque d’un étonnant intérêt pour la condition féminine (La demoiselle de magasin, Art Gallery of Ontario, Toronto, Canada, actuellement exposée au Musée d’Orsay dans le cadre de Splendeurs et misères. Images de la prostitution). Véritable dandy, le peintre fréquente des artistes comme Degas, Whistler ou Manet et se fait construire un hôtel particulier avenue Foch, où il fait admirer sa collection d’objets japonais (Jeunes femmes regardant des objets japonais, 1869).
La guerre franco-prussienne et la Commune vont avoir une influence décisive sur sa carrière. Comme d’autres artistes, peut-être pour ses sympathies politiques, Tissot choisit de s’installer à Londres en 1871. Disposant d’un réseau déjà établi sur place, il connaît un succès rapide avec des sujets sur la vie contemporaine londonienne, notamment avec une série de peintures autour de la Tamise (Le Pont du HMS Calcutta, vers 1876, Londres, Tate ou Portsmouth Dockyard, 1877, Londres, Tate). Il n’hésite pas à représenter les rapports de classes et de genres dans ses peintures et décrit les comportements sociaux des Britanniques lors de fêtes, bals et concerts, sur le modèle de ses amis impressionnistes. Ses eaux-fortes, comme une série autour du roman des Goncourt Renée Mauperin, permettent une large diffusion de son travail en Angleterre.
Il trouve aussi outre-Manche sa principale source d’inspiration, celle qui sera sa compagne et son modèle pendant sept années d’intense création, l’Irlandaise Kathleen Newton, jeune divorcée et mère de deux enfants. À la mort de cette dernière, des suites d’une tuberculose, en 1882, James Tissot retourne vivre à Paris où il entame une série de peintures sur les femmes (La plus belle femme de Paris, 1883-1885, Huile sur toile, Genève, Musée d’art et d’histoire), mais n’obtient pas le succès espéré. Traversant une grave crise, il retourne à des sujets religieux, comme la Parabole du Fils prodigue (Nantes, Musée des Beaux-Arts) et effectue même un pèlerinage en Palestine. C’est dans le château familial de Buillon dans le Doubs où il s’était retiré qu’il meurt en 1902.
L’exposition de Rome, organisée en neuf sessions, présente un panorama assez complet de l’œuvre de James Tissot, de ses débuts à Paris à ses dernières années de création. Elle met l’accent sur sa modernité, aussi bien par les sujets abordés, que par les techniques utilisées (estampe, photographie). Son intérêt pour le Japon le rapproche des artistes du groupe impressionniste qu’il fréquenta, mais avec lesquels il n’exposa jamais. On y découvre un peintre d’une grande sensibilité, au style unique qui voulait être « le fils prodigue par excellence, le peintre des amours perdues et des histoires impossibles ».
Entre une petite excursion dans la capitale italienne et l’achat du catalogue de l’exposition, j’ai opté pour la solution la plus économique : l’acquisition de l’ouvrage largement illustré paru chez Skira, sous la direction de Cyrille Sciama, conservateur en charge des collections du XIXème siècle au musée des Beaux-Arts de Nantes. Si l’impression du catalogue a malheureusement assombri l’ensemble des reproductions des peintures de Tissot, le contenu permet d’avoir une bonne vision du contenu de l’exposition enrichi par les recherches récemment faites sur le peintre. Les articles du catalogue se concentrent sur les années londoniennes de Tissot, sa relation avec l’Irlandaise Kathleen Newton et son intégration dans la société artistique anglaise notamment à travers son rapport avec les marchands. La touche italienne de l’exposition se trouve dans les comparaisons faites avec le peintre Giuseppe de Nittis (1846-1884), dont les préoccupations sont souvent proches de celles de Tissot.
Ainsi, petit à petit, sous l’impulsion de chercheurs convaincus, l’œuvre d’un grand maître nous est dévoilé. Plus de 150 ans après le voyage qu’il effectua en Italie, ce voyageur curieux revient dans la ville éternelle pour le plus grand plaisir des Italiens. À quand une vraie reconnaissance dans son pays d’origine ?